"On ne dort pas ?" Quand des randonneurs dévorent la ville de nuit
Ils étaient 39 au départ et encore 11 à l'arrivée, 37 km et treize heures de marche plus tard: à Paris, la randonnée nocturne des "Night Trotters" prône le dépassement de soi, en équipe, pour mieux apprécier les trésors de la capitale.
Il est 22H00 ce samedi soir, quand initiés et novices se retrouvent sur la dalle de Rosa Parks, un quartier neuf du nord-est de la capitale.
Sur les 50 inscrits, une dizaine manque à l'appel. Pour une longue nuit froide de fin janvier, et compte tenu des défections liées au Covid et son variant Omicron, c'est déjà une performance.
Doudoune, bonnet et sac à dos, tout le monde s'est préparé en conséquence. Sauf Claudia, 29 ans, regard pétillant derrière des lunettes carrées, qui débarque avec son long manteau camel, les bottines assorties et sa trottinette.
Inscrite sur un site qui propose des expéditions à l'improviste et à l'aveugle, l'étudiante en langues étrangères découvre qu'il s'agit de traverser la ville jusqu'au lendemain. "Mais... on ne dort pas?", demande-t-elle à Faouzi Derbouz, l'organisateur de ces parcours.
Distribution des barres vitaminées et bouteilles d'eau, lecture du règlement, feux d'artifice et photo de groupe: sitôt ce rituel accompli, le groupe s'élance à l'assaut des pentes de la butte Montmartre, sous l’œil curieux des passants.
- "Que des +au revoir+" -
"Que font des alpinistes ici?", s'amuse Mona, une adolescente de sortie avec sa copine Zoé et sa mère Christine. "Ça a l'air trop bien, je vois des gens souriants."
Il en sera ainsi toute la nuit, au fil des brèves rencontres des marcheurs avec une jeunesse parisienne éméchée. "Compostelle, c'est par là!", les chambre un étudiant rive gauche.
Sacré-Cœur, opéra Garnier, place Vendôme, Samaritaine, Notre-Dame, Sorbonne: les monuments défilent, les heures avec, et le groupe se rétrécit. "Il n'y a pas d'abandon, que des +au revoir+", répète Faouzi qui se fâche uniquement quand des marcheurs s'éclipsent en catimini, par "souci de cohésion".
"On voit des choses qu'on ne voit pas le jour", savoure Fadila pour qui c'est une "bonne façon de s'évader". Cette comptable de 56 ans fait régulièrement à pied le trajet entre son domicile, près du Louvre, et son travail à Saint-Denis. "J'aime Paris, je ne pourrais pas vivre ailleurs."
Cinéma, jeûne intermittent, football tchèque ou recherche de "l'homme de sa vie": les conversations s'enchaînent entre personnes "venues d'horizons très différents", souligne Ghizlane, une prof de sport qui a l'habitude de marcher seule la nuit pour se "vider la tête".
Seul bémol dans ce joyeux cortège: "on s'arrête trop", soupire Cynthia, 34 ans, venue pour la première fois. La rareté des sanitaires accessibles dans la capitale complique la tâche, surtout des dames, et le moindre bar accueillant est pris d'assaut.
- "Calme olympien" à l'arrivée -
Après une pause pique-nique à 3h45 dans la monumentale fontaine Saint-Michel privée d'eau, la promenade sur les quais de Seine sous un ciel gorgé de nuages est magique. Place de la Concorde, le vacarme de la capitale embouteillée a laissé place au silence.
A 06H30, Hakim, un prof de maths chargé des copies de ses étudiants, et sa copine Rihab décrochent pour rentrer à Tours qu'ils ont quittée pour la nuit par "envie de faire une folie".
Au pied de l'Arc de Triomphe, ils ne sont plus que treize. Direction le bois de Boulogne où le jour levant charrie ses lots de cyclistes.
"Comme d'habitude, les deux dernières heures sont un peu plus dures", dit en habitué Paul, 72 ans, le doyen des onze rescapés.
L'arrivée à 11H15 au Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine), se fait sous le soleil et dans un "calme olympien, comme souvent", sourit Sabrina, la femme de Faouzi, venue constituer un comité d'accueil surprise avec leurs deux enfants.
Après un fumigène - rituel final -, les croissants et le café, les survivants fourbus n'arrivent plus à se séparer. Parmi eux Claudia, qui a perdu sa voix et a été "surprise par (elle)-même". Elle gardera de ce "chemin extraordinaire" le souvenir de "discussions exceptionnelles".
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