Expo : les secrets du "Kâma-Sûtra"

Auteur(s)
Jean-Michel Comte
Publié le 12 décembre 2014 - 19:40
Mis à jour le 13 décembre 2014 - 17:06
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Affiche de l'exposition "Kama Sutra" à la Pinacothèque de Paris.
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©Pinacothèque de Paris
L'exposition dure jusqu'au 11 janvier à la Pinacothèque de Paris.
©Pinacothèque de Paris
Il reste moins d'un mois pour y aller. La Pinacothèque de Paris propose jusqu'au 11 janvier la première grande exposition sur le "Kâma-Sûtra", ce texte indien du IVe siècle célèbre dans le monde entier par les illustrations qui en ont été faites. Grâce à plus de 300 oeuvres, entre spiritualité et érotisme dans l'art indien, l'exposition montre que le livre n'est pas seulement un manuel de positions sexuelles.

Il reste quelques affiches, dans le métro parisien, qui attirent l'oeil des voyageurs, dans les couloirs et sur les quais. On y voit une jeune fille, seins nus, et un accouplement.

Mais rien de graveleux, ce n'est pas le genre de la RATP. La jeune fille, délicate, est la reproduction d'un tableau indien du XIXe siècle. Et le coït qu'elle observe d'un oeil intéressé est celui de deux pigeons.

L'affiche est celle d'une des expositions de la Pinacothèque de Paris, qui s'est ouverte début octobre et dure jusqu'au 11 janvier: Kâma-Sûtra, spiritualité et érotisme dans l'art indien. C'est la première exposition de cette envergure consacrée en France à un texte dont le nom est passé dans le langage courant –mais qui n'est pas (seulement) ce que l'on croit.

Attribué à un brahmane du nom de Vâtsyâyana qui l'aurait écrit au IVe siècle de notre ère, le Kâma-Sûtra est un texte "souvent mal interprété et incorrectement présenté comme un livre pornographique", explique Marc Restellini, le président de la Pinacothèque. C'est en réalité "l'un des textes majeurs de l'hindouisme médiéval et un ouvrage censé servir de guide à l'homme et à la femme au cours de leur vie afin d'atteindre le salut".

Vertu, prospérité, amour, nirvana

L'hindouisme repose sur quatre piliers, correspondant aux différents âges de la vie: la vertu, la prospérité, l'amour et le nirvana. Le Kâma-Sûtra aide à aborder la troisième étape, celle de l'amour, cette période de la vie où, parvenu à l'âge adulte, l'être humain "prend conscience de sa vie intérieure, de la force de son corps et de son esprit", ajoute Marc Restellini.

"C'est beaucoup plus qu'un livre sur le sexe, c'est un livre sur l'art de vivre une grande vie", affirme de son côté une des spécialistes du sujet, l'écrivaine indienne Alka Pande, commissaire de l'exposition. "C'est un livre sur les parfums, la nourriture, le maquillage, la musique, la danse. C'est l'un des plus beaux textes sur l'esthétique de la vie".

Ecrit en sanskrit et traduit pour la première fois en anglais en 1883, le Kâma-Sûtra se compose de sept livres, aux intitulés évocateurs: "Méditation"; "L'art de faire l'amour"; "L'art de faire la cour et le mariage"; "La conduite de l'épouse"; "Séduire les femmes des autres"; "La courtisane"; "Les aphrodisiaques et les charmes".

Pratiquement personne n'a jamais lu les sept livres, mais c'est le deuxième qui est passé à la postérité. Non par son texte, mais par les illustrations qui en ont été faites au fil des siècles, notamment le chapitre intitulé "Les positions sexuelles" (au nombre de 64, comme chacun sait).

Plus de 300 oeuvres

La Pinacothèque a rassemblé pour cette exposition plus de 300 oeuvres, du IXe au XXe siècles, issues de collections privées, européennes et indiennes: peintures, dessins, sculptures, bas-reliefs, statues, objets divers en papier, tissu, bois, pierre, terre cuite, ivoire, bronze, elles illustrent cette sexualité décomplexée, entre désir et sérénité, passion charnelle et sagesse spirituelle.

Les oeuvres sont classées en sept salles illustrant les thèmes des sept livres du Kâma-Sûtra, avec des murs de différentes couleurs qui se succèdent: vert, bleu, rouge, safran, rose, orange, jaune. La plupart des tableaux et sculptures datent du XIXe siècle et proviennent des écoles d'art indiennes de l'époque: Jodhpur, Jaipur, Sirohi.

Les ébats sexuels représentés sont parfois très explicites, d'autres sont empreints de poésie. Ainsi le tableau dont est tirée l'affiche est intitulé Jeune femme sur une table basse observant les ébats d'un couple de pigeons. L'oeil de la jeune femme est plus serein que ceux des volatiles.

