C’est une première en France : un assureur propose une solution spécifique pour venir en aide aux victimes de violences conjugales. Muriel Reus, la présidente de l’association Femmes Avec..., et porte-parole de cette opération, nous parle de ce dispositif inédit et innovant.
Quel est le constat que vous avez fait et qui vous a permis de lancer un tel projet ?
Je suis présidente et fondatrice d'une association qui s'appelle « Femmes avec... », qui existe depuis plus de quatre ans et dont l'objectif est d'améliorer la place et le respect des femmes dans la société. Par ailleurs, je suis lieutenant-colonel de la réserve opérationnelle, expert au sein de la gendarmerie nationale et je travaille avec eux sur les sujets d'égalité et d'inclusion dans la gendarmerie. Je suis également au conseil d'administration de certaines entreprises, dont Agipi. C'est une association d'assurés qui a pour ambition de répondre aux besoins de protection des particuliers et des professionnels indépendants, avec une vision assez citoyenne de leur rôle. Par exemple, il y a quelques années, ils ont mis en place des indemnisations dans le cas d'arrêt de travail pour don de moelle osseuse. Ils ont un fond de dotation qui accompagne les personnes hospitalisées pour améliorer leur bien-être. Cette vision de l'assurance, c'est une des raisons qui m'a fait rentrer au conseil d'administration d'Agipi.
Avec le président et le conseil d'administration, cela faisait quelque temps qu’on se posait des questions sur notre responsabilité sociétale concernant les violences faites aux femmes. En examinant ce qui existait dans le milieu de l’assurance, on s'est rendu compte qu’il n'y avait aucune prise en charge assurantielle pour ces victimes. Cela signifie qu’aujourd’hui, si vous n'avez pas les moyens de vous offrir un avocat, un psychologue, un soutien psychologique, vous n'avez aucun accompagnement. Il n'y a aucun système pluridisciplinaire qui existe au niveau national. Vous avez parfois des associations qui, localement, ont un système pluridisciplinaire, mais il n'y en a pas nationalement. Donc on s'est dit qu'il y avait un vrai sujet et on l'a pris à bras-le-corps. On a réfléchi à comment on pouvait aider les victimes de violences conjugales, hommes et femmes.
Donc votre champ d’action n’est pas seulement une compensation financière en cas de violences conjugales, mais bien toute la prise en charge des victimes ?
Les violences conjugales, c'est très systémique. C'est-à-dire que lorsque vous êtes frappés ou violentés, il faut un système complet et vous avez besoin d'être soutenus pour vous en sortir. Vous avez besoin de faire appel à des forces de police ou de gendarmerie, mais vous avez aussi peut-être besoin d’un logement, ou de compréhension, d'écoute… Ce n'est pas un problème qu'on peut traiter en disant : « On va trouver un logement », cela ne suffit pas. Il faut que le système soit couplé à la problématique de l'emprise, parce qu'il y a le problème des enfants, le problème économique, le déni.... Pour cela, nous avons mis en place un numéro d'urgence, le 01 55 92 24 58, qui est ouvert 24 h sur 24 et sept jours sur sept. C’est une plateforme dédiée, avec au bout du fil des gens formés qui prennent votre appel, et qui vont décider s'il faut un soutien psychologique immédiat, un clinicien ou un psychologue formé, qui va vous écouter et vous prendre en charge. On s'est fixé un objectif de cinq sonneries maximum afin de prendre la plainte le plus rapidement possible.
Après, en fonction des besoins de la victime, il peut y avoir une couverture juridique, c’est-à-dire une prise en charge financière de toutes les problématiques liées à la situation : un huissier, s'il faut constater les dégâts, un avocat pour suivre la procédure ou pour aider la victime à porter plainte et suivre le dépôt de plainte… C'est un système très pluridisciplinaire. Ce n'est pas une mesure qui va résoudre le problème, mais un ensemble de mesures qui va faire progresser la situation.
Pour le futur, on pourrait imaginer un jour un coaching à la fin de cette procédure. Car, une fois que la personne est sortie de la problématique, elle a besoin d'être accompagnée dans sa nouvelle vie.
Comment faites-vous pour modéliser le risque et faire une analyse prédictive avec ce sujet des violences conjugales ? Et comment trouvez-vous les fonds pour financer le dispositif ?
On ne l'analyse pas, on l'accepte. On a mis en place cette garantie au sein du contrat CAP, qui est un contrat de prévoyance qui existait déjà chez Agipi. Aujourd'hui, il y a 170 000 adhérents sur ce contrat et dès le 1er janvier 2022, tous les adhérents auront cette garantie incluse. Évidemment, si vous n'avez pas de contrat d'assurance de prévoyance, il faut souscrire, mais si vous avez déjà ce contrat, ce sera inclus dans votre prestation. Donc il n'y a pas de modélisation ; les assurés ont automatiquement une couverture. Et la couverture est extrêmement complète comme je vous l’ai expliqué.
Quant à la question de la rentabilité, elle ne s'est pas posée une seule fois, parce que si c'était une question de rentabilité, on aurait proposé un nouveau produit. Si une personne a besoin d’appeler dix fois, elle le fait dix fois. L'idée, c'est d’écouter, de libérer la parole avec des psychologues cliniciens, dans le respect évidemment de l'anonymat et de la confidentialité. Concernant les frais juridiques, ils sont tous pris en charge jusqu'à 15 000 euros hors taxe.
Comment expliquez-vous qu’aucune assurance n’ait pensé à proposer des solutions spécifiques pour venir en aide aux victimes de violences conjugales ?
On parle beaucoup des violences conjugales dans les médias depuis deux ou trois ans. Avant, on donnait des chiffres, on disait que c'était affreux, que ça ne devrait plus exister, etc. Mais il n'y avait pas de vraies mesures. Après, il y a eu l'Espagne qui a pris le problème à bras-le-corps et a réveillé une certaine conscience politique. En France, les associations ont aussi joué un rôle, évidemment. En 2020, on a eu une baisse du nombre de féminicides : on est passé de 146 en 2019 à 102 en 2020. C’est encourageant, mais c'est toujours beaucoup trop. Surtout, il y a 400 000 interventions pour violences intrafamiliales par an, c'est le premier motif d'intervention des forces de police et de gendarmerie. Cela veut dire qu'il y n’a pas un jour où les forces de police, le GIGN, le RAID, les gendarmes ou les policiers ne sont appelés pour cette problématique.
Le monde politique s'est mis à analyser les chiffres sous la pression des associations et des parties prenantes, et on s'est rendu compte que c'était un vrai sujet, et je m'étonne qu'aucune assurance, qu'aucune association d'assurés, ne se soit intéressée à ce problème. Je pense que c'est la cohabitation entre une association de femmes victimes de violences et un conseil d'administration d'une association d'assurés qui a servi de déclencheur. Pour que cela marche, il faut dire au monde de l'entreprise qu'il faut se mobiliser, mais il faut le faire pour de très, très bonnes raisons. Concernant Agipi, il n'y a pas de vision financière du tout. Il y a juste une vision d'accompagnement, d'aide et de prise en compte de ce fléau.