Nouveau plan stratégique de l’Otan : le grand retour de vieilles crispations
CHRONIQUE — Dans un Madrid en état de siège, arrivait mardi le Secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg. Le sommet des chefs d’États en lui-même, aura lieu ces mercredi 29 et jeudi 30 juin. Plus de 5 000 délégués sont déjà présents, conformant plus de 40 délégations. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky apparaîtra mercredi, dans le cadre d’une de ses visioconférences motivationnelles dont il est coutumier, lors de tout événement d’une certaine relevance, à fortiori s’il s’agit de l’Otan. L’Ukraine sera d’ailleurs présente dans toute sa force hyperbolique. Orchestre de Kiev pour les cérémonies protocolaires, drapeau bleu et jaune omniprésent, cela va sans dire.
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Ce sommet pose le nouveau "Concept Stratégique de l’Alliance transatlantique", soit sa feuille de route pour la prