L’Union européenne examine un accord Bulgarie-Turquie sur la fourniture de gaz, craignant une porte dérobée pour le GNL russe

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France-Soir
Publié le 26 octobre 2023 - 11:58
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Turkish Presidential Press Service / AFP
En octobre 2022, Recep Tayyip Erdogan signait avec Vladimir Poutine un accord pour que la Turquie devienne un hub gazier capable de constituer une alternative aux gazoducs Nord Stream 1 et 2...
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MONDE - La signature par la société bulgare Bulgargaz d’un accord de fourniture de gaz avec la société turque Botash inquiète l’Union européenne (UE). La Commission européenne (CE) examine actuellement cet accord qui s’étend sur 13 ans, après avoir demandé des informations au gouvernement bulgare actuel à propos de cette transaction. La CE craint une éventuelle violation des règles communautaires de concurrence, mais surtout, un retour des exportations russes de gaz dans les États membres.

En janvier, le gouvernement bulgare par intérim a signé un accord avec la Turquie portant sur la fourniture de gaz entre les deux pays. Sofia affirme que cette transaction lui permet de sortir de sa dépendance énergétique à Moscou, qui assurait, avant la guerre en Ukraine et les sanctions économiques, la totalité ou presque des approvisionnements du pays. "Nous pourrons acheter du gaz à tous les producteurs internationaux et le décharger en Turquie, là où cela nous convient le mieux sur le plan logistique", expliquait le ministre bulgare de l’Énergie, Rossen Hristov.

Une menace concurrentielle pour l’UE

Que prévoit cet accord ? La société publique turque Botash met à la disposition de la compagnie bulgare, Bulgargaz, ses terminaux de gaz liquéfié (GNL) et son réseau de transport de gaz. Plus précisément, l’accord, qui s’étend sur une période de 13 ans, permet aux deux entreprises de partager la capacité journalière du poste frontalier Strandzha-Malkoclar.

Bulgargaz peut ainsi importer du GNL depuis Turquie et récupérer la même quantité de gaz regazéifié. Bulgargaz, de son côté, se charge de livrer à travers ses pipelines le GNL depuis les terminaux turcs vers d’autres pays d’Europe. L’accord pourrait couvrir jusqu’à 60 % de la demande annuelle de gaz en Bulgarie.

La semaine dernière, les médias bulgares annonçaient que la Commission européenne examinait cette transaction, soupçonnant des violations des règles de concurrence de l'Union européenne (UE). L’information a été confirmée par Radio Free Europe, financée par le Congrès américain. "Notre rôle est de veiller au respect des normes réglementaires européennes au sein du marché intérieur de l'énergie. En cas de non-respect ou de violation de celles-ci, notamment des règles européennes de concurrence, la Commission n'hésitera pas à prendre des mesures", explique Bruxelles.

Le ministère bulgare de l’Energie a également confirmé l’information sur la chaîne nationale bulgare (BNT). La CE a demandé à avoir accès aux documents de Bulgargaz liés à l’accord avec Botash ainsi qu’aux informations liées aux contrats conclus, ou en cours de négociation, dans le cadre desquels la compagnie bulgare agit comme représentant ou distributeur exclusif de son pays ou d’un autre État membre de l’UE.

La violation des règles européennes de concurrence pourrait résider dans le fait que Bulgargaz soit la seule entreprise de l’Union à accéder au gaz naturel via des infrastructures turques, expliquent les médias locaux.

Une aubaine pour Moscou ?

Mais ces règles ne constituent vraisemblablement pas la seule source d’inquiétude de l’UE. La provenance de ce gaz suscite aussi des suspicions puisque l’interconnexion Strandzha-Malkoclar permettait à la Russie de fournir du gaz à la Turquie, en passant par la Bulgarie. Ankara est également dépendante à environ 45 % de Moscou pour son approvisionnement et la Bulgarie n’est pas en mesure, selon l’accord de janvier, de connaître la provenance du GNL. L’éventualité d’une exportation russe vers des pays européens semble déranger l’UE qui s’est fixée comme horizon 2027 pour une coupure totale des importations de gaz russe.

La possibilité est envisagée par Bruxelles, car la Turquie et son président, Recep Tayyip Erdogan, assument leur volonté de jouer les intermédiaires commerciaux entre la Russie et les États membres de l’UE. En octobre 2022, le chef de l’État turc signait avec son homologue, Vladimir Poutine, un accord pour que la Turquie devienne un hub gazier capable de constituer une alternative aux gazoducs Nord Stream 1 et 2.

Malgré les sanctions, les exportations pétrolières russes ont augmenté en septembre grâce à des ventes accrues en Chine et en Turquie. Les recettes d'exportation de pétrole de Moscou ont atteint 18,8 milliards de dollars, dépassant les chiffres de l'été 2022 de 1,8 milliard de dollars. Cette augmentation s'explique par des volumes de vente plus importants, avec une moyenne de 7,6 millions de barils par jour, soit une hausse de 460 000 par rapport à août. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a expliqué que des prix plus élevés, résultant de réductions décidées par l'OPEP+, ont également contribué à cette croissance.

Ces exportations sont d’autant plus profitables pour Moscou qu’elles sont entièrement ou partiellement payées en roubles ou en yuans chinois, comme l’approvisionnement, en juin, du Pakistan. Des pays européens achèteraient aussi du pétrole russe, mais de manière implicite, comme c’est le cas de l’Allemagne, qui a plus que décuplé entre janvier et juin 2023 ses importations en provenance d'Inde, qui achète et transforme du pétrole russe.

La compagnie gazière bulgare Bulgargaz s’est toujours défendue face aux accusations de faire introduire du GNL russe en Europe, expliquant que le "prérequis fondamental" de son accord avec la Turquie est que "le gaz importé doit provenir exclusivement de pays non touchés par des sanctions, des embargos ou des restrictions commerciales". Le nouveau gouvernement bulgare, élu en avril dernier, a exprimé son désaccord, estimant que le contrat "n’aurait pas dû être signé".

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