Les "Cent jours" de Macron : quand la Paix ne peut s’acheter

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Laurence Waki*
Publié le 18 juillet 2023 - 16:00
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Macron Arc
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Photo Aurelien Morissard / POOL / AFP
Le chef d'état-major des armées françaises, le général Thierry Burkhard, et le président français Emmanuel Macron se tiennent dans la voiture de commandement à côté de l'Arc de Triomphe, sur l'avenue des Champs-Élysées à Paris, le 14 juillet 2023.
Photo Aurelien Morissard / POOL / AFP

TRIBUNE/OPINION - Nous était promis un 14 juillet un peu différent des autres. Comme d’habitude ce serait un jour férié, bien que de plus en plus d’enseignes soient ouvertes de façon exceptionnelle (!). Ce serait la période des vacances pour les Français qui partent en juillet – ces "juilletistes" qui auront les moyens financiers de prendre quelques jours de vacances – de moins en moins nombreux, même de plus en plus rares à pouvoir se le permettre ; 40% dit Le Monde (1), signifiant que 60% pourraient partir ? Qui m’évoquent ces chiffres de l’emploi, de ceux qui voudraient confirmer le plein emploi, à se demander si ne sont pas comptabilisés en vacanciers ceux partis une demi-journée, comme ces employés qui ont travaillé une heure dans le mois, et ne sont plus considérés comme chômeurs… 

Un 14 juillet traditionnel avec un défilé militaire démontrant la puissance française, du moins celle restée en France après l’envoi massif de nos chars et autres armements en Ukraine devançant les envois par les autres pays. Il y aurait aussi des feux d’artifice, même si avec les émeutes il fut annoncé que beaucoup seraient interdits. Du public serait présent pour assister au défilé, à condition d’être placé très loin derrière sous garde policière, et gare à ceux qui ont hué au passage de Macron, qui ont pu se faire entendre des médias, si surpris, qu’ils n’ont pas eu le temps de dissimuler ces sons imprévus ; ces médias qui désormais devront choisir un léger différé au lieu d’un direct au train où va la baisse de popularité de Macron, s’ils veulent faire croire aux acclamations de la foule. 

Mais là n’était pas la différence attendue. Du moins par ceux qui suivent les annonces du président Macron, surtout les médias qui doivent relayer la bonne parole, et d’autres pour diverses motivations que je serais bien en peine à décrypter. 

Ce 14 juillet 2023 était ce jour particulier où Macron devait faire une allocution sur le bilan de ses "Cent jours". Un compte à rebours avait été lancé en ce 17 avril 2023, nous annonçant "Cent jours" en vue d’un apaisement, que d’aucuns raillaient promptement, rappelant les cent jours de Napoléon Bonaparte. Espéraient-ils peut-être en leur for intérieur un bis repetita ? En écho à ces cent jours qui furent l’ultime et très court règne de Napoléon croyant reprendre les rênes de la France après sa première abdication ; cette période comprise entre son retour de l’île d’Elbe et son entrée dans Paris le 20 mars 1815 à sa seconde abdication, suite à la défaite de Waterloo, le 22 juin 1815. 

Une erreur commise par McKinsey – l’Agence de communication du président – ignorant cet élément historique ? Ou le désir de Macron de se montrer plus fort que Napoléon 1er, à réussir là où l’empereur avait échoué ? Comment le savoir ? Qui nous apprendrait quoi de plus sur la gouvernance actuelle ? 

En revanche, examiner cette annonce-ci pour ce qu’elle est, qui comme tous les discours de Macron, est conçue à la façon d’une campagne publicitaire, nous permettrait-il de mieux en comprendre les enjeux ? Me rappelant le tout début de mon cursus professionnel et mon passage éclair dans le monde merveilleux de la publicité, servons-nous de la copy strat’ – outil qui permet de trouver le message adéquat qui fera vendre avec succès un produit – qui se décompose en cinq éléments : la promesse / la preuve / le bénéfice consommateur / le ton du message / le message résiduel. Et ainsi par ce crible, tentons de saisir ce nous a été promis, quel résultat était attendu, et ce qu’il en a été réellement. 

