Mai 68, les barricades au Quartier latin (vidéo)
"Désolation au Quartier latin", titre France-Soir en première page de sa dernière édition du samedi 11 mai 1968 (datée dimanche-lundi), au lendemain de ce qu'on surnommera vite "la nuit des barricades". Les affrontements entre étudiants et CRS, qui feront plusieurs centaines de blessés et donneront lieu à quelque 400 arrestations, constitueront un tournant capital dans le mouvement de Mai 68.
"En pleine nuit, le gouvernement a tenté de négocier avec les manifestants", écrit France-Soir en Une. "A 2h15, c'était l'échec, ordre était donné de détruire les barrages. Pendant quatre heures, des milliers de jeunes gens se sont battus".
Le journal de Pierre Lazareff –"le seul quotidien vendant plus d'un million", selon sa manchette– publie en Une deux photos, parmi celles prises par les six photographes du journal présents sur place. La première a été prise derrière les forces de l'ordre, avec cette légende: "Les CRS attendent. Ils viennent de lancer des grenades lacrymogènes sur une des barricades, place Edmond-Rostand. Quelques secondes plus tard, des étudiants, pleurant, suffoquant, sont obligés d'abandonner le terrain".
La seconde photo montre un étudiant soutenu par un infirmier et un homme plus âgé. "Cet homme en gabardine beige qui, rue Gay-Lussac, près de l'Institut de Géographie, soutient un blessé, c'est le professeur Monod, prix Nobel de médecine", explique la légende. "Il avait, cette nuit, rejoint les manifestants encerclés par les forces de l'ordre".
Comme le professeur Monod, une bonne partie de l'opinion publique prendra la défense des émeutiers après cette nuit, faisant basculer la révolte étudiante en crise sociale.
Le mouvement de Mai 68 avait en fait débuté par la création du "Mouvement du 22 mars", autour de Daniel Cohn-Bendit et des étudiants de Nanterre. Une première intervention musclée des forces de l'ordre, le 3 mai, lors d'un meeting devant la Sorbonne, a mis le feu aux poudres.
Lire aussi – Mai 68: les 10 acteurs principaux (diaporama)
Cette tension connaîtra donc son apogée dans la nuit du 10 au 11 mai, avec barricades, voitures incendiées, rues dépavées, vitrines brisées et batailles rangées entre jeunes et CRS. Le 13 mai, alors que le pays est encore sous le choc, les syndicats se joignent au mouvement et une manifestation a lieu à Paris.
Dès lors, la crise sociale échappe à tout contrôle: des grèves spontanées ont lieu un peu partout chaque jour (on comptera jusqu'à 7 millions de grévistes), l'ORTF n'assure plus ses programmes normaux, le Festival de Cannes est interrompu au bout de huit jours et annulé, le Premier ministre Georges Pompidou est contraint à la négociation et finalement les fameux "Accords de Grenelle" (du nom de la rue de Grenelle, siège du ministère du Travail) sont signés le 27 mai entre partenaires sociaux et gouvernement.
Ils prévoient une hausse des salaires de 10% et une augmentation du SMIG de 35%. Ils ne mettent pas immédiatement fin à la crise, puisque étudiants et syndicats se retrouvent le même jour lors d'un grand meeting au stade Charléty. Mais la gauche est divisée et, trois jours plus tard, un demi-million de personnes sur les Champs-Elysées, Michel Debré et André Malraux en tête, manifesteront leur soutien au général de Gaulle. Celui-ci, après une absence de quelques heures (il se rend à Baden-Baden en Allemagne, où il s'entretient avec le général Massu), annonce la dissolution de l'Assemblée nationale le 30 mai. Les législatives des 23 et 30 juin donneront une majorité écrasante à la droite, mettant un point final à Mai 68.
Ce samedi 11 mai, en Une, outre les incidents du Quartier latin, France-Soir fait allusion, en bas de page, à gauche, à un autre événement majeur: "Vietnam. La négociation. Le vrai face à face de la paix commence lundi".
Pendant que la France est en crise, c'est en effet à Paris que débutent des négociations préliminaires entre Américains et Nord-Vietnamiens. Elles conduiront à l'organisation de la conférence de Paris en 1969, d'où sortira un accord de paix en 1973.
(Voir ci-dessous, sur le site de l'INA, les informations de l'ORTF sur "la nuit des barricades"):
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.