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TRIBUNE — Il ne faut pas confondre le fait de ne pas comprendre et celui de faire semblant de ne pas comprendre. Les événements et les comportements paraissent illogiques, mais seulement vis-à-vis d'une interprétation mal choisie. Les nuls en maths qui nous gouvernent et nous dominent ignorent que la science, celle qui fonde le stoïcisme sous le nom de logique, est pour paraphraser Bourdieu un sport de combat. Pour le stoïque, le bonheur est dans la vertu, la fermeté de l'âme, mais aussi dans l'édification de l'esprit. Il sait que l'adéquation de la forme au fond se décompose en deux principes :
- la correction : si le discours est sensé, alors la chose qu'il évoque doit être avérée ;
- la complétude : si un événement advient, alors le discours doit en rendre compte fidèlement.
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Le fond nous est imposé : il s'agit de la Nature, du monde réel. Le discours, nous le choisissons plus ou moins librement, et nous le subissons aussi, la plupart du temps quand il émane des élites. Nous constatons que la logique du discours politique est toujours complète : les responsables ont toujours quelque chose à dire sur tout et toujours dans un but précis. Mais la correction n'est quasiment jamais de mise : « Les chômeurs ne veulent pas travailler », « Il n'y a pas de persécutions en Palestine », « Un virus étrange va décimer la planète », « Les vaccins à ARN sont sûrs et efficaces », « Poutine est le nouvel Hitler », « l'OTAN est le camp du Bien », etc. Tout cela n'a aucune contrepartie dans le monde réel.
Le premier réflexe est de se dire que c'est la logique qui est mise en défaut. Le problème devient philosophique : nous sommes des êtres modestes mis face à un monde bien trop complexe. L'intellectuel devient l'interlocuteur privilégié. Après étude attentive, en acceptant le pragmatisme inhérent aux clans humains, il apparaît que la contradiction n'est qu'une façade. Le discours est choisi non pas en fonction de sa faculté à décrire le réel, mais à celle de le maquiller afin de faire croire que le réel est autre. Le problème devient politique : nous sommes des êtres de désir mis face à des événements qui nous frustrent. Nous voulons que certaines personnes croient que la réalité est telle qu'elle protège nos intérêts. L'interlocuteur privilégié est alors le militant.
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On constate la duplicité des élites en les écoutant, tout simplement. La position de Dominique de Villepin, quand il dénonce l'hypocrisie de l'OTAN sur un plateau de télévision (C dans l'air, 6 mars 2022), prouve que les élites ne sont pas dupes : elles savent très bien que l'OTAN est un club de charognards semant la guerre depuis sa création pour accaparer les richesses des nations. Quand le même de Villepin vendait à une jeunesse sacrifiée un contrat de travail léonin (le CPE, Contrat de Première Embauche), il savait très bien quel camp il servait.
Il n'est pas nécessaire d'être stoïque pour assister à la faillite de la vertu et constater l'absence d'âme de ces élites qui nous mentent en permanence pour voler le peuple et engraisser leurs compères. Elles ont formé un pacte mafieux pour piller la communauté. Voilà, c'est simple finalement. On peut habiller le raisonnement des oripeaux de la science, la réalité reste la même quand on l'énonce sans filtre. John Buchan écrivait la même chose dans son roman « La centrale d'énergie » :
« La civilisation est une conjuration. La vie moderne est le pacte informulé des possédants pour maintenir leurs prétentions. Et ce pacte sera efficace jusqu'au jour où il s'en fera un autre pour les dépouiller. »
En tant que gouverneur du Canada pour le compte du roi d'Angleterre, Buchan prenait évidemment le parti des élites : c'est le méchant du roman qui prononce ces mots. L'Enfer, c'est la volonté populaire. Le Diable est celui qui prend aux riches pour rendre aux pauvres. Quant aux anges, ils massacrent les démons.