Commençons par la promesse, qui est le message que l’on communique au consommateur, ici au citoyen français. Qui montre l’avantage que procure le produit, sa valeur ajoutée que n’apporte pas la concurrence. Ces "Cent jours" devaient apporter l’apaisement. Mais aussi à son bout une allocution- bilan afin de repartir sur des bonnes bases, sans bien savoir lesquelles ; certainement réussir à faire oublier le passage en force de la réforme des retraites ? Assurément une promesse avec la mise en chantier sur trois axes : travail, justice et progrès, que le président allait égrener lors d’un tour de France sous haute et coûteuse escorte. Aucun membre du gouvernement, la concurrence donc, n’a pris part dans cette décision à cette nouvelle étape du deuxième quinquennat Macron. Parce que c’est "l’affaire d’un seul homme" (2), nous précise Le Monde, à s’être ainsi "lancé dans une chevauchée médiatique". Un pari qui allait replacer le président Macron au centre avec un pouvoir de conviction tel que tous les Français lui pardonneraient, et l’acclameraient ? Par un président qui pourtant n’a jamais quitté le centre, quand il n’y a plus aucun contre-pouvoir. Ce qu’a démontré notamment le vote de la réforme des retraites. Une promesse qui sent l’artifice ? Et nous rappelle sans doute que promettre n’est pas s’engager ? 

Puis poursuivons avec la preuve, qui permet de rendre crédible et acceptable la promesse. Le président Macron est effectivement venu à la rencontre des Français. Pourtant l’accueil qui lui fut tenu n’était pas celui habituel qui est donné par les Français à leur Président. Pas plus que celui qui fut fait aux ministres amenés à suivre le mouvement présidentiel. Armés de leurs casseroles dont certaines ont été confisquées pas ordre préfectoral, les Français n’ont pas validé cette preuve. 

Quant au bénéfice consommateur, donc l’avantage que le consommateur, le citoyen français donc, va retirer de la promesse, qui correspond aux motivations des Français. Les Français allaient être rassurés de voir ce président se rapprocher d’eux. Le calme allait revenir après les affrontements sur cette réforme imposée contre leur gré. Ce bénéfice n’a pas été visiblement retenu. Pas seulement parce qu’il y a eu ces "émeutes", un embrasement plutôt encombrant pour les Français qui les ont subi. Mais très certainement en cause cette réforme qui a été la pilule de trop à avaler pour un grand nombre d’entre eux. 

Passons au ton du message, à l’ambiance et à l’atmosphère qui se dégage, ici lors de l’annonce télévisée faite par le président Macron un lundi soir. Une allocution de plus, un discours de plus, rien de nouveau. Qu’est-ce qui peut encore frapper après ce "nous sommes en guerre" ? Qu’est-ce qui peut mobiliser, engager, voire rassurer après cette phrase tonitruante à tout jamais associée à la gouvernance Macron, que rien n’a pu démentir jusqu’à présent, ni à l’extérieur avec l’Ukraine, ni à l’intérieur vis-à-vis des libertés fondamentales des Français. 

Finissons avec le message résiduel, les quelques éléments-clé qui restent en mémoire après l’énoncé du message, du discours. L’expression "Cent jours" a bien été mémorisée. Reste à voir si la promesse concernant la période et sa conclusion sous forme d’une nouvelle allocution, qui tombe en pleine période estivale, augurera une rentrée qui va réconcilier les Français avec les actions politiques de Macron. Quand plane un possible remaniement ministériel… 

Je ne garantis pas que McKinsey se soit donné autant de mal, pour mettre en place cette étape dans ce deuxième quinquennat de Macron, et aujourd’hui pour débriefer les résultats, quand assurément ce cabinet a été plus payé que moi, et en a plus tiré profit que la grande majorité des Français. En terme publicitaire, cette annonce n’aurait pas été validée si le terrain avait été pris en compte. Même sans les  "émeutes", l’apaisement d’une population ne se décide pas sur un claquement de doigt, avec une annonce faite à la cantonade, tant dans le choix des termes "Cent jours", de sa résolution dans une période estivale, et pire de la décision de ne pas faire l’allocution promise ! 

