CRITIQUE — Avec Debout les femmes ! François Ruffin, député de la France insoumise et journaliste de formation, n'en n'est pas à son premier documentaire. Après "Merci Patron !" en 2017, pour lequel il obtient le César du meilleur film documentaire, il co-réalise ensuite le film "J'veux du soleil" en 2019 avec Gilles Perret. Pour "Debout les femmes !", il réitère cette collaboration pour évoquer la situation précaire des femmes exerçant les métiers du lien. Caméra au poing, le réalisateur suit le député dans ce « road-movie parlementaire ».
En 2019, François Ruffin, député de la France insoumise depuis deux ans, décroche une mission parlementaire sur les métiers du lien. Les auxiliaires de vie, les agents d’entretien ou encore les accompagnantes d’enfants en situation de handicap (AESH) subissent toutes des conditions difficiles et un salaire loin d’être à la hauteur des sacrifices fournis. L’objectif est de proposer une revalorisation de leur profession. À l'occasion de cette mission, le député de la France insoumise est ravi d’aller à la rencontre de ces « femmes de l’ombre » et de sortir de son bureau pour se rendre sur le terrain, dans sa Picardie natale. Il est en revanche moins enthousiaste à l'idée de partager cette mission avec Bruno Bonnell, un député LREM qui, en apparence, est aux antipodes des valeurs qu'il incarne. Chef d’entreprise, il est élu « Manager de l’année » en 1995 par Le nouvel Économiste et incarnait le rôle de Donald Trump dans la version française de The Apprentice : Qui décrochera le job ? Difficile de trouver deux personnages a priori plus éloignés. François Ruffin, désespéré, va jusqu'à demander en riant « Qui m’a mis cette tête de con ? ».
Un début qui laisse flotter une douce impression de mise en scène. On espère que la querelle entre les deux hommes politiques ne prendra pas le dessus sur le message initial, ni que François Ruffin, très présent au début du film, ne se serve du documentaire pour une mise en scène personnelle très politique. Heureusement, les différences s’estompent rapidement entre les deux hommes et François Ruffin, aussi attachant soit-il, s’efface pour laisser la lumière aux femmes du titre. Le film bascule alors et délivre son propos intéressant.
Les femmes de l’ombre, sans statut, ni revenu, ont des choses à dire, même si elles sont habituées à ne pas être écoutées. D’abord intimidées, portées par un sentiment d’illégitimité, elles parviennent rapidement à exprimer le malaise qu’elles ressentent dans leur profession. Elles parlent avec leur cœur de ce qui leur plaît dans leur métier, la relation qu’elles parviennent à tisser avec leurs patients, mais aussi de leur fatigue et des conditions précaires, qui font que, sans passion et sans la nécessité de payer leur facture, elles ne continueraient pas.
Elles ne se sentent pas considérées et, pire, sont même réduites au silence : les agents d’entretien de l’Élysée refusent d’être filmés par peur de perdre leur emploi et les auxiliaires de vie scolaire ont été "briefées" par l’Éducation nationale avant leur entretien avec le député. Il serait fâcheux de créer un scandale…
Le documentaire est filmé en partie pendant le premier confinement, mettant en avant le courage de ces femmes qui restaient actives, alors que le pays entier était à l’arrêt. On les suit dans leur quotidien : elles soignent, lavent, écoutent, soutiennent, sans se plaindre. Au détriment d’ailleurs de leur propre santé : peu de gens le savent, mais le secteur de l’aide à domicile dénombre plus d’accidents du travail que le BTP. Cela alors qu’elles sont payées 682 euros par mois : la plupart doivent se mettre à temps partiel compte tenu des déplacements, alors qu’en réalité elles consacrent plus de 50 heures au travail par semaine. Bien sûr, les trajets sont souvent à leur charge.
Au cours de ce parcours, face à tant de dévotion, on s’attache à ces femmes. On en arrive à espérer, comme elles, une meilleure considération de leur profession. Une scène fictive dans l'Hémicycle composé uniquement de femmes transmet un message d’unité et d’espoir, qui dénote des séquences consternantes à l'Assemblée nationale où François Ruffin, seul contre tous, voit toutes ses propositions refusées une à une, sans considération. Il faut que justice soit faite et puisque personne ne le fait pour elles, celles qu’on ne voit pas et qu’on n’entend pas, chantent d’une seule et même voix : « Le temps de la colère, les femmes / Notre temps est arrivé / Connaissons notre force, les femmes / Découvrons-nous des milliers / Debout femmes esclaves / Et brisons nos entraves / Debout, debout ».
« Il faudra se rappeler que notre pays tient aujourd’hui tout entier sur ces femmes et ces hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal », récitait Emmanuel Macron lors d’une allocution au début de la crise sanitaire. Il semble aujourd’hui avoir oublié ces belles paroles, puisque rien n’a changé. Elles ont pourtant été là pendant la crise, elles étaient déjà là avant, et elles continuent d’être présentes, malgré l’indifférence générale. La proposition de loi de François Ruffin et Bruno Bonnell, déposée le 29 septembre 2020, n’a pas eu encore de suite concrète. Nous n’avons de cesse de répéter que nous sommes dans une « société de service », n’est-il pas temps de prendre la mesure de ce que cela implique ?