Réforme : la justice de demain, simplifiée et efficace ou au rabais et inaccessible ?

Auteur:
 
Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 02 mai 2018 - 19:54
Image
Les restes carbonisés de la jeune fille au pair française Sophie Lionnet ont été retrouvés dans le jardin du logement de son employeuse Sabrina Kouider dans le sud de Londres
Crédits
© Brendan Smialowski / AFP/Archives
La réforme de la Justice est censée la simplifier mais certains craignent une perte d'accès au droit.
© Brendan Smialowski / AFP/Archives
Parmi les réformes voulues par le gouvernement et actuellement critiquées, celle de la Justice a pu être éclipsée. Censée en améliorer l'efficacité par la simplification ou la limitation du recours au juge, elle laisse craindre une perte de l'accès au droit et de moyens de la Justice. Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon, revient en partenariat avec "France-Soir" sur les questions soulevées par la grogne des avocats, magistrats et greffiers.

Une grève peut en cacher une autre. Le mouvement social à la SNCF a quelque peu éclipsé la gronde qui touche le monde judiciaire dans son ensemble, avocats, magistrats et greffiers. Une importante journée "Justice morte" a même été organisée dans les juridictions françaises le 21 mars, suivi d’une manifestation nationale, le 11 avril. Le barreau de Paris s’étant également mis en grève ce qui est assez exceptionnel.

Cette mobilisation est due à la réforme proposée par le gouvernement qui entend faire voter rapidement une loi de programmation pour la Justice 2018/2022. L'objectif affiché du gouvernement est de "rétablir la confiance de nos concitoyens dans la Justice". Les juridictions sont certes confrontées à un défi quantitatif qui leur impose de gérer un stock croissant d'affaires avec un budget de la Justice en berne. La France, ce qui n'est pas glorieux, affiche le 23e budget en Europe sur 28, consacré à cette prérogative régalienne fondamentale, garante de la cohésion sociale. La situation ne peut donc qu’être améliorée.

Ce projet de loi se veut porteur d'une ambition globale dans cinq directions: la simplification des procédures pénales, civiles, l'organisation territoriale, la numérisation, le sens et l'efficacité des peines.

Lire aussi: Justice, au nom de l'"efficacité", le gouvernement lance sa réforme contestée

Le gouvernement n'a pas fait le choix de différents projets de lois distincts mais souhaite une loi unique, ce qui pourrait effectivement être un gage de cohérence. Le risque réel est de vouloir ajuster au rabais le niveau du service public de la justice, alors que ce ministère dispose déjà de faibles moyens.

Le gouvernement propose une véritable révolution numérique, une simplification des procédures, une concentration des juridictions, et il souhaite rendre plus difficile l'accès au juge, celui-ci ne pouvant être saisi qu'après une tentative de conciliation amiable quasi obligatoire.

Sur ce dernier aspect le conseil d’Etat, saisi pour avis, relève que "le projet cherche ainsi à endiguer la judiciarisation des intérêts antagonistes, à alléger les tâches des magistrats et des personnels des greffes des juridictions judiciaires, à améliorer la présentation juridique des affaires et, partant, à favoriser une meilleure réponse juridictionnelle en première instance".

Il souligne néanmoins "que l’intervention accrue des structures de conciliation et de médiation et la présence plus importante des avocats auprès des parties, en amont ou au stade de la procédure judiciaire, est susceptible d’engendrer des coûts à la charge des particuliers et du budget de l’aide juridictionnelle. Il sera, en conséquence, essentiel d’en apprécier l’incidence". Effectivement la médiation n'est pas gratuite et son recours obligatoire peut être en contradiction avec le principe de gratuité du recours au service public de la justice, et sa généralisation renforcera forcément le coût du procès.

Les acteurs du monde judiciaire dénoncent également le risque d'instaurer une "Justice des robots", qui serait une justice sans audience et sans juge. Le projet de loi dans sa présentation précise même que "la solution proposée ne pourra résulter exclusivement d'un algorithme d'un traitement automatisé", ce qui souligne mieux encore le fait que cela pourrait être le risque. Une Justice robotisée, trop fortement numérisée, éloignerait effectivement le justiciable et pose des questions en termes d'accessibilité pour ceux qui n’ont pas un accès facile à Internet.

Voir: Griefs en série contre le projet de réforme de la Justice

Le projet prévoit également que certaines procédure puissent être exclusivement écrites et ne pas donner lieu à la tenue d’une audience. Le Conseil d’État précise que cette manière de faire devra impliquer l’accord exprès des parties.

La volonté de concentrer les tribunaux par la fusion des tribunaux d'instance, qui jugent les affaires civiles -pour lesquels les demandes portent sur des sommes inférieures à 10.000 euros, et notamment les procédures de surendettement, de loyers impayés, de tutelles, avec les tribunaux de grande instance, lesquels jugent des affaires plus importantes- peut à terme conduire à une nouvelle fermeture de tribunaux dans les villes de taille moyenne, et créer un désert judiciaire dans des territoires fragilisés.

Le gouvernement souhaite même "dejudiciariser" certains domaines, comme la révision des pensions alimentaires, qui ne serait plus confiée au juge aux affaires familiales mais aux directeurs des caisses d'allocations familiales.

Le projet vise enfin comme objectif l’amélioration du sens et de l’efficacité des peines: il vise à privilégier les alternatives à l’incarcération pour les courtes peines et souhaite rendre effective l’incarcération dès lors qu’une telle peine est prononcée. Il interdit le prononcé de peines d’emprisonnement ferme d’une durée inférieure ou égale à un mois. Le projet supprime par ailleurs le caractère systématique de l’aménagement des peines comprises entre un et deux ans d’emprisonnement.

Ce projet de loi balaye l’ensemble du champ judiciaire et pose une question fondamentale "A quoi ressemblera la Justice de demain?". A l’aune du numérique, c'est une question centrale qui va animer les débats politiques pendant quelques mois.

À LIRE AUSSI

Image
La ministre de la Justice Nicole Belloubet, le 11 avril 2018 à l'Elysée, à Paris
Très contestée, la réforme de la justice présentée en Conseil des ministres
La ministre de la Justice, Nicole Belloubet présente vendredi en Conseil des ministres son vaste projet de réforme de la justice, très critiqué par avocats et magistra...
19 avril 2018 - 14:51
Politique
Image
Une manifestante contre le projet de réforme de la justice, mercredi 11 avril 2018, à Paris
Nouvelle journée de mobilisation contre la réforme de la justice
Magistrats, greffiers et surtout avocats étaient à nouveau mobilisés dans les juridictions mercredi, avec des rassemblements et des renvois d'audience, contre le proje...
11 avril 2018 - 17:46
Image
Magistrats avocats et greffiers manifestent devant le palais de justice de Marseille le 15 février 2018
Juges, avocats, greffiers : mobilisation contre la réforme de la justice
Magistrats, avocats, greffiers côte à côte: des centaines de professionnels se sont mobilisés jeudi à travers la France pour dénoncer le "piteux état" de la justice et...
15 février 2018 - 18:38

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
ARA
Décès de ARA, Alain Renaudin, dessinateur de France-Soir
Il était avant toute chose notre ami… avant même d’être ce joyeux gribouilleur comme je l’appelais, qui avec ce talent magnifique croquait à la demande l’actualité, ou...
07 novembre 2024 - 22:25
Portraits
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.