L'équilibre humain n'est pas différent des écosystèmes naturels. Il y a des prédateurs et des proies qui mènent une lutte éternelle. La Nature trouve d'elle-même le point d'équilibre. Et quand elle échoue à le trouver, les espèces inadaptables disparaissent. Sous la plume de Lord Buchan, baron Tweedsmuir, le peuple volontaire est maléfique, voué à la damnation. Dans celle de Frédéric Bastiat, défenseur des droits, la même conjuration prend un tout autre sel :
« Lorsque la spoliation est devenue le moyen d'existence d'une agglomération d'hommes unis entre eux par le lien social, ils se font bientôt une loi qui la sanctionne, une morale qui la glorifie. »
(Sophismes économiques, deuxième série - Physiologie de la spoliation)
Les intellectuels ne sont que les porte-voix des élites ; ils sont chargés par ces dernières d'énoncer l'idéologie du pillage et de faire accepter la morale de la spoliation au public. Les médias et les hommes politiques nous noient littéralement sous la peur et la violence, nous promettent la maladie, la guerre et la famine, s'en réjouissent même, et interdisent à quiconque d'oser rêver à un peu de liberté, de tranquillité ou même de respect. Toute voix dissidente reçoit la muselière. Il faut donc louvoyer pour se faire écouter, crypter son discours pour le rendre apparemment inoffensif pour le pouvoir en place.
On ne doit alors pas s'étonner de voir la réalité poisseuse des rapports sociaux imprégner autant les œuvres de Cour que les fictions de divertissement. Le professeur de logique Charles Dodgson, écrivain dilettante sous le nom de Lewis Carroll, révélait lui aussi un pan de cette réalité indicible en faisant jacasser son Gros Coco. Les plateaux de télévision, les ministères, les prétoires, tous ces coquetiers géants regorgent de Gros Coco :
« - Quand, moi, j'emploie un mot, déclara le Gros Coco d'un ton assez dédaigneux, il veut dire exactement ce qu'il me plaît qu'il veuille dire... ni plus ni moins.
- La question est de savoir si vous pouvez obliger les mots à vouloir dire des choses différentes.
- La question est de savoir qui sera le maître, un point c'est tout. »
(De l'autre côté du miroir, 1871)
Le stoïcien de culture populaire (qu'on appelle en terme moderne un « geek »), lui aussi friand de nectar philosophique, se remémorera avec gourmandise l'épisode 1 de la saison 8 des Simpson : « Citizen Kang ». Kang et Kodos, deux calamars extraterrestres verts et visqueux, veulent envahir la Terre. Ils kidnappent Bill Clinton et Bob Dole alors en lutte pour la présidence des États-Unis, les éliminent sommairement, puis enfilent leur peau comme déguisement dans le but de se faire élire à leur place. Ils sont finalement démasqués pendant un débat électoral par Homer Simpson, un autre philosophe bien connu, qui révèle à la foule leur véritable nature de cyclope à tentacules. Les deux affreux rétorquent au public : « C'est un système bipartite : vous devez voter pour l'un de nous deux ! » La démocratie est ainsi. Finalement, Kang est élu et l'Humanité asservie. À la fin de l'épisode, Marge Simpson se plaint des coups de fouets qu'elle reçoit de son contremaître et Homer lui répond : « Je n'y suis pour rien, j'ai voté pour Kodos ! »
Un bête dessin animé libéra, un soir à une heure de grande écoute, un concentré de cynisme et de lucidité. Encore une fois, la réalité crue imposa sa main froide au public abruti de télé à travers une œuvre jugée anodine. Mais à l'ère de l'information, même la contestation a été récupérée : tout est spectacle, rien n'a de sens. Tout se vend, tout se vaut. Achetez le DVD, puis allez voter ! Quand vous vous retrouverez à devoir choisir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, les clones français de nos deux céphalopodes poisseux, quand vous aurez bien cher payé le ticket de ce cinéma sordide, vous ferez comme Homer : vous voterez Kodos et la démocratie triomphera.
Il est encore temps de choisir son camp. Mais il demeure un problème, toujours le même : le camp du peuple n'a jamais de candidat aux élections. Les élites y veillent avec attention.
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