Jean-Luc Mélenchon, un désillusionné à la quête de sa VIe République
PORTRAIT CRACHE - De l'UNEF à la fondation de La France Insoumise, le chemin politique de Jean-Luc Mélenchon est un véritable tourbillon de dissidences, de réactions colériques et d'ambitions présidentielles. Entre luttes étudiantes, dissidences socialistes et controverses médiatiques, le trublion n'a jamais manqué d'être au cœur de l'action. Mais malgré ses coups d'éclat, ses affaires judiciaires et ses idées radicales, le succès électoral échappe au Don Quichotte de la VIe République.
Après avoir obtenu son baccalauréat en 1969, rejoint l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) dès son entrée à la faculté des lettres et sciences humaines de Besançon. De 1972 à 1976, il dirige l'organisation communiste internationaliste (OCI) dans la même ville, participant activement aux luttes étudiantes et ouvrières sous le pseudonyme de “Santerre”. Durant cette période, il exerce divers emplois, notamment comme correcteur pour une imprimerie et ouvrier dans une usine horlogère. Il obtient le CAPES de lettres modernes et entame une carrière d'enseignant à Lons-le-Saunier. En 1976, adhère au Parti socialiste (PS) et devient directeur de cabinet du maire de Massy (Essonne) en 1978. Son engagement politique prend également une dimension maçonnique ; il rejoint, comme son père et son grand-père avant lui, la loge Roger Leray du Grand Orient de France, axée sur la défense de l'idéal républicain et de la laïcité.
Une gauche aussi “molle” que ses principes ?
Il est élu sénateur en 1986 et cofonde avec Julien Dray, deux années plus tard, la Gauche socialiste, courant vivement opposé à la politique d'ouverture de la seconde présidence de François Mitterrand et hostile à la “gauche molle” de Michel Rocard. Il s'oppose également à l'entrée de la France dans la première guerre du Golfe. En 1992, il soutient le traité de Maastricht, considérant la monnaie unique comme un instrument de progrès pour l'Europe, mais ne tardera pas à changer d’avis.
Longtemps mitterrandiste, Mélenchon, opposant, certes, mais surtout opportuniste, finit en 1993 par soutenir Michel Rocard et son accession au poste de premier secrétaire du PS. L’ancien enseignant accède à la tête du parti, comme chargé de presse. Rocard, à ses yeux, incarne le changement, que le meneur de la Gauche socialiste voit dans les efforts de l’ancien Premier ministre de réunir la gauche, communistes et écologistes inclus. La gauche de Rocard n’est plus molle, finalement.
Quatre ans plus tard, Jean-Luc Mélenchon estime que son heure est arrivée. Il se porte candidat au poste de premier secrétaire du PS lors du congrès de Brest pour succéder à Lionel Jospin. Il est le concurrent de François Hollande et celui-ci le terrasse, ne lui cédant que 8,81% des voix. Une première humiliation pour Mélenchon qui sonne le début d’une dissidence de plus en plus radicale.
Crédits : ARA
Il est le seul sénateur, en 1998, à s’opposer au projet de loi sur l’intégration de la Banque de France au système européen des banques centrales et à la résolution sur le passage à l’euro. Étrange, la monnaie unique n’est tout d’un coup plus un instrument de progrès... Soutenu par les partisans du courant de la Gauche socialiste, il s’exprime contre le traité d’Amsterdam, peu ambitieux, à ses yeux, en matière d’économie sociale et surtout, “dangereux” pour le “modèle français” et pour “la démocratie”.
Contre toute attente, Lionel Jospin, alors Premier ministre, nomme le plus farouche de ses opposants au PS au poste de ministre délégué à l’Enseignement professionnel, auprès du ministre de l’Education nationale, un certain Jack Lang. “Ce n'est pas mieux qu'au Sénat (...) Ce n'est pas plus dur d'être dans un gouvernement en étant en désaccord avec certaines choses que d'être dans un groupe parlementaire et de voter pour un texte alors que l'on est contre”, dit-il aux journalistes. Durant son mandat, il participe à réformer les certificats d’aptitude professionnelle (CAP), la validation des acquis et à créer le label “lycée des métiers”.
En 2002, après la défaite de Lionel Jospin à la présidentielle de 2002, il quitte ses fonctions. Tout comme après son échec quant à prendre la tête du PS, il fonde cette fois-ci, avec un ex-SG du parti, Henri Emmanuelli, le courant Nouveau Monde. Celui-ci ne survivra pas au référendum sur le projet de traité établissant une Constitution européenne. Après la victoire du “Oui” au sein du PS, Jean-Luc Mélenchon fait campagne avec d’autres figures socialistes pour le “non”, faisant éclater le courant.
Après trois années de tensions intestinales avec François Hollande, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, entre autres, marquées par de nombreuses tentatives d’unifier les tendances de la gauche, le sénateur fonde le Parti de gauche (PG) en 2009, se fait élire président du bureau national et coprésident d’un parti qui se dit “anticapitaliste”, qui prône l’écologie, l’altermondialisme, la décroissance et le développement d’énergies alternatives.
Première épreuve et premier succès pour le PG aux européennes 2009, à l’issue desquelles Jean-Luc Mélenchon devient député européen, grâce, selon des observateurs, à un petit coup de pouce de ses réseaux.
Toujours opposant, jamais président
Il est dans la foulée pressenti pour être candidat à la présidentielle de 2012 et fait de son pamphlet “Qu’ils s’en aillent tous !” son programme. Il est officiellement candidat en 2011 et les tendances de gauche le soutiennent, à défaut du PS qui opte pour Dominique Strauss-Kahn. Les sondages lui attribuent au fur et à mesure un taux croissant d'intentions de votes, dépassant même Marine Le Pen. Son omniprésence médiatique ne suffit pas à le faire élire, il se fait éliminer dès le premier tour avec seulement 11,10% des voix.
Défaite aux législatives de 2012 dans le Pas-de-Calais, à présent, le “renouveau” ne vient pas de la dissidence mais de l’opposition à François Hollande, élu à la tête du pays. L’eurodéputé multiplie les appels à manifester, plaide en bon “socialiste” de la “gauche traditionnelle”, pour la “révolution citoyenne” et pour une “assemblée constituante” en vue d’établir la “VIe République”.
Jean-Luc Mélenchon se retire en 2014 de la co-présidence du PG et annonce, en 2016, sa candidature à la présidentielle mais cette fois-ci “hors cadre de partis”, c’est-à-dire en tant que candidat libre. Il lance La France Insoumise (LFI) pour financer sa campagne, qui reçoit le soutien du Parti communiste français et de la formation qu’il a cofondée.
Comme à l’accoutumée, l’eurodéputé accapare les médias et occupe cette fois-ci, les réseaux sociaux particulièrement YouTube pour faire entendre ses idées. Les sondages le donnent devant François Hollande et son Premier ministre, Manuel Valls. Son programme, pour cette nouvelle tentative, détaille celui de 2012 : sortir des traités européens, se diriger vers la transition énergétique et établir la VIe République.
Certes, les volets sociaux et écologiques de son programme suscitent l’adhésion, confortée par les faveurs des ONG sur ces questions. Mais l’image socialiste, révolutionnaire, voire trotskiste de Mélenchon n’attire pas les foules. Ses plans pour une certaine politique extérieure de la France font grincer les dents. En somme, quitter l’OTAN et “réchauffer” les relations avec la Russie, lui qui était déjà opposé à une “ingérence étrangère” des puissances mondiales en Syrie, une “erreur totale” disait-il, comme cela était le cas en Irak.
Hostile à l’impérialisme américain, “le responsable principal du mal, du désordre, des tentatives de guerre civile, il affirme être “en campagne contre la diabolisation de Vladimir Poutine”. Il défend, en outre, les lanceurs d’alerte Julian Assange et Edward Snowden, se disant favorable à leur apporter l’asile en France.
Pour la presse de droite, le programme de Jean-Luc Mélenchon est “délirant”. Il est qualifié “d’apôtre des dictateurs révolutionnaires” et les réunions de La France Insoumise sont comparées à celles du FN. Il est, en outre, qualifié de “Chavez français”, en raison de son intérêt pour les dirigeants de l’Amérique latine, leurs expériences ... et leurs idées ? Son rapport avec les médias se dégrade.
Devant une telle campagne, il s’en prend personnellement à deux journalistes du quotidien Le Monde, accusés en 2016 de faire du “Mélenchon bashing”. Un des journalistes, Paulo Paranagua, n’est, à ses yeux, qu’une “muse de la CIA” qui serait “très actifs dans les réseaux des putschistes et réactionnaires latinos et de leurs amis nord-américains”. Le journaliste, accusé par la suite d’être un “criminel repenti qui tirait sur des agents de police et des gardiens de banque”, porte plainte mais l’affaire est vite classée sans suite, après une erreur de procédure.
Jean-Luc Mélenchon ne fait pas mieux qu’en 2012 et termine à la quatrième position avec 19,58 % des voix, derrière Emmanuel Macron (24,01 %), Marine Le Pen (21,30 %) et François Fillon (20,01 %). Beaucoup de bruit pour rien. Le socialiste, qui peut se consoler avec un siège de député à l’issue des législatives de 2017, se radicalise peu à peu et fait surtout parler de lui par les controverses et les affaires judiciaires.
Un dissident virevoltant, malaise ses réseaux...
En mai 2018, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire pour déterminer si des règles de financement de la campagne ont été violées. L'association L'Ère du peuple, chargée des événements de LFI et Mediascop, chargée de sa communication digitale, sont dans le viseur. Une perquisition, qui reste dans les annales, a lieu en octobre 2018. Présent sur les lieux, Jean-Luc Mélenchon appelle ses militants à enfoncer la porte des locaux, bloquée par les policiers. Il souffle le chaud et le froid, hurlant “La République, c’est moi !, aux visages des agents des forces de l’ordre avant de se calmer enfin, affirmant que lui et les siens sont “des gens honnêtes” et non “violents”. La perquisition sera justement interrompue en raison des violentes altercations. Le Parquet de Paris se saisit de l’affaire.
Jean-Luc Mélenchon est accusé de “menaces ou actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire” et de “violences sur personnes dépositaires de l'autorité publique”. Il sera condamné en septembre 2019 à trois mois de prison avec sursis, et 8 000 euros d’amende.
Une nouvelle échéance présidentielle approche et le député annonce, en novembre 2020, en pleine pandémie de COVID, une autre candidature à la présidentielle de 2022. Celui qui appelait à lever les brevets sur les vaccins et dénonçait la mise en place du pass sanitaire, comme une “restriction considérable des libertés”, n’en démord pas et reprend la feuille de route de 2012 et 2017 : il prône toujours la sortie de la France de l’OTAN et un rapprochement avec Moscou... dont il recommande, par ailleurs, les vaccins anti-COVID, bien que ceux-ci soient, à ses yeux, tout de même “une raquette trouée”.
Il est, comme à son habitude, grâce à une offensive médiatique féroce, devant les autres candidats de gauche. Il bénéficie du “vote utile” des autres tendances mais ne passera pas le premier tour, avec 21,95% des voix.
Il réussit, néanmoins, à “rassembler” la gauche, y compris le PS, à travers la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES), dont l’objectif est d'accaparer un maximum de sièges à l’Assemblée pour priver Emmanuel Macron d’une majorité parlementaire. Réunir est une chose, fédérer en est une autre. Et bien qu’il ne bénéficie d’aucun mandat, son influence au sein de LFI et des NUPES provoque des tensions intestinales, aggravées par ses positions sur les actualités internationales comme l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier en Israel. Il est entre-temps condamné encore une fois pour avoir traité des journalistes de Radio France de “menteurs”, “abrutis” et de “tricheurs”.
Ses sorties médiatiques, ses accès de colère et ses positions, sur la Russie ou les pays sud-américains, suscitent le malaise, aussi bien au sein de LFI que de sa loge maçonnique, où il sera poussé vers la sortie. Doit-on s’attendre à une autre candidature en 2027 ? Jean-Luc Mélenchon, qui maintient ses appels à quitter l’OTAN et à négocier avec Vladimir Poutine, entend profiter des européennes de juin pour préparer une candidature. Pour un meilleur résultat ? S’il reste la figure de gauche de l’opposition, les sondages le donnent loin derrière Marine Le Pen, Edouard Philippe, Gabriel Attal ou même François Ruffin, député LFI.
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.