Entre tradition et innovation technique, la filière du liège renait en Corse
Près du village de Sotta en Corse, deux ouvriers sardes "lèvent" à la hache, de façon traditionnelle, le liège des chênes; à Sartène, la récolte se fait avec une tronçonneuse innovante. Dans l'île la plus boisée de Méditerranée, la filière liège renaît.
Connu surtout pour son utilisation dans les bouchons de vin ou de champagne, "le liège a de belles années devant lui avec le réchauffement climatique", explique à l'AFP François Muracciole, directeur de la coopérative corse Silvacoop.
"Déjà, on ne coupe pas les arbres donc le réservoir à CO2 est constant et ce produit biosourcé a beaucoup de qualités: il est imputrescible, isolant et a une très forte résistance aux incendies", les chênes-lièges survivant aux feux de forêt une fois le liège carbonisé retiré.
La coopérative s'est engagé depuis 2016 dans un travail de longue haleine pour relancer une filière qui a connu sa période faste en Corse dans les années 1960 avant de quasi disparaitre.
Dans une forêt près de Sotta, deux coupeurs de liège venus de l'île italienne de Sardaigne, tout près de la Corse sont en plein travail: Avec dextérité, Gigi Gessa, 40 ans d'expérience de taille à la hâche et Alessandro Zucca, 20 ans au compteur, déshabillent en quelques minutes l'arbre de son écorce sur environ deux mètres de hauteur. Pietro Marrocu, un troisième Sarde, collecte et prépare ce liège au transport.
"C'est toute la difficulté, il faut frapper fort pour fendre le liège mais pas trop pour ne pas endommager +la mère+", le nom du tronc dénudé. Le capteur, ils l'ont dans le biceps", s'émerveille François Muracciole qui a recruté ces travailleurs sardes expérimentés capables de prélever "environ 700 kg" de liège par jour.
La première "levée" se fait sur un chêne d'une vingtaine d'années et permet de retirer du "liège mâle" de faible qualité, utilisé essentiellement dans l'isolation, explique le directeur de la coopérative qui réunit 140 propriétaires et près de 4.000 hectares forestiers.
Viendra ensuite, après neuf à 12 années de reconstitution du précieux bio-matériau, une seconde levée de "liège femelle" de meilleure qualité et ainsi de suite, tous les dix ans.
"Il n'y a pas d'équipe de leveurs traditionnels en Corse, c'est la grosse problématique" sachant qu'il faut "cinq à six ans pour les former", pointe M. Muracciole.
- Plus gros potentiel de récolte -
"Je suis de la région où le liège a toujours été levé. Je rêve d'apprendre ce métier" pour remettre en valeur des parcelles familiales de chênes-lièges, confie à l'AFP Joseph Matteï, étudiant en BTS gestion forestière de 18 ans, actuellement en apprentissage.
Pour gagner en productivité et surtout retrouver une main d'oeuvre insulaire, la coopérative a formé en 2021 une dizaine d'entrepreneurs forestiers corses à une nouvelle machine qui a permis cette année la première levée mécanisée à Sartène (Corse-du-Sud), plus rapide et moins dure qu'à la hache.
Cette mini-tronçonneuse, équipée d'une sonde qui contrôle la profondeur de coupe pour ne pas blesser l'arbre, constitue un espoir pour la filière.
La Corse compte 60.000 hectares de chênes-lièges, "le plus gros potentiel de récolte de toute la France", souligne Silvacoop qui a déjà multiplié par huit sa production de liège en six ans, entre 2016 et 2022.
Cependant, plus de 70% de la ressource sur pied mobilisable est du "liège mâle" de faible qualité et moins de 10% est de qualité "liège bouchonnable".
François Muracciole juge "illusoire de vouloir refaire du bouchon en Corse" alors que le Portugal, premier producteur mondial de liège, et en particulier l'entreprise Amorim, couvre 70% du marché mondial de bouchons.
Cette année, la coopérative corse travaille trois types de lièges: le "mâle" transformé "en Sardaigne en granulés de liège ou panneaux reconstitués pour l'isolation".
Parmi les deux qualités de liège femelle, 80% partira en Espagne pour la fabrication de bouchons reconstitués à base de liège broyé. Les 20% restant, de qualité intermédiaire, iront en Sardaigne pour faire des bouchons de moyenne qualité.
"L'objectif est de collecter 300 à 400 tonnes par an dans les années à venir", contre 110 tonnes aujourd'hui et "de remettre en place une première transformation en Corse, pour travailler sur de l'isolation à base de liège", projette M. Muracciole.
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