Unorthodox, l’enthousiasmante série de Netflix qui fait le buzz

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Arnaud Fillion pour FranceSoir
Publié le 01 mai 2020 - 21:17
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Unorthodox
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Netflix
Unorthodox, série de Netflix qui fait le buzz
Netflix

SERIE TV : Dans une scène très puissante du 1er épisode de la série Unorthodox, Ester “Esty” Shapiro s’immerge tout habillée dans le Groer Wannsee, ce lac de Berlin que borde une villa dans laquelle une réunion de nazis prendra, en 1942, la décision de mettre en œuvre l’extermination des juifs. Elle s’offre ainsi, dans cette immersion et grâce au geste poignant par lequel elle enlève sa perruque et nous faire découvrir un crâne aux cheveux trop courts et privés de leur féminité, une épiphanie personnelle, une renaissance, lui ouvrant les portes à une vie différente.  En accomplissant ce rituel personnel, aux connotations aussi religieuses que libératrices, Esty s’émancipe des liens qui l’entravent, tout en faisant le choix délibéré de ne pas les trancher et de ne pas s’en dissocier.

C’est là l’essence, le thème, de la formidable mini-série de Netflix Unorthodox (4 épisodes d’un peu moins d’une heure et un très vivant making of), inspirée du récit autobiographique de Deborah Feldman.

Cette représentation de la relation à ce qui nous constitue, cet équilibre subtil entre liberté et servitude, sont la marque d’Unorthodox, et expriment toute la richesse thématique du rapport au lien. Lien qui nous relie et qui nous entrave à la fois. Le lien à la famille, le lien à la communauté, le lien au spirituel et au religieux, le lien à la société. Le lien au for intérieur de chacun.  Tout le dilemme d’Esty s’inscrit dans la question de se délier sans se renier. Comment peut-elle arriver ainsi à s’émanciper, en libérant sa voix personnelle et en trouvant sa place dans une communauté qui serait choisie et non subie ?

Au début récit chronologique, Esty a 18 ans et vit dans une petite congrégation hassidique de Brooklyn, les Satmar. Fondée après-guerre par des survivants de l’holocauste et originaires de Hongrie, celle-ci est régie par des règles excessivement strictes et par une interprétation ultra-orthodoxe des écritures saintes. Les femmes y sont dédiées à une fonction quasi unique de reproduction, quand les hommes se consacrent au travail et à la lecture de la Torah. Le tout dans une atmosphère hors du temps, coupée du monde extérieur et séculier, quasi sectaire.

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La force du récit est de ne pas juger ou dénigrer les Satmar. On comprend, lors d’un dîner qui célèbre Pessah (la Pâque juive), que ce choix de vie si particulier, qui nous parait à nous, occidentaux, aussi extrême qu’anachronique, est autant un vœu spirituel qu’une démarche de survie collective.

Une démarche imposée par l’histoire tourmentée d’une nation et par les persécutions répétées qu’elle a dû affronter.

Les Satmar se sont accrochés à leurs traditions comme à une bouée de sauvetage et, face à l’indicible trauma communautaire qu’est la Shoah, ont fait le vœu de repeupler la communauté et de combler le trou béant laissé par les 6 millions de morts de l’holocauste. On glisse ainsi et comme un peu malgré nous dans une fascination pour cette ritualisation à l’extrême de tous les moments de vie. Les scènes du mariage, du mikveh (le bain rituel), des explications de la sexualité, exercent chez le spectateur un sentiment ambivalent et très puissant d’attraction et de rejet simultanés.

Toute petite, Esty est arrachée à sa mère par une communauté qui rejette l’homosexualité de celle-ci. Plus tard, elle est contrainte à un mariage arrangé, à une existence formatée entre obligations domestiques et pression communautaire pour devenir elle-même mère. Elle se retrouve ainsi obligée de prendre des leçons de piano en cachette, pour pouvoir assouvir son aspiration artistique (chez les Satmar, les femmes n’ont pas le droit de chanter en public ni d’accéder à la musique).

Sa santé semble la rendre incapable de grossesse (elle souffre de vaginisme) et pour elle, qui se sait (et l’avoue à son mari) différente, tout bascule quand ce dernier lui annonce sa volonté de divorcer devant son incapacité à enfanter. Esty, qui vient justement et enfin de tomber enceinte, mais qui se voit simultanément refuser l’opportunité de l’annoncer à ce mari intransigeant, choisit dès lors de fuir, en cachette, et de retourner à Berlin, où vit sa mère. Il y a dans ce geste de départ et de libération comme une double boucle à boucler (der Kreis Schieen), d’une part, un retour aux sources familiales, européennes et historiques, d’autre part, un nouveau départ dans une société cosmopolite, moderne, plus égalitaire, plus aspirationnelle.  

Le choix narratif est de faire débuter la série sur ce moment du départ de New York. Puis ensuite, de faire alterner avec des flashbacks à Brooklyn dans la communauté hassidique, les passages contemporains à Berlin. Là, Esty doit tout (ré)apprendre : l’acceptation de son propre corps (en osant, par exemple, commencer à le dénuder), l’acceptation de ce qu’elle est et d’où elle vient, l’acceptation du contraste, voire de l’opposition, entre ce que cette vie antérieure représente, lui a imposé, avec l’existence, le monde libéré, sans préjugés et cosmopolite, auxquels elle aspire désormais.

Cette alternance, entre moments d’hier et instants d’aujourd’hui, donne toute sa force narrative au récit. Plus on plonge dans les coutumes des Satmar, plus celles-ci nous paraissent étouffer Esty et plus nous aspirons, avec elle, à ce que ses choix et ses ambitions de vie renouvelée puissent se réaliser.

Esty se retrouve pourchassée jusqu’à Berlin par son mari et un autre membre de la communauté, le trouble Moische, lui-même ambivalent et tiraillé entre ses propres contradictions, lesquels voudraient la faire revenir, non pas pour elle-même, mais pour l’enfant qu’elle porte. Dans ce monde nouveau, si fascinant et déroutant pour elle, Esty est subjuguée par la communauté de musiciens virtuoses qu’elle y intègre. Ceux-ci, représentatifs d’un univers moderne, égalitaire, affranchi voire presque libertaire, l’acceptent avec une grande bienveillance, sans masquer l’impression de décalage qu’elle leur procure, elle qui semble provenir d’un autre temps, d’une autre époque.

Esty, dont le personnage est sublimé par l’interprétation éblouissante de Shira Haas, va nous faire voyager ainsi, en traversant l’atlantique, du yiddish à l’allemand en passant par l’anglais. La beauté et la précision des costumes, la qualité de la photographie, la présence des seconds rôles et le jeu subtil des figurants, tout concourt à une production aussi soignée que réussie. Toute la force, le côté disruptif même, de Netflix (face au monde hollywoodien aux valeurs si masculines) est d’avoir favorisé une série qui s’émancipe des canons de genre made in Hollywood. Le fait qu’elle soit produite par des femmes (les deux show runners, Anna Winger et Alexa Karolinski, la réalisatrice, Maria Schrader, l’auteure de l’histoire originale, Deborah Feldman) y est bien sûr pour beaucoup. Et produit cette tonalité subtile et équilibrée qui sous-tend toute l’histoire.

Récit qui nous offre une jolie fin ouverte, laquelle, à dessein, ne nous raconte pas le superflu - si Esty a été reçue au conservatoire de musique comme elle le souhaite tant -, mais au contraire nous fait comprendre l’essentiel, le fait qu’elle ait trouvé sa voie future en ayant su entendre sa propre voix intérieure.

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