Jens Spahn, l'"anti-Merkel" qui pense à la chancellerie
A 37 ans, Jens Spahn, espoir de l'aile droite des conservateurs allemands, s'est imposé dans le probable gouvernement d'Angela Merkel en dénonçant le centrisme de la chancelière. De quoi nourrir encore ses ambitions.
"Elle l'a fait: Angela Merkel a nommé son opposant le plus éminent dans le gouvernement", semble s'étonner lundi Der Spiegel dans son édition en ligne.
Pour l'ambitieux Jens Spahn, sa nomination au ministère de la Santé a tout l'air d'un succès.
Celle qui dirige la première économie européenne depuis douze ans, et l'Union chrétienne-démocrate (CDU) depuis près de vingt, s'est plutôt distinguée jusque-là par sa faculté à mettre sur la touche ses détracteurs.
Mais les temps ont changé et M. Spahn a su profiter de l'affaiblissement de la chancelière, contestée dans ses propres rangs pour sa politique centriste et son ouverture aux demandeurs d'asile, des sujets considérés comme à l'origine du piètre score de la CDU et de la percée de l'extrême droite aux législatives du 24 septembre.
Nommer Jens Spahn est une "décision stratégiquement nécessaire", souligne Timo Lochocki, politologue pour le groupe de réflexion German Marshall Fund pour qui Angela Merkel a "fait un geste envers l'aile conservatrice pour garder sa latitude d'action".
Cet homosexuel affirmé marié à un journaliste est tout aussi sûr de ses valeurs conservatrices, et assume son ambition.
- Symbole des 'mécontents' -
Jens Spahn, natif du village d'Ottenstein près de la frontière avec les Pays-Bas, est un homme pressé: le banquier de formation, qui a obtenu par la suite un diplôme en sciences politiques, est devenu député à 22 ans seulement, en 2002.
Son objectif déclaré à l'époque: "ne pas finir à l'arrière-plan, mais contribuer activement à façonner la politique du pays en se propulsant vers l'avant".
Un credo que ce grand brun aux lunettes carrées a appliqué avec constance, en se forgeant un profil d'"anti-Merkel".
En 2008, il se fait remarquer en dénonçant l'augmentation des retraites décidée par le gouvernement entre les conservateurs et les sociaux-démocrates.
Un crime de lèse-majesté dans une Union chrétienne-démocrate peu portée sur les débats contradictoires en interne et contrôlée à l'époque d'une main de fer par la chancelière.
Les critiques deviennent publiques en 2015 lors de la crise migratoire, quand l'Allemagne ouvre ses portes à près d'un million de réfugiés venus de Syrie, d'Irak ou d'Afghanistan.
Celui qui est alors secrétaire d'Etat aux Finances exige un complet retournement de cap, veut une multiplication des expulsions, dénonce "la culture machiste de certains migrants".
Spahn a aussi fait les gros titres à l'été 2017, s'attirant quelques moqueries au passage, en dénonçant le fait que dans les restaurants de Berlin on ne parlerait plus allemand mais l'anglais.
"Nous voyons comment des hipsters élitistes se coupent des citoyens normaux", écrivait-il dans l'hebdomadaire de centre-gauche, die Zeit.
C'est avec ce type de sorties qu'il devient une "figure symbolique de tous les mécontents" au sein du parti, rappelle le Berliner Zeitung.
- La chancellerie en ligne de mire -
Reste à savoir comment celui qui a bâti sa carrière sur une opposition à la chancelière va se comporter s'il devient ministre dans le prochain gouvernement.
Sa formation dépend encore du vote des militants sociaux-démocrates qui sera connu dimanche.
La chancelière l'a gentiment rappelé dimanche à ses devoirs. "Que les gens fassent des remarques critiques, et M. Spahn n'est pas le seul, c'est OK, et malgré tout il y a la volonté de faire bouger les choses dans le bon sens", a-t-elle déclaré.
Dans le gouvernement, Jens Spahn, partisan d'un clair virage à droite de la CDU, ne pourra plus aussi facilement critiquer l'orientation du parti, confiée par la chancelière à la nouvelle secrétaire générale, Annegret Kramp-Karrenbauer, 55 ans, centriste comme elle.
Car au final c'est la succession de Merkel au poste de chancelier qui va se jouer dans les années à venir, jugent les observateurs.
Il est "fort possible que Spahn ne conteste pas le rôle de dirigeant de Kramp-Karrenbauer. Il a 37 ans. Il peut encore attendre", souligne der Spiegel. Avant d'ajouter : "Mais peut-être qu'il ne veut pas".
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