La condamnation de la représentation proportionnelle

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Alain Tranchant, pour FranceSoir
Publié le 08 novembre 2022 - 14:50
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"Sans doute "hygiénique" aurait dit Raymond Barre, c'est le mot qu'il employait à propos de la cohabitation."
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CHRONIQUE - La vie politique réserve parfois des surprises, et des surprises de taille. À l'évidence, nul n'aurait pu prévoir que les élections du printemps 2022 déboucheraient sur une situation tellement insaisissable que le pouvoir ne sait pas aujourd'hui s'il doit tenter de gouverner vaille que vaille, ou provoquer de nouvelles élections par la dissolution de l'Assemblée nationale.

Çà et là, on peut entendre, ou on peut lire, que la Constitution de 1958 a été conçue pour permettre un gouvernement du pays sans majorité absolue à l'Assemblée nationale. C'est d'abord méconnaître l'apport incomparable du scrutin majoritaire pour la formation d'une majorité cohérente et stable. Six décennies de Vème République en ont apporté la démonstration éclatante. C'est ensuite oublier que, depuis la révision constitutionnelle de 2008, le pouvoir ne dispose plus, à sa guise, de l'arme du 49-3 à répétition, preuve, s'il le fallait, que l'on ne doit toucher à une Constitution que d'une main tremblante.

Quel que soit le devenir de cette Assemblée issue des urnes de juin 2022, une leçon peut dès maintenant être tirée de cette conjoncture politique quant au mode de scrutin utilisé pour l'élection des députés.

Le scrutin majoritaire est, depuis 1958, consubstantiel à la Vème République. La représentation proportionnelle est attachée à la IVème République et à l'instabilité ministérielle qui en a été la marque principale.

Une seule fois, la représentation proportionnelle a été utilisée au cours des 64 ans de la Vème République. C'était en 1986. Pour éviter une déroute électorale, François Mitterrand avait fait voter le retour au scrutin de la IVème République par les députés socialistes en fin de mandat. En dépit de la représentation proportionnelle, ses opposants avaient obtenu une majorité absolue, ce qui montrait bien le rejet massif dont le pouvoir socialiste était alors l'objet. Il s'en est suivi une première cohabitation, avec Jacques Chirac à l'Hôtel Matignon.

Par un curieux paradoxe, en ce printemps 2022, il n'a été nul besoin du mode de scrutin proportionnel pour que l'Assemblée nationale se retrouve sans majorité absolue. C'est au scrutin majoritaire que cette Assemblée a été renouvelée. Et c'est bien parce qu'il n'existe pas de véritable majorité au Palais Bourbon que l'on assiste actuellement à des tentatives - à ce jour infructueuses - de formation d'une majorité de gouvernement en associant au pouvoir des adversaires de la veille.

Avec le scrutin majoritaire, les coalitions se forment avant les élections, sur la base d'un accord sur les grandes orientations d'une politique. C'est en toute clarté que le corps électoral se prononce. Avec la représentation proportionnelle, les combinaisons politiques ont lieu après le scrutin, elles peuvent durer des mois, comme on l'a vu en Allemagne ou en Italie, il y a quelques années. Le choix de l'électeur devient alors subalterne. Ce sont des tractations entre les partis qui amènent à la formation d'une majorité.

Pour les partisans du scrutin majoritaire et de la Vème République, l'expérience en cours est du plus grand intérêt. Les Françaises et les Français ont en effet, sous les yeux, une vie politique caractérisée par une Assemblée de type scrutin proportionnel, sans majorité absolue. Chacun peut mesurer les limites de l'exercice, et il n'est pas étonnant que l'idée d'une dissolution, suivie d'un retour devant les électeurs, revienne aussi fréquemment dans les débats.

En revanche, pour les tenants de la représentation proportionnelle à petite dose, à moyenne dose, ou à haute dose - et ils sont nombreux, et ils sont étrangement silencieux ! - la situation actuelle est lourde de conséquences. Il va leur être difficile d'expliquer au peuple français que l'on peut durablement, et valablement, gouverner la France avec une Assemblée nationale sans vraie majorité. Or, c'est le propre du scrutin proportionnel de ne pas permettre la formation d'une majorité de soutiens au président de la République et à son gouvernement.

Les faits sont là, et ils sont autant d'arguments difficiles à contester. À différentes reprises, le président de la République lui-même s'est fait le chantre d'un mode de scrutin "en même temps" majoritaire et proportionnel. Dans l'hypothèse d'une dissolution de l'Assemblée nationale, sans doute inéluctable, et dans l'ambiance du moment, instruit par l'expérience en cours - sans doute "hygiénique" aurait dit Raymond Barre, c'est le mot qu'il employait à propos de la cohabitation - il paraît peu probable qu'Emmanuel Macron fasse voter un changement de la loi électorale avant de renvoyer les députés vers leurs électeurs. C'est la condamnation, en bonne et due forme, de la représentation proportionnelle.

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