Une "humiliation" : les plus hauts magistrats de France ciblent Hollande après la publication du livre des journalistes du "Monde"
Sur fond d'or, de pourpre et d'hermine, le premier président de la Cour de cassation Bertrand Louvel a asséné qu'il n'était "pas concevable que la charge de président (...) puisse être utilisée par son titulaire pour contribuer à diffuser parmi les Français une vision aussi dégradante de leur justice".
M. Louvel et le procureur général de la plus haute juridiction française, Jean-Claude Marin, ont mis toute la solennité de la Cour de cassation au service de leur indignation, en ouvrant à la presse une audience prévue de longue date dans la "Grande chambre" de l'institution, d'une splendeur écrasante, devant une assemblée de magistrats en grande tenue.
Le premier président a estimé que, venant du garant constitutionnel de l'indépendance de la justice, les commentaires de M. Hollande posaient "un problème institutionnel". Ces commentaires, M. Marin les a lus dans un silence pesant, en détachant chaque mot.
Dans le livre Un Président ne devrait pas dire ça... des journalistes Fabrice Lhomme et Gérard Davet, François Hollande déclare: "Cette institution, qui est une institution de lâcheté... Parce que c'est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux... On n'aime pas le politique. La justice n'aime pas le politique..."
Presque au même moment jeudi, le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas a tenté de limiter l'effet désastreux de ces propos. Depuis 2012, a-t-il assuré depuis l'Assemblée nationale, il n'y a eu de la part de François Hollande "pas un mot, encore moins une insulte, pas un acte, pas une demande d'intervention pour interférer dans une procédure, pas un jugement porté publiquement à l'occasion d'une émission télévisée sur tel ou tel magistrat".
MM. Louvel et Marin, peu habitués aux coups d'éclat, s'étaient invités à l'Elysée mercredi soir. Selon le procureur général de la Cour de cassation, l'entretien d'une vingtaine de minutes entre M. Hollande et les deux hommes "n'a pas atténué le sentiment que la magistrature (avait) ressenti face à une nouvelle humiliation."
M. Louvel a, lui, dénoncé des "outrances renouvelées" contre l'institution judiciaire, en critiquant dans un même élan les propos de François Hollande et ceux de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, qui avait comparé les magistrats à des "petits pois sans saveur".
Voilà qui montre, selon le président, qu'il "est plus que temps" que la justice "s'émancipe de la tutelle de l'exécutif", héritée d'une "tradition monarchique d'un autre temps".
Lorsqu'il était candidat, François Hollande avait promis de modifier le statut du parquet pour mettre fin à la tutelle de l'exécutif sur les procureurs. Cette réforme constitutionnelle, introduite tardivement, a échoué en raison, entre autres, d'une volte-face de la droite, qui l'avait d'abord soutenue.
Il n'a fallu que deux jours pour que vole en éclats la relation plutôt apaisée depuis 2012 entre les magistrats et le chef de l'Etat, qui doit dire en décembre s'il brigue un nouveau mandat l'an prochain. Les juges et les procureurs avaient entretenu avec Nicolas Sarkozy un rapport conflictuel, au point de déclencher une grève historique après la critique ouverte d'une décision de justice par celui qui était alors président.
A l'inverse, les magistrats savaient gré à François Hollande d'éviter toute critique publique, et de laisser travailler les parquets. Signe de ce climat apaisé, le président avait été reçu le 7 octobre au congrès de l'Union syndicale des magistrats, organisation majoritaire de la profession, dont de nombreux membres s'étaient levés pour applaudir son intervention.
L'USM s'est depuis dit "stupéfaite" du "double discours" tenu par le chef de l'Etat. Pour la secrétaire générale du syndicat FO-Magistrats, Béatrice Brugère, interrogée par l'AFP, ce genre de déclarations "laissent penser que le politique cultive une défiance voire une méfiance quasi-institutionnelle à l'égard de la justice et de ses juges".
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