Quand des néo-fascistes défilent dans les rues de Paris

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Pierre Plottu avec Maxime Macé
Publié le 24 mai 2019 - 19:13
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Le défilé d'extrême droite du C9M (2019).
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Le défilé 2019 du "C9M".
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Alors qu'ils semblaient en perte de vitesse et peinaient à mobiliser pour leur rendez-vous annuel du 9 mai, les nationalistes-révolutionnaires héritiers du GUD semblent reprendre du poil de la bête. Cette année, environ 300 militants radicaux de ces groupuscules d'inspiration néo-fasciste ont défilé dans les rues de Paris pour les 25 ans de la mort de l'un des leurs, Sébastien Deyzieu.

Paris, Port-Royal, le 9 mai 2019. La tranquillité de ce quartier cossu de la capitale a été troublée par une manifestation rassemblant plusieurs centaines de personnes. Derrière un étendard frappé d’une croix celtique, les membres d'un cortège très masculin brandissant flambeaux et drapeaux noirs. "Europe, jeunesse, révolution" scandaient-ils notamment sous les regards interloqués des passants: un slogan historique des nationalistes-révolutionnaires.

Car c'est bien l'extrême droite la plus radicale qui défilait dans les rues de Paris ce jour-là. Un rituel vieux de 25 ans, encadré par la police et –le plus souvent– autorisé, qu'organise le Comité du 9-Mai (C9M) créé par le Front national de la jeunesse (FNJ) et le Groupe union défense (GUD, néo-fasciste) en 1994 suite à la mort accidentelle de l'un des leurs, Sébastien Deyzieu, en marge d'une manifestation. S'ils étaient de moins en moins nombreux au fil des ans, ces nationalistes ont réuni un important contingent pour une édition 2019 aux allures de démonstration de force.

Comme chaque année la croix celtique, emblème néo-fasciste, guidait donc le cortège. Comme chaque année, des crânes rasés y côtoyaient des jeunes au look plus discret mais reprenant tous les codes "fafs" (pour "France aux Français"). Comme chaque année, des discours radicaux y ont été prononcés et le chant guerrier des Lansquenets a été entonné. Mais cette année, ce sont environ 300 gorges qui ont fait résonner dans le 6e arrondissement ces paroles, en forme de lugubre promesse à leurs ennemis: "Que nous font insultes et prisons/Un jour viendra où les traîtres paieront/(…) Nous luttons pour notre idéal".

L'an passé, un photographe a pu immortaliser pour France-Soir deux participants effectuer un salut fasciste alors qu'ils se pensaient à l'abri des regards dans la cour où est déposée la gerbe en hommage à Sébastien Deyzieu. "Des Italiens de CasaPound étaient présents au Comité du 9 mai (cette année-là, NDLR)", réagit pour France-Soir un cadre de la mouvance. "Les fascistes tendent le bras quand ils honorent leurs morts. C'est une marque de respect pour les camarades tués pour leurs idées".

Deux participants au défilé du 9 mai 2018 font un salut fasciste. (©DR)

L'événement était pourtant devenu marginal ces dernières années, ne mobilisant plus que quelques dizaines de gudards et nationalistes de tous poils. Encore présent il y a quelques années avec ses troupes, Yvan Benedetti ne fait même plus le déplacement. Il est pourtant le président "envers et contre-tout" de l'Œuvre française, mouvement néo-fasciste dissous en 2013 et fondé par Pierre Sidos (qui fut haut responsable de la Milice) auquel appartenait Sébastien Deyzieu. Autrefois assidu, l'ex-élu FN désormais à Civitas Alexandre Gabriac brille également par son absence.

Au fil des années, ont aussi disparu les militants du Front national de la jeunesse et du Renouveau français, tout comme les identitaires ou autres hooligans des Boulogne Boys. Les 400 à 500 "natios" présents à chaque édition jusque dans les années 2000, sont peu à peu devenus quelques dizaines seulement.

En 2008, le défilé a en outre été interdit par la préfecture à la demande de Bertrand Delanoë. Celui qui était alors maire de Paris avait dénoncé l'autorisation d'une manifestation faisant l'"apologie du fascisme" au lendemain du 8 mai, jour anniversaire de la "victoire des démocraties sur la barbarie nazie".

Les gudards ont toutefois maintenu le flambeau. Cette année ce sont leurs héritiers qui ont ainsi de nouveau appelé à manifester: le Bastion social (pourtant déjà dissous), ses satellites en région (l'Alvarium à Angers, Edelweiss Pays de Savoie, les Tourangeaux de "Des Tours et des Lys"…) et les Zouaves Paris.

C'est grâce au second souffle que connaît la mouvance à travers ces groupes que le rassemblement a repris des couleurs. L'an passé, autour des leaders du Bastion social Steven Bissuel et Valentin Linder, plus d'une centaine de militants avaient défilé de Port-Royal à la rue des Chartreux, où Deyzieu a chuté mortellement deux décennies plus tôt.

Ce 9 mai 2019, ce sont près de 300 militants qui se sont rassemblés et ont arpenté les quelques centaines de mètres jusqu'à la petite rue, faisant renouer le rendez-vous avec la mobilisation des décennies précédentes. Outre la traditionnelle banderole "Sébastien présent", une autre proclamait "Face à la répression aucune soumission!" et une troisième réclamait "Justice pour nos camarades" en "soutien aux militants nationalistes de France et d'Europe incarcérés", précise un militant joint par France-Soir.

Le cortège de ce 9 mai 2019. (©DR)

A noter: alors que cette 25e édition était symboliquement importante, les "historiques" l'ont une nouvelle fois boudée, laissant les Zouaves Paris (ZVP) et autres militants orphelins du Bastion social encadrer la manifestation et prendre la parole.

Comme le GUD en son temps, ces nationalistes-révolutionnaires (NR) font principalement de la politique à coups de poing (ou de manche de pioche, parapluie, club de golf…). C'est le cas notamment des ZVP (dont France-Soir a pu rencontrer des membres, lire ici), dont l'activisme se limite essentiellement à affronter physiquement les "antifas" pour tenter de "tenir la rue". Le Bastion social y ajoutait toutefois des actions plus classiques, comme l'ouverture de locaux ou l'aide aux SDF (mais uniquement Français "de souche"), tout en restant lui aussi très radical. Xénophobe et islamophobe, le groupe prônait par exemple la "remigration" des populations immigrées ou d'origine immigrée présentes en France. Les œuvres du négationniste François Duprat (ex-numéro 2 du FN) ou de Dominique Venner (penseur du nationalisme-révolutionnaire et ancien de l'OAS) font référence dans ses rangs.

Bien que ses militants aient collectionné les condamnations pour des faits de violences et incitation à la haine raciale, le groupe a également été régulièrement soutenu par des cadres de premier plan du Rassemblement national (ex-FN). Ont par exemple pris sa défense le sénateur Stéphane Ravier, le député européen (et ancien vice-président du parti) Jean-François Jalkh ou encore Frédéric Châtillon, ancien chef du GUD, prestataire de services du parti et proche de Marine Le Pen. Le GUD a en outre fourni par le passé des cadres au FN.

Regonflée par les succès rencontrés dans les premières manifestations de Gilets jaunes, où ses militants se sont illustrés par leur violence tout en échouant à faire basculer le mouvement vers l'extrême droite, la mouvance a donc repris des couleurs. Désormais, même les Zouaves Paris glissent vers un mode d'action plus classique: jeudi 23, ils ont tracté dans Paris. C'était certes pour appeler à "rendre la vie impossible" à un collectif de gauche parisien et avec un argumentaire tout à fait radical. Mais c'est bien un indice montrant que la mouvance s'est fixée des ambitions qui vont au-delà des bagarres de rue.

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