Tel un maître des horloges, Macron a déclaré pour justifier ce différé : "(…) vous m’accorderez d’avoir une certaine liberté avec cette pratique. J’ai dit que je ferai un point autour du 14 juillet, je vous rassure, je ferai un point autour du 14 juillet. Mais je ne vous en ai donné ni la date ni la forme et je les donnerai en temps voulu." (3)

Aussi validé par Véran avec sa casquette de porte-parole déclarant : "Ce que je pressens, c’est que d’ici à la fin du mois de juillet, le président (Emmanuel Macron) aura l’occasion de revenir dans le format qu’il souhaite et dans les conditions qu’il souhaite sur la feuille de route des 100 jours qui nous a été donnée" (4)

Cautionnant ainsi la latitude prise, voire l’approximation quant au rendez-vous donné aux Français ; surtout révélant un entre-soi avec les Français placés au mieux en figurants. Alors pourquoi faire de cette période, qui aurait dû n’être que la continuation politique, une "promesse" appelée "Cent jours d’apaisement, d’unité, d’ambitions et d’actions au service de la France" (3), avec ses trois chantiers assortis ? Quel intérêt ? Cela pour mettre en place quelque chose d’autre ? 

Comme cette réponse donnée aux "émeutes", dont les causes retenues ne seraient pas seulement la mort de Nahel causée par un tir de policier après son refus d’obtempérer, mais les jeux vidéos, et les réseaux sociaux. Ainsi, afin de lutter contre les pillages qui s’en sont suivis, il a été décidé pour les combattre de censurer les médias sociaux… En droite ligne, avec ce projet qui débutera le 25 août 2023, une nouvelle réglementation européenne concernant les réseaux sociaux, qui pourraient être coupés, pour cause de "contenus jugés problématiques". Qui sera conjugué avec le lancement par Macron des États généraux de l’information pour le mois de septembre 2023 afin de mettre en place "la ligne à déterminer sur la presse". Quand déjà l’agrément d’Anticor, l’association anti-corruption, a été retiré. Certainement les réponses à ce volet "Justice" ? Voire celui de "progrès" ? 

Pour le chantier "travail", a déjà été validé par le Sénat dans le cadre de "France-travail" - feu "Pôle emploi", feu ANPE, mais pas feu le-chômage-de-masse - une réforme du RSA. Qui sera présentée à l’Assemblée nationale à l’automne, mais déjà annoncée comme votée ! Reste que la réalité de sa mise en place est tellement déconnectée du terrain, en plus de faire crouler un peu plus l’économie française, qui rappellera que voté ne signifie pas réalisable, quand sa tentative de mise en place va vider encore plus les caisses de l’État. Sans nier non plus l’évidence d’un chaos supplémentaire quand il y aura cette prise de conscience que cette obligation de mi-temps gratuit imposé aux allocataires ne touchera pas que ces derniers, mais bien tout le marché de l’emploi ; de la préférence d’employer quelqu’un de gratuit à quelqu’un à qui il faudrait payer un salaire. Sans même aborder la notion d’éthique quand est ainsi normalisé le travail sans rémunération. 

Allocution ou pas allocution à l’issue de ces "Cent jours", nous sommes loin de l’apaisement promis. D’ailleurs les Français ont-ils intérêt à s’apaiser, plus exactement à se taire, et à accepter de tourner la page à chaque passage en force d’une nouvelle réforme contre leurs propres intérêts ? Qui veut un apaisement des Français, quand vient d’être signé un projet de loi de programmation militaire permettant les réquisitions des Français et de leurs biens, quant tout refus sera désormais sanctionné de peines de prison et de très fortes amendes ? Qui envoie des armes en Ukraine contre la Russie sans l’accord du Parlement ? Qui montre de plus en plus que l’éventualité d’une guerre est possible ? 

Les Français peuvent-ils se contenter de promesses aux contours flous, ces "Cent jours" s’apparentant plus à un slogan publicitaire qu’à une nouvelle direction du pays ? Rappelons que les promesses ne peuvent nous protéger d’une guerre, quand celles non-tenues nous y amènent assurément. Gouverner réellement un pays n’est-il pas s’engager toujours pour la paix ? N’est-il pas temps que les Français s’interrogent et décident ? Qu’ils se posent cette question fondamentale : 

Qui veut vraiment la Paix en France aujourd’hui ? 

  • Des Aphorismes et cætera, Laurence Waki* (le 17/07/2023) 

*Laurence Waki est écrivain et philosophe. Retrouvez ses textes sur son site internet.

Notes : 

(1) Pourquoi entre 35 % et 40 % des Français ne partiront pas en vacances cet été

(2) Les contours flous des "cent jours" d’Emmanuel Macron

(3) Macron ne s'exprimera pas le 14 juillet mais promet un "point" rapide de ses "100 jours"

(4) 100 jours : Macron s’exprimera avant la fin du mois, assure Véran, qui balaie un prochain remaniement


 

 

 

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