Un peu plus loin, sept petits panneaux en bois représentent trois femmes et quatre hommes, qui semblent prendre la pose. Un petit livre très ancien s'intitule joliment Au boudoir des plaisirs.

Dans une vitrine de la salle-5 (celle consacrée au livre "Séduire les femmes des autres"), sept magnifiques petites vignettes de peinture sur ivoire du XIXe siècle sont d'une délicatesse extrême et d'intitulés charmants: Sur l'île d'amour, La femme de l'autre côté de la rivière, En extase, Ses longues mèches tremblent d'amour…

Orgie sexuelle

Plus hot, un panneau en bois intitulé Orgie sexuelle montre les ébats très acrobatiques de deux hommes et deux femmes.

Une section, avec petits tableaux ou gravures, est aussi consacrée au "sexe avec les animaux" (chien, singe, cheval, éléphant). Mais on explique au visiteur que "dans l'hindouisme ancien, la différence homme-animal n'est pas aussi nettement marquée que dans notre culture. Cela s'explique notamment par le fait qu'un homme peut avoir été un animal dans une vie précédente et, s'il n'accomplit pas ses devoirs, en redevenir un dans une existence ultérieure".

Des objets phalliques représentent aussi le lingam, organe sexuel masculin qui, comme son homologue féminin le yoni, fait l'objet d'un culte. Dans une vitrine, trois sont présentés sous la forme d'oeufs géants, en quartz, calédonite, basalte et agate cristallisée. Ils proviennent du lit du Narmada –l'un des sept fleuves sacrés de l'hindouisme, dans le centre de l'Inde– et leur composition minéralogique est unique au monde: "il semblerait qu'ils proviennent d'une météorite tombée sur la Terre il y a 14 millions d'années", est-il expliqué au visiteur.

Des dieux et leurs épouses

Parfois la succession de sculptures, de tableaux et de positions sexuelles lasse un peu, mais cela est dû à la richesse et à l'ampleur de l'exposition. Et, régulièrement, une merveille attire l'oeil, comme cet étonnant plastron en bronze, en fin de parcours, non daté, objet de culte qui permettait à un danseur d'incarner une représentation féminine –à forte poitrine. Deux cobras s'enlacent au niveau du nombril et forment un médaillon, à la fois symbole de protection et métaphore sexuelle.

Régulièrement, tout au long de l'exposition, les amours des divinités et de leurs épouses –Vishnu, Shiva, Brahma, Krishna– sont évoquées. Ce qu'expliquait Marc Restellini sur France-Inter: "Il y a une différence fondamentale entre l'Occident et l'Asie, c'est qu'en Occident notre dieu est amour, alors qu'en Asie et en Inde les dieux font l'amour. Et que la qualité du dieu et la force du dieu et la puissance du dieu viendra de sa qualité en tant qu'amant. C'est à dire que s'il fait bien l'amour, il est un grand dieu".

Guide de vie spirituelle, le Kâma-Sûtra reste cependant, pour le commun des mortels, avant tout un manuel des techniques amoureuses, ce qu'illustrent les différentes oeuvres de cette exposition imposante, érudite et sensuelle. Le premier tableau que l'on voit, dès l'entrée, entre deux sculptures de divinités dansantes, résume le tout.

Positions acrobatiques

Datant de la fin du XVIIIe ou du début du XIXe siècles, de l'école d'art de Nathdwara dans le Rajasthan (nord-ouest de l'Inde), il s'intitule Les quatre-vingt-quatre positions (soit vingt de plus que dans le texte original). Il se compose de 84 petites vignettes de 6,5 centimètres sur 10, représentant des positions qui tiennent plus du yoga que de l'acte sexuel.

Là encore ces charmants dessins colorés semblent se ressembler et former un catalogue un peu fastidieux. Mais non: à y regarder de plus près on sourit en voyant les couples faire l'amour au sommet d'un arbre, sur une balançoire, en prenant le thé ou en nourrissant un paon. Ou, parfois, dans des configurations plus acrobatiques (les positions 45 et 79, par exemple), qui peuvent donner des idées aux amants en mal d'imagination... L'image d'un Kâma-Sûtra passé dans l'imaginaire populaire, pour l'éternité.

"Kâma-Sûtra, spiritualité et érotisme dans l'art indien"

Pinacothèque, 8 rue Vignon, 75009 Paris

01.44.56.88.80, www.pinacotheque.com

Tous les jours sauf mardi

Entrée 13 euros (tarif réduit 11 euros)

(Voir ci-dessous la bande-annonce de l'exposition):

 

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