Demander au peuple de trancher
CHRONIQUE - La lecture de la presse avec quelques semaines ou, mieux, quelques mois de retard, ne manque jamais d'intérêt et réserve parfois des surprises. Dans le cas présent, il s'agit de la relation de propos tenus, ou bien avant le premier tour des élections législatives des 12 et 19 juin derniers, ou bien dans l'entre-deux-tours.
Cette chronique débute par les déclarations du président de la République et se poursuit par les commentaires d'un politologue et d'un journaliste. La conclusion est empruntée au fondateur de la Vème République.
Emmanuel Macron : "Comme le commandent nos institutions"
Nous sommes le 9 juin, quelques jours avant le premier tour du renouvellement de l'Assemblée nationale. Fraichement - dans tous les sens du terme ! - réélu, le président de la République bat la campagne dans le Tarn. "Si l'élection du président de la République est cruciale, dit-il, l'élection des députés est décisive (...). Dans cette période délicate, il faut à la France de la cohérence, de la compétence et de la confiance". Sentant vraisemblablement un mauvais vent venir, il évoque "un instant grave qui n'a rien à voir avec des temps ordinaires" et en appelle à la logique de la Vème République : "Ce que je veux conduire (...) nécessite, comme le commandent nos institutions, une majorité forte et claire à l'Assemblée nationale".
Le moins que l'on puisse dire, c'est que son appel n'a guère été entendu lors du premier tour de scrutin. Le 14 juin, il hausse le ton en présentant l'enjeu du second tour : "Parce qu'il en va de l'intérêt supérieur de la nation, je veux aujourd'hui vous convaincre de donner, dimanche, une majorité solide au pays". Le 19 juin est aussi décevant pour lui que le 12 juin. Point de "majorité forte et claire à l'Assemblée nationale", point de "majorité solide". Une simple majorité relative, conséquence sans doute de la confiance relative accordée par le peuple français au président sortant le 24 avril 2022.
Jérôme Jaffre : un règlement de comptes
Au vu du résultat du premier tour, le politologue est amené à commenter la situation politique et à analyser "le sens général de ce vote" pour Le Figaro du 13 juin. Sa réponse est sans équivoque : "Il s'apparente à un vote sanction, comme si nous étions à mi-mandat et pas deux mois après une présidentielle. Tout se passe comme si, dimanche, les électeurs avaient jugé l'action du président et de sa majorité sur les cinq années écoulées et pas en pensant à l'avenir. Comme si l'électorat réglait ses comptes, ce qu'il n'avait pas pu faire lors de la présidentielle (...). S'est exprimée dimanche la volonté de refuser au président une majorité à sa main pendant cinq ans pour gouverner comme il l'entend".
La pertinence de l'analyse est confirmée par les résultats du second tour des élections législatives. Et il est clair, aujourd'hui, qu'Emmanuel Macron ne dispose pas des moyens "pour gouverner le pays comme il l'entend".
Guillaume Perrault : gouverner avec une majorité relative, c'était avant.
Si le chef de l'État ne peut pas "gouverner comme il l'entend", c'est qu'en dépit du soutien qu'il lui apporte désormais, Nicolas Sarkozy a rendu un bien mauvais service à Emmanuel Macron en initiant la révision constitutionnelle de juillet 2008, consacrée notamment à la limitation du recours à l'article 49-3, désormais possible uniquement pour l'adoption du budget de l'État, de la loi de financement de la Sécurité sociale et d'un seul autre projet de loi au cours d'une même session parlementaire.
Dans Le Figaro du 13 juin, Guillaume Perrault rappelle qu'en 1960, Michel Debré, alors Premier ministre du général de Gaulle, a dû "recourir trois fois à la procédure prévue à l'article 49-3 de la Constitution pour faire adopter le programme visant à créer une force de dissuasion nucléaire". Il souligne ensuite qu'en 2008, "l'Élysée semblait avoir oublié que le "49-3" avait été inséré dans le projet de Constitution de la Vème en 1958 à l'instigation des chefs de parti de la IVème République - Guy Mollet (SFIO), Pierre Pflimlin (MRP) -, très conscients, après leur passage à Matignon, de la nécessité d'accorder de nouvelles prérogatives à l'exécutif".
Il en conclut, à fort juste titre : "Ainsi fut fragilisée une arme essentielle de l'exécutif (...). La situation d'un chef de gouvernement sans majorité absolue le soir du 19 juin serait donc infiniment plus fragile que celle d'un Michel Rocard jadis", lui qui eut recours à l'article 49-3 à vingt-huit reprises en trois ans.
La fragilité du pouvoir issu des urnes de juin 2022 éclate au grand jour. Emmanuel Macron a commis une grave erreur d'analyse en pensant que l'anesthésie du peuple français, à la faveur du Covid et des confinements, lui ouvrait une voie royale pour un second mandat sans embûches. Il en est réduit à des manœuvres - que ne "commandent" certainement pas nos institutions, pour reprendre ses mots - en vue "d'élargir sur sa droite la majorité présidentielle, une question de survie", écrivait encore Guillaume Perrault.
Le vrai fonctionnement de la démocratie
Hasard d'une recherche cette fois-ci, et non pas retard dans des lectures, je retrouve une déclaration du général de Gaulle qui s'applique, trait pour trait, à la situation politique de notre pays.
Dans l'opposition à la IVème République, alors qu'il préside le Rassemblement du Peuple Français (RPF), le général de Gaulle définit "le vrai fonctionnement de la démocratie" dans une conférence de presse, le 1er octobre 1948 : "Je crois qu'en France la meilleure Cour suprême, c'est le peuple et que, lorsqu'il y a divergence ou impossibilité d'accorder le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, ou bien lorsque le pouvoir législatif ne parvient pas à dégager une majorité - ce qui est très souvent le cas chez nous pour beaucoup de raisons et notamment des raisons de tempérament - le meilleur arbitre est alors le peuple. Il faut se résoudre à demander au peuple de trancher. C'est cela, le vrai fonctionnement de la démocratie".
10 ans plus tard, la Constitution de la Vème République organise ce "vrai fonctionnement de la démocratie" en donnant au chef de l'État le pouvoir de dissoudre l'Assemblée nationale, afin de permettre au peuple souverain d'exercer sa fonction d'arbitrage. En cette fin d'année 2022, l'"impossibilité d'accorder le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif" est latente, et il est évident que "le pouvoir législatif ne parvient pas à dégager une majorité". Tôt ou tard, le président de la République devra donc "se résoudre à demander au peuple de trancher".
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