Faut-il dissoudre le Bastion social, Combat 18 et Blood and Honour ?
Emmanuel Macron a annoncé au 34e dîner du CRIF de mercredi 20, parmi d'autres mesures destinées à lutter contre l'antisémitisme, la dissolution de trois associations d'extrême droite radicale: le Bastion social, Blood and Honour et Combat 18. Au-delà de la très forte diversité de ces mouvements, pour certains néonazis revendiqués, quelle peut être l'utilité d'une telle mesure?
A l'occasion de son discours au 34e dîner du CRIF, mercredi soir, Emmanuel Macron a annoncé des actes "tranchants" destinés à "tracer de nouvelles lignes rouges" contre l'antisémitisme. Outre l'élargissement de la définition de l'antisémitisme pour y inclure l'antisionisme (sans changer la loi toutefois) et la la loi Avia contre la haine sur Internet, le président a également annoncé avoir "demandé au ministre de l'Intérieur d'engager des procédures visant à dissoudre" trois associations d'extrême droite radicale qui "nourrissent la haine, promeuvent la discrimination ou appellent à l'action violente".
Dans le viseur du chef de l'Etat: le Bastion social, Blood and Honour Hexagone et Combat 18. Le premier de ces groupuscules, le Bastion social, est fort d'une centaine de membres réellement actifs et est l'héritier du fameux Groupe union défense (GUD). Fondé par d'anciens militants d'Occident -du milicien Pierre Sidos- le GUD est un groupuscule violent ouvertement néo-fasciste, raciste et antisémite. En perte de vitesse depuis des années, le groupe a opéré un tournant en 2016-2017 pour renaître sous le nom de Bastion social et passer à des moyens d'action présentés comme plus "sociaux", par exemple des maraudes d'aides aux SDF mais uniquement s'ils sont Français.
Bien qu'il se soit placé sous le patronage du négationniste et théoricien du nationalisme révolutionnaire François Duprat, le Bastion social a pris un tournant désormais plus islamophobe et antimigrants, plus raciste, qu'antisémite. La haine du "sioniste", qui dirigerait notamment un "complot mondial immigrationniste" destiné à remplacer les peuples (la théorie du "Grand remplacement"), y est toutefois encore très présente, héritage du GUD oblige.
Lire: Qu'est-ce que le Bastion social que Macron veut dissoudre?
A l'inverse, les groupuscules Blood and Honour (pour "sang et honneur", BH) et Combat 18 (C18) -en réalité une scission du premier- sont des groupes réellement néonazis. Le nom du premier est directement lié à la devise des Jeunesses hitlériennes "Blut und Ehre" ("sang et honneur" également). Ils recrutent dans les milieux des skinheads racistes, sont adeptes de musique RAC (pour "rock against communism"), de paganisme et surtout de violence. Parmi ces groupes proches du (petit) mouvement évoluant sous la bannière BH on retrouve par exemple "Fraction", où a chanté le "monsieur communication" de la campagne du RN pour les européennes Philippe Vardon.
Le C18 est peut-être encore plus radical: "We are a terrorist organization" ("nous sommes une organisation terroriste"), annonce ainsi son site. Le "1" et le "8" du nom du groupe correspondent aux première et huitième lettres de l'alphabet, soit "A" et "H": les initiales d'Adolf Hitler.
Le groupuscule est pourtant resté relativement discret avant d'être plus ou moins mis en sommeil vers 2015 suite à la condamnation d'une de ses figures, Marc Bettoni, pour d'énièmes faits de violence graves. Aujourd'hui, Marc Bettoni est membre du Gremium Mottor France de Serge Ayoub, alias "Batskin", figure historique du mouvement skinhead raciste en France.
Voir: Attaque de l'Arc de Triomphe: qui est "Sanglier", ex-JNR proche d'Ayoub et incarcéré
Groupusculaires, ces trois associations sont inégalement actives. BH et C18 font ainsi très peu parler d'elles ces dernières années, et ne relèvent même pas de groupes réellement constitués. Leur dissolution relèverait ainsi plus du symbole, souligne l'historien et spécialiste de l'extrême droite radicale Nicolas Lebourg qui note que les dernières violences ou publications directement liées à ces deux groupuscules datent de plusieurs années.
Le Bastion social, plus "neuf", multiplie pour sa part les actions. Une est en cours en Alsace où le groupe occupe en ce moment même deux maisons appartenant à la commune d'Entzheim. Il s'agit ainsi de "défendre le patrimoine alsacien" et de rénover les bâtisses pour loger "des SDF français" (uniquement). Une déclinaison par les ex-gudards du slogan identitaire "les nôtres avant les autres", en alliant identitarisme et nationalisme.
En parallèle, le Bastion social reste un mouvement profondément violent, adepte du coup de poing. Nombre de ses membres ont été condamnés pour des agressions et les jours d'ITT de leurs victimes se comptent parfois par dizaines (fracture de la mâchoire, de la jambe...). Des victimes qui ont parfois eu le simple malheur de passer par là au mauvais moment et d'avoir la "mauvaise" couleur de peau. Plus récemment, des membres du Bastion social alliés à membres de la déclinaison parisienne informelle du mouvement, les Zouaves Paris, et des hooligans racistes ont également fait le coup de poing dans les cortèges de Gilets jaunes. Son chef Valentin Linder est connu pour ses photos arme automatique au poing.
Le Bastion social correspond ainsi bien aux critères légaux encadrant la dissolution, souligne Nicolas Lebourg. Mais est-ce la solution? "Le Bastion social est en quelque sorte «occupé» par son activité associative", développe le chercheur membre de l'Observatoire des radicalités. L'investissement des militants pour gérer les locaux, s'organiser, les pousse à plus de prudence pour ne pas tout remettre en cause. "Quand Ordre nouveau (autre groupe héritier d'Occident, comme le GUD, NDLR) avait ouvert son local à Paris, ils produisaient même des notes intimant à ses troupes d'être polies avec les voisins. Il s'agissait de présenter un visage «gentil», sachant qu'un journaliste viendrait bien enquêter un jour...".
"Gentil" le Bastion social? "Surtout fasciste, violent et profondément hostile aux Juifs, qu'il accuse d'être à la tête du «complot mondial immigrationniste», comme peut le faire Alain Soral avec son «nouvel ordre mondial»", tempère Nicolas Lebourg. Un groupe d'extrême droite radical, donc. Mais, souligne l'auteur d'un ouvrage à paraître sur la survivance du nazisme, dissoudre un mouvement ne fait pas disparaître pour autant ses militants. Ceux-ci auront ainsi tôt fait de se trouver un point de chute parmi les nombreux autres groupes radicaux avec lesquels ils sont déjà en contact (identitaires, royalistes, hooligans racistes...), voire de recréer une nouvelle structure. Yvan Benedetti ou Serge Ayoub, qui ont dirigé des associations d'extrême droite radicale dissoutes (l'Oeuvre française pour le premier, les JNR et Troisième voie pour le second), sont ainsi toujours des leaders en activité.
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