Les soubassements destructeurs du débat social sur l’euthanasie, partie 1/3 : le moteur de l’idéologie progressiste
TRIBUNE/OPINION - M. Olivier Rey, professeur de philosophie à Paris-I Panthéon-Sorbonne, observait récemment dans les colonnes du Figaro que « plus la crise s’aggrave, plus des droits inédits doivent être inventés, afin de donner l’impression que l’on continue envers et contre tout d’avancer, ʺd’aller dans le bon sensʺ » (1).
Le moteur de cette obsession inventive est le progressisme, lequel, en ce que l’on appelle l’Occident, est la dynamique de la modernité. Celle-ci, selon le Dictionnaire de l’académie française, exprime la recherche « d’un esprit nouveau, de goûts nouveaux », de ce qui « répond aux désirs, aux attentes du moment ».
Le progrès, ainsi réduit à ce qui est inédit et convoitable hic et nunc, est abstrait de toute référence à un bien ou à un mal. La modernité, en effet, repose philosophiquement et historiquement sur le nominalisme. Celui-ci nie l’existence de natures communes aux hommes.
Il n’y a donc pour lui ni vrai ni bien durables susceptibles d’être mesurés par une nature humaine, ni référence transcendante ailleurs que dans le positivisme légal. Le vrai, le bien, ne sont que ce que les lois ou les médias en disent, ou ce que le subjectivisme de chacun lui en fait entrevoir.
Les hommes, individus épars, ne sont dès lors unis que par la rencontre de leurs intérêts et de leurs désirs, que la modernité se fait fort d’aiguillonner sans relâche, avant d’en consacrer les satisfactions successives par le droit.
Pour fortifier cet empire de l’éphémère et du désir, l’idéologie progressiste, servie par une multitude de lobbies, impose, au nom de la modernité, ce que Richard Millet a appelé un « totalitarisme angélique », ce que d’autres appellent un « totalitarisme mou ».
Fort de la vocation millénariste qu’elle s’est attribuée, qui dissimule à peine, derrière le masque du « politiquement correct », sa lutte à mort contre ce qui reste de civilisation judéo-chrétienne, cette idéologie s’est muée en machine de guerre. Elle dissimule sa violence sous un moralisme permanent et sous le langage convenu de la bienveillance, de la tolérance, du sentimentalisme ou du vivre-ensemble.
Cette machine de guerre disqualifie et détruit ce qui est présumé « vieux », « ringard », « réactionnaire » : langage, écriture, éducation, histoire, familles, personnes, identités et mœurs. Elle tend à briser tous ceux qui, s’attachant à ce qui relève de la transmission vitale des sociétés, sont présentés comme les seules causes des maux sociaux qu’elle provoque elle-même.
« En même temps », elle impose, y compris par la violence des lois, des modèles de substitution déracinés. Ce qui est nommé « mariage homosexuel » n’en est pas le moindre exemple ; le wokisme en est un autre. Ces modèles sont proclamés nécessaires par le seul fait qu’ils s’intègrent dans une vision nouvelle de l’homme et du monde.
En quoi le progressisme d’aujourd’hui n’est rien d’autre que le transformisme d’hier. Tous deux confondent évolution constructive et destruction (2), à ceci près que le progressisme d’aujourd’hui, exploitant l’effondrement du christianisme, ne rencontre pratiquement plus aucune borne, pour porter ses destructions jusqu’au cœur de l’humanité elle-même.
L’idéologie progressiste ancre dès lors dans les esprits, par les puissants instruments publics dont elle dispose, institutionnels et médiatiques, qu’il n’y a de salut que dans son propre mouvement, qui se justifie par lui-même, et donc dans une fuite en avant permanente vers de nouvelles « libérations », sans lesquelles « on n’avance pas ».
Celles-ci ne se limitent plus à s’émanciper du christianisme par la raison, mais de la raison elle-même par les impératifs de désirs insatiables. Ceci explique, en particulier, l’émergence de plus en plus marquée de politiciens psychopathes semblant préférer le chaos à toute remise en cause de leurs marches suicidaires.
La promotion de l’euthanasie s’inscrit dans cette stratégie (partie 2/3 à suivre).
Notes :
(1) O. Rey, « IVG dans la Constitution, euthanasie… Plus les crises s’aggravent, plus le progressisme invente des droits », FigaroVox, 16 mars 2023.
(2) « La véritable évolution constitue un progrès, non un recul. C’est un acte d’édification, et pas de destruction. Elle implique un certain accroissement, une certaine expansion et une rénovation vitale. Elle exclut ce qui est dommageable, ce qui déprécie, démolit, dissout. En d’autres termes, elle exclut la transformation mortifère, laquelle détruit les éléments vitaux sous prétexte de les remplacer par des nouveautés artificielles, comme ont toujours tenté de le faire les faux réformateurs » (J. G. Arintero, Desenvolvimiento y vitalidad de la Iglesia, Madrid 1974, t. 1, Evolución orgánica, pp. 1 ss.
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