Ivry : la "banlieue rouge" déçue par Hollande, derrière Mélenchon et tentée par Le Pen
Pour la présidentielle, "je suis désabusé comme tout le monde". Près de Paris à Ivry-sur-Seine, symbole des "banlieues rouges" longtemps acquises au Parti communiste, les déçus du hollandisme se tournent volontiers vers Jean-Luc Mélenchon, quand ils n'ont pas Marine Le Pen au bout des lèvres.
Dans la cité Youri Gagarine, près des graffitis qui rappellent la conquête spatiale soviétique, René Masson promène Youki, son Jack Russel. Ivryen depuis "plus de 30 ans", sa famille a toujours voté communiste "par tradition".
"Georges Maranne, Jacques Lalouë, Pierre Gosnat", cet ancien cheminot de 63 ans connaît les noms des anciens maires communistes d'Ivry. Une ville "vitrine" du parti depuis 1925. D'autant plus que le PCF a désormais perdu la plupart des municipalités qui constituaient l'ancienne "banlieue rouge" autour de Paris, depuis la fin des années 70.
En 2012, M. Masson a choisi François Hollande contre Nicolas Sarkozy au second tour, "par obligation". Cinq ans plus tard, il fustige les "renoncements" de "ce clown".
Le retraité va "sûrement" voter en avril pour Jean-Luc Mélenchon, soutenu par les communistes. Augmentation de 200 euros du salaire minimum, semaines de 32 heures, ses propositions montrent qu'il "est de gauche, lui".
Mais "je connais plein de gens qui vont voter Marine" Le Pen, ajoute-t-il rapidement. Pour lui, qui assure s'être fait agresser par des Roms, avoir la patronne du Front National au pouvoir "ne changerait pas grand chose".
Un discours que l'on croise à de nombreux coins de rue. Jeunes, vieux, ils racontent leurs sympathies communistes mais souhaiteraient "qu'on s'occupe des Français d'abord".
Encarté au PCF, le patron du supermarché de la cité, Mohamed Mazghi, est inquiet. Ses clients sont "surtout préoccupés par le logement", dans une ville où l'habitat social pèse 39% du parc immobilier, selon la mairie. En caisse, certains parlent "d'injustice" pour qualifier l'attribution d'hébergements d'urgence à des Roms, après l'évacuation de leur campement en 2015.
Devant la supérette, Fatou Sissoko pointe un autre sujet glissant: le centre de migrants réservé aux femmes et aux familles, qui vient d'ouvrir. "Les gens se posent beaucoup de questions. J'espère qu'ils ne vont pas retourner leur veste pour basculer vers l'autre extrême", souffle cette habitante de 43 ans, dont 37 à Ivry.
Elle se laisserait bien tenter par Jean-Luc Mélenchon, après avoir voté Hollande dès le premier tour en 2012, comme la plupart des Ivryens (38%). Les "choix économiques de droite" du président - crédits d'impôts aux entreprises, loi Travail - l'ont déçue.
"Je vais rester à gauche" promet-elle. "Mais quelle gauche? C'est la question".
Installé dans la cité depuis 2004, Romain Marchand reste confiant. "Dans des quartiers populaires comme celui-là, le choix de Mélenchon ne fait pas un pli", assure le premier adjoint au maire. Mais avec les sondages nationaux en sa faveur, il s'attend à "une poussée" de Marine Le Pen à Ivry.
"On ne réussit pas suffisamment à inscrire notre action locale dans un projet national", soupire l'élu.
Au grand dam du maire, Philippe Bouyssou, fier de sa "bagarre" pour conserver "les marqueurs d'une gestion communiste" à Ivry, malgré la vingtaine de millions d'euros de dotations de l'Etat perdues en cinq ans.
Logements sociaux, centre municipal de soins, repas des cantines scolaires "à 38 centimes d'euros" pour les plus pauvres, colonies de vacances municipales. Sans oublier de larges subventions pour la culture et le sport - l'Union sportive d'Ivry (USI), club aux racines communistes et anarchistes, compte 8.000 adhérents dans cette ville de 60.000 habitants.
Alors quand ses administrés l'interpellent sur les Roms ou les migrants, l'édile "refuse de mettre les misères en concurrence" et répond qu'ils "ne vont rien leur prendre".
La droite elle, rêve de bascule, comme dans la ville voisine de Villejuif (Val-de-Marne), autre fief communiste historique. Le chef de l'opposition, Sébastien Bouillaud (LR), note les 15% du FN aux dernières départementales. Un électorat "lassé par la saleté et l'insécurité d'Ivry", que "nous devons aller chercher", estime-t-il.
La tâche reste difficile, selon le chercheur David Gouard, auteur d'une thèse sur le communisme à Ivry. "Pour beaucoup d'habitants, voter communiste, c'est montrer qu'on est Ivryen", souligne-t-il. Les candidats présidentiels soutenus par le PCF y ont toujours fait largement mieux que leur score national.
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