Comment le droit de la chasse a-t-il évolué à travers le temps ?

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Marion Renson-Bourgine, édité par la rédaction
Publié le 04 octobre 2017 - 18:30
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Un chevreuil dans la nature.
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©Mélanie Plante/Flickr
La chasse est juridiquement reconnu comme compatible avec la logique de préservation de la nature et des animaux sauvages.
©Mélanie Plante/Flickr
Depuis plus de deux semaines, la chasse est ouverte et toutes les régions de France sont autorisées à tirer sur les gibiers, l’occasion de revenir sur les fondements de cette activité décriée par des milliers de Français. Pour "FranceSoir", Marion Renson-Bourgine, juriste spécialisée dans le droit animalier, revient sur les lois qui ont participé à l’évolution du droit de la chasse à travers le temps.

La saison de la chasse s'est ouverte et suscite, comme chaque année, de vifs débats. L'occasion de revenir en détail sur les fondements de cette activité définie à l’article L.420-3 du code de l’environnement: "Constitue un acte de chasse tout acte volontaire lié à la recherche, à la poursuite ou à l'attente du gibier ayant pour but ou pour résultat la capture ou la mort de celui-ci". La Cour de cassation a opéré une définition plus radicale en énonçant que "l’acte de chasse est celui qui tend à la destruction d’un animal vivant à l’état libre"[1]. C’est la définition reprise de façon officielle par les organisations de chasse. Ce droit a un parcours historique assez dense: ne seront cités que les textes ayant participé à la construction du droit contemporain avec pour commencer le texte qui a soulevé de nombreux débats.

La loi Verdeille est un texte incontournable dans le domaine de la chasse. En effet, de tradition, le droit de chasse était associé au droit de propriété de la terre[2] et depuis la loi du 10 juillet 1964, dite loi "Verdeille", une collectivisation du droit de chasse est instituée. Les associations communales de chasse agréée (ACCA) ont été créées. Et, conformément à cette loi, tout propriétaire foncier devait apporter son fonds au domaine de chasse de l’association avec pour seule contrepartie la qualité de membre de droit. Il s’agissait d’une obligation pour tout propriétaire de terrain de moins de 20 hectares. En d’autres termes, il était possible de chasser sur leurs terres sans leur consentement.

Cette loi était au cœur des batailles judiciaires[3] avec, pour finir, la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme dans le célèbre arrêt Chassagnou et autres contre France, du 29 avril 1999[4]. La Cour considérait en effet qu’obliger "les petits propriétaires à faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains pour que des tiers en fassent un usage totalement contraire à leurs convictions se révèle une charge démesurée qui ne se justifie pas sous l’angle" de l’intérêt général. La Cour a jugé que de nombreux droits fondamentaux protégés par la Convention européenne des droits de l’homme avaient pu être violés par la loi Verdeille[5] comme la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9), le droit de propriété (art. 1 du Protocole n° 1), la liberté de réunion et d’association (art. 11), la liberté d’expression (art. 10) et l’interdiction de discrimination (art. 14).

C’est ensuite la loi du 26 juillet 2000 relative à la chasse[6] qui a instauré un droit de non-chasse[7] . L’ensemble du dispositif législatif a été complété par la loi n° 2003-698 du 30 juillet 2003 relative à la chasse qui a pour effet de supprimer le jour de non-chasse, de faire disparaître la notion d’ "usages non-appropriatifs de la nature" qui n’avait jamais clairement été explicitée, de placer l’Office national de la chasse et de la faune sauvage [8] sous la double tutelle des ministres chargés de la chasse et de l’agriculture, de préciser que les associations de chasse spécialisée doivent être associées aux travaux des fédérations.

Mais aussi d’édicter un certain nombre de règles relatives au fonctionnement des fédérations notamment en matière financière. Il a également été complété par la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux qui arrête ou modifie certaines dispositions en matière de permis de chasser, de transport, de détention et de vente du gibier, d’équilibre agro-sylvo-cynégétique et de plan de chasse ainsi que d’indemnisation des dégâts.

Enfin, la loi n° 2012-325 du 7 mars 2012 portant diverses dispositions d'ordre cynégétique[9] reconnaît le rôle de la chasse comme instrument efficace de gestion de la biodiversité et affirme le rôle des fédérations départementales des chasseurs en matière d’information et d’éducation au développement durable et en matière de préservation de la faune sauvage et de ses habitats. Ainsi, "l’ère de la chasse cueillette, où le gibier était considéré comme une ressource inépuisable et exploitable sans réelle limite, est terminée"[10]. On est donc passée à une chasse "gestion".

Un résumé est fait au sein de l’article L.420-1 du Code de l’environnement qui dispose que: "La gestion durable du patrimoine faunique et de ses habitats est d'intérêt général. La pratique de la chasse, activité à caractère environnemental, culturel, social et économique, participe à cette gestion et contribue à l'équilibre entre le gibier, les milieux et les activités humaines en assurant un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique. Le principe de prélèvement raisonnable sur les ressources naturelles renouvelables s'impose aux activités d'usage et d'exploitation de ces ressources. Par leurs actions de gestion et de régulation des espèces dont la chasse est autorisée ainsi que par leurs réalisations en faveur des biotopes, les chasseurs contribuent au maintien, à la restauration et à la gestion équilibrée des écosystèmes en vue de la préservation de la biodiversité. Ils participent de ce fait au développement des activités économiques et écologiques dans les milieux naturels, notamment dans les territoires à caractère rural".

En d’autres termes, la chasse est juridiquement reconnue comme compatible avec la logique de préservation de la nature et des animaux sauvages et participe au maintien des grands équilibres naturels et à la sauvegarde de la biodiversité. Elle est ainsi justifiée sous couvert de l’intérêt général[11] qui a pu être discuté[12]. La pratique de la chasse n’a pas eu d’autre choix que d’évoluer vers une politique de "gestion". "Même si les formes de chasse perdurent, individuelle et collective, les pratiques évoluent, chasse-récolte et chasse-cueillette glissant inexorablement vers une forme unique, ludique[13] et utilitaire plus que symbolique, la chasse-gestion, souhaitée tant par la population civile que le législateur et le juge européen"[14]. La chasse est ainsi légitimée sous couvert de l’appellation "chasse-gestion".

Son incompatibilité reste par rapport à la protection de l’animal reconnu comme un "être vivant doué de sensibilité". La chasse ne peut être conciliée au bien-être animal et à ce titre, sera toujours discutée…



[1]Gérard CHAROLLOIS, "La chasse: une féodalité française", RSDA, n° 1/2015, p. 217 : http://www.unilim.fr/omij/files/2016/01/RSDA-1-2015.pdf

[2] Loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse.

[3]Le tribunal de grande instance de Périgueux est le premier à avoir osé remettre en cause les dispositions de la loi du 10 juillet 1964 par un jugement du 13 décembre 1988. Cependant, ce ne fut pas le cas des cours d'appel (Bordeaux, 18 avr. 1991 ; Limoges, 18 nov. 1992), de la Cour de cassation (Civ. 3e, 16 mars 1994) et du Conseil d'Etat (10 mars 1995 et 10 mai 1995).

[4]C.E.D.H., Affaire Chassagnou et autres c. France, Requêtes nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, arrêt Strasbourg, 29 avril 1999.

[5] V. Jean-Pierre MARGUÉNAUD, "La Cour européenne des droits de l'homme permet aux petits propriétaires opposants à la chasse de se soustraire à l'envahissement des associations communales de chasse agréées", RTD civ., 1999, p. 913.

[6] Loi n° 2000-698 du 26 juillet 2000 relative à la chasse : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000584127&dateTexte=&categorieLien=id

[7] Art. 14.

[8]Office national de la chasse et de la faune sauvage.

[9]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025450926&categorieLien=id

[10] Philippe LAGRANGE, "chasse et condition animale : le point de vue d’un chasseur", RSDA, n° 1/2015, p231 : http://www.unilim.fr/omij/files/2016/01/RSDA-1-2015.pdf

[11] La Cour EDH dans son arrêt Chassagnou avait reconnu à la loi Verdeille malgré sa condamnation qu’elle poursuivit un but d’intérêt général: "la Cour estime, vu les buts assignés aux ACCA par la loi Verdeille, tels qu’ils sont énumérés à l’article 1 de celle-ci, et les explications fournies à ce sujet, qu’il est assurément dans l’intérêt général d’éviter une pratique anarchique de la chasse et de favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique" (§79).

[12]Sur ce point, le Pr. Jean-Pierre Marguénaud était plus réservé (V. "La Cour européenne des droits de l'homme permet aux petits propriétaires opposants à la chasse de se soustraire à l'envahissement des associations communales de chasse agréées", RTD civ., 1999, p. 913). Ou encore M.-Y. Winisdoerffer,Rev. jur. env. 1999.447.

[13] L’auteur souligne subtilement le fait que depuis la loi Verdeille, on parle de "sport" pour la chasse…

[14] Xavier PERROT, "Passions cynégétiques. Anthropologie historique du droit de la chasse au grand gibier en France", RSDA, n° 1/2015, p.361 : http://www.unilim.fr/omij/files/2016/01/RSDA-1-2015.pdf.

 

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