"Slalom" : une apprentie championne sous emprise, le revers toxique de la médaille

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FranceSoir
Publié le 21 juin 2021 - 20:27
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Slalom
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®Milleetuneproductions
Fred (Jérémie Rénier) et Lyz (Noée Abita)
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En intégrant un cursus de ski-études, Lyz bascule dans un univers impitoyable, celui de la compétition de haut niveau, avec son talent brut et l'innocence de ses 15 ans. La "pince à gras" et la balance livrent leur verdict : il lui manque de la "masse musculaire". Ses grands yeux noirs observent ; une nouvelle copine, une alliée, l'avertit des embûches sur son chemin. Son entraîneur est dur, c'est le prix de l'excellence. La camaraderie s'arrête là où commence la solitude de la compétition : un monde de loups, c'est d'ailleurs l'emblème ambivalent de son club. Elle ne se démonte pas et brille rapidement. "Fred" la prend sous son aile et très vite, celle qui a débarqué comme un vilain petit canard devient le fer de lance du groupe, l'élément le plus prometteur. Opiniâtre, animée d'une sourde rage de vaincre, Lyz est pourtant livrée à elle-même. Plus vraiment enfant et pas encore tout à fait femme, elle est forte mais vulnérable. Son père est absent ; sa mère qui a sa vie, ses problèmes, son égoïsme, ses maladresses, est trop loin. Le drame se dessine... Saura-t-elle desserrer l'étau du rude chemin vers la gagne et de l'emprise associée ?

Charlène Favier, ancienne compétitrice de ski, a mûri ce film pendant quatre ans. L'écriture a commencé en 2015, à quatre mains, ou plutôt à deux cerveaux bouillonnants : celui de Charlène et de Marie Talon, que les expériences personnelles violentes autour du sport ont rapproché. Leur imagination débordante et leur énergie ont fusionné pendant deux ans pour en arriver au scénario de "Slalom". Les deux années qui ont suivi ce travail d'écriture collaboratif ont été dédiées à la préparation de la réalisation du film, tourné à Val d'Isère, là où la réalisatrice a grandi. Le ski de haut niveau n'est pas le réel sujet du film - l'histoire aurait pu se dérouler dans beaucoup d'autres milieux - mais la connaissance de cet environnement par Charlène Favier dégage une authenticité bienvenue, exempte des maladresses qui peuvent parfois gâcher l'immersion dans un univers étranger.

Voir aussi : Marie Talon, co-scénariste de "Slalom" : "On voulait travailler hors des sentiers battus"

Le film est une réussite : tout sonne juste. On s'imagine au début un scénario sans surprise, mais on est happé par les personnages, la tension qui règne et cette saison d'apprentissage qui s'écoule doucement. Sans céder à la facilité des paysages de montagne, qui apparaissent subtilement, en cadre majestueux et paisible qui ne fait que souligner la violence de ce qui se joue à l'entraînement et dans l'intimité des champions en herbe, certains plans sont saisissants : le balancier entre les lumières de l'extérieur et la pénombre des intérieurs est très réussi. Accompagnant une photographie soignée, la bande originale enrobe victoires et tourments : Lyz, tentant de s'oublier à "la Folie douce" (boîtes de "jour" à ciel ouvert, sur les pistes de ski), est accompagnée d'une musique lancinante qui occulte le son extérieur, illustrant la prison dans laquelle elle s'est engagée.

Jusqu'aux seconds rôles, la distribution est impeccable : du côté des premiers, Jérémie Rénier se sort d'une tâche difficile - il joue le "méchant" - avec une présence remarquable. Et c'est évidemment la jeune Noée Abita, exceptionnelle, qui porte le film sur ses épaules soumises à rude épreuve. Sans fioriture, son jeu n'est pas dénué de finesse : des moues d'adolescente boudeuse aux éclairs d'une volonté bien trempée, d'errements de jeunesse en prises de conscience douloureuse, elle est de presque tous les plans et crève l'écran dans sa mue douloureuse d'adolescente incandescente vers une femme accomplie.

Son corps est surexposé, sous toutes ses coutures : quelques scènes crues pourront heurter, mais elles ne sont pas gratuites, c'est un parti pris du film. Qui du début à la fin, est travaillé par ce fil rouge de l'intimité abîmée, du corps instrumentalisé. Lyz vit "à son corps défendant". Le corps de la sportive, le corps de la femme. Le corps qu'il faut violenter pour en tirer le meilleur, et qu'il faut "écouter", lui dit son entraîneur, pour l'optimiser, et ne pas le faire lâcher. C'est l'histoire d'un abandon, d'une soumission, et d'une reconquête. La blessure fatale, hantise des skieurs de haut niveau, est une épée de Damoclès qui peut briser net un destin en devenir ou imposer une saison "blanche" fatale à ceux qui, arrivés au "Graal" d'une carrière professionnelle, échapperont rarement à ce coup dur. Ce danger hante Fred et donc Lyz, mais fait écho aux blessures intimes - irréversibles ? - que cette vie de sacrifices, de joies éphémères et d'exigence jamais rassasiée, réclame à ceux qui l'ont choisie. Mais l'ont-ils vraiment choisie ? C'est cette liberté qui est questionnée : Lyz a remis son corps à son entraîneur... Jusqu'où ? Avec quel degré de consentement ?

Les mécanismes de l'emprise sont livrés dans un tableau à la fois glaçant et subtil. Pas de manichéisme grossier : Fred n'est pas un salaud intégral, il a sa blessure, sa revanche à prendre par procuration, il pousse ses protégés au meilleur, il n'est pas un monstre froid, et pourtant... Terrible "banalité du mal" chez cet homme rendu malheureux et même saisi par l'effroi de ses propres pulsions. Lyz est la victime, bien sûr, elle en est confusément consciente, mais joue le jeu, ni vraiment consentante, ni totalement réticente : dans cette zone grise comme de la neige sale, a-t-elle sa part de responsabilité ? Peut-on déployer ses ailes sans se brûler ? Ne souffle-t-elle pas sur les braises, aussi, même si elle n'est pas, ne peut pas être coupable ? Leur relation en montagnes russes laisse deviner que ça ne pourra terminer qu'en tragédie ou en libération.

Ne dévoilons pas l'issue de cette bataille où Lyz se trouve engagée, corps et âme, slalomant entre les cicatrices et la guérison, la souffrance et la récompense, la violence et l'affection... Quand la piste est semée d'obstacles, la ligne d'arrivée est parfois un nouveau départ.

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