L'horizon d'un rapprochement entre Washington et Pékin s'assombrit
Ils s'espionnent, se défient et sont dans une compétition acharnée. Si Washington et Pékin ont intérêt à ce que leur rivalité aux enjeux mondiaux ne dégénère pas en conflit, reste que l'horizon d'un rapprochement s'assombrit de jour en jour.
À tel point que la Chine a accusé cette semaine les États-Unis d'attiser les tensions entre les deux puissances et mis en garde contre le risque de "conflit".
Le président chinois Xi Jinping a aussi, dans une rare critique directe, reproché aux États-Unis d'entraîner les pays occidentaux dans "une politique d'endiguement, d'encerclement et de répression contre la Chine".
Pour la directrice du renseignement américain Avril Haines, qui s'exprimait mercredi devant une commission parlementaire, "M. Xi a prononcé cette semaine son discours le plus ouvertement critique en date et c'est probablement le reflet d'un pessimisme croissant à Pékin sur la relation de la Chine avec les États-Unis".
Mais, a-t-elle ajouté, le renseignement américain évalue que Pékin tient à ce que ces tensions ne dégénèrent pas et à conserver une relation stable.
Le dirigeant chinois "souhaite une période de calme relatif afin de donner du temps et de la stabilité à la Chine dont elle a besoin pour gérer des difficultés intérieures croissantes", a-t-elle dit.
"Coup sur coup"
À Washington, on répète inlassablement que les États-Unis sont en compétition avec la Chine, mais qu'ils ne recherchent pas le conflit et ne veulent pas d'une nouvelle Guerre froide.
Les responsables américains se disent prêts à reprendre les discussions avec Pékin "en temps voulu" après l'affront du ballon, le président Joe Biden ayant affirmé lors de son discours sur l'état de l'Union vouloir parler à son homologue chinois.
Pour autant, le rapprochement initié lors de la rencontre de Bali en novembre dernier entre le président américain et Xi Jinping a fait long feu.
L'incident du ballon - espion pour Washington, météorologique pour Pékin - est passé par là, venant démontrer la fragilité d'une relation historiquement tendue.
Le secrétaire d'Etat Antony Blinken avait dû reporter un déplacement très attendu début février à Pékin, même s'il a finalement pu rencontrer le plus haut diplomate chinois, Wang Yi, en marge de la conférence de Munich sur la sécurité mi-février.
Lors de cet entretien qualifié de "tendu", il a mis en garde Pékin contre toute aide militaire à la Russie dans sa guerre contre l'Ukraine.
Ligne rouge
Washington a depuis lancé une offensive, disant être convaincu que Pékin envisage de fournir une aide à la Russie - ce que Pékin dément - et appelant les dirigeants chinois à ne pas franchir cette ligne rouge.
Les contentieux entre les deux superpuissances sont nombreux: statut de Taïwan, tensions en mer de Chine méridionale, les semi-conducteurs, TikTok, traitement des musulmans ouïghours, liens avec la Russie.
"La relation se dégrade et est clairement entrée dans un cycle où chacun livre coup sur coup et la façon d'en sortir n'est pas claire", juge Jacob Stokes, du cercle de réflexion Center for a New American Security.
Et, ajoute-t-il, la "rhétorique entourant la Chine ne fera que s'intensifier et s'affûter à l'approche de la présidentielle" américaine en 2024.
La Chambre des représentants à majorité républicaine a déjà mis en place une commission spéciale dédiée à la "compétition stratégique" avec Pékin, au risque d'une surenchère et dans le but de ne pas apparaître comme "faible" face à ce qui représente, pour reprendre les propos d'un élu républicain, une "menace existentielle".
"Tournant"
À court terme, la perspective du sommet lundi aux États-Unis entre les dirigeants américain Joe Biden, britannique Rishi Sunak et australien Anthony Albanese, risque fort de provoquer la colère de la Chine.
Tout comme la rencontre attendue en Californie, à une date non précisée, entre le chef républicain à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, et la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen.
"Il n'y a pas de ligne directe et c'est ce qui inquiète", soulignait récemment à des journalistes la présidente de l'ONG International Crisis Group, Comfort Ero, rappelant que le téléphone rouge avait au contraire caractérisé la période de la Guerre froide entre les États-Unis et l'Union soviétique.
Or, selon elle, l'affaire du ballon est venue "rappeler avec force que nous avons besoin de lignes de communication directes" afin d'éviter que les choses ne passent "hors de contrôle".
Pour Jonathan Ward, expert sinologue et auteur d'un livre à paraître sur la stratégie américaine vis-à-vis de la Chine, "nous sommes vraiment arrivés à un tournant dans la relation entre les États-Unis et la Chine où 30 ans d'engagement n'ont pas produit les résultats escomptés, à savoir une Chine responsable".
"Les États-Unis vont devoir entièrement réviser leur stratégie et, plus important: développer une nouvelle stratégie économique face à la Chine."
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.