L'écrivain Edouard Louis devant la justice pour atteinte à la présomption d’innocence et à la vie privée
Quand la justice et la littérature s'entrechoquent: l'écrivain Edouard Louis est assigné ce vendredi 18 mars, au civil, pour atteinte à la présomption d’innocence et à la vie privée, par un homme qu'il accuse de l'avoir violé dans son plus récent ouvrage.
"Reda", ainsi que le désigne Edouard Louis dans son ouvrage Histoire de la violence, paru en janvier 2016 aux éditions du Seuil, demande l'inclusion d'un encart dans les exemplaires du roman déjà publiés et une modification, notamment du prénom, en cas de nouvelle édition, ainsi que 50.000 euros de dommages et intérêts. Ce ressortissant marocain avait été arrêté en janvier. "Reda", contre lequel Edouard Louis a porté plainte, avait été identifié par l'ADN retrouvé dans l'appartement de l'écrivain, et faisait l'objet d'un mandat de recherche depuis le 21 janvier 2013.
Histoire de la violence, qui s'est déjà vendu à 80.000 exemplaires, est le deuxième ouvrage d'Edouard Louis, déjà auteur à 21 ans du très remarqué En finir avec Eddy Bellegueule (300.000 exemplaires vendus), récit largement autobiographique paru en 2014, et décrivant sans fard son enfance et son adolescence dans une famille modeste du nord de la France. Dans son deuxième livre, dans la même veine autobiographique, l'auteur raconte sa rencontre le soir de Noël avec un jeune homme "kabyle", d'une "trentaine d'années", et "petit", place de la République à Paris. Il emmène "Reda" chez lui, les deux hommes font l'amour à plusieurs reprises. Edouard Louis s'aperçoit ensuite que son amant lui a volé son iPad ainsi que son téléphone. Toujours selon le récit qu'en fait Edouard Louis, "Reda" l'agresse alors, tentant de l'étrangler avec une écharpe, avant de le violer sous la menace d'une arme, dont l'écrivain dit ne pas savoir si elle est vraie ou factice.
Pour son avocat Emmanuel Pierrat, il est "grotesque" de prétendre que la description livrée dans l'ouvrage permette d'identifier le violeur présumé. Me Pierrat fait par exemple valoir que le jeune homme n'est pas algérien comme le croit Edouard Louis au moment de la rencontre, et que "Reda" n'est que l'un des nombreux surnoms dont il use. "C'est l'ADN qui a permis de le retrouver, pas le roman" et les quelques détails qu'il livre sur "Reda", par exemple son activité de plombier au noir, ou la vie de son père dans un foyer d'immigrés en région parisienne, dit encore l'avocat à l'AFP.
Me Pierrat, indiquant que son client ne sera pas présent ce vendredi à 11h au Palais de Justice de Paris, s'opposera par ailleurs à ce que l'audience se tienne à huis clos, comme le demande la défense de "Reda". Dans son livre, Edouard Louis, intellectuel engagé à gauche qui dit sa "détestation" de tout mécanisme répressif, décrit ses hésitations à porter plainte. Il s'y décide après en avoir discuté avec deux amis, dont le sociologue Geoffroy de Lagasnerie. C'est à ce dernier, qui dans un récent essai sur la justice en France décrit le tribunal comme "l'un des lieux les plus violents de la vie sociale", qu'Histoire de la violence est dédié.
L'audience ce vendredi promet d'être très médiatisée, comme pour mieux vérifier une prémonition d'Edouard Louis. Dans Histoire de la violence, l'écrivain prend conscience qu'en saisissant la justice les événements lui échappent, devenant "l'histoire de laquelle je n'avais plus le droit de m'extraire". Avant Edouard Louis plusieurs écrivains, par exemple Christine Angot, ont été attaqués en justice par ceux qui s'étaient reconnus dans leurs romans. Certains ont obtenu gain de cause, ainsi Dominique Strauss-Kahn, héros malgré lui du roman de Marcela Iacub Belle et bête, avait obtenu la condamnation de l'auteur et de l'éditeur Stock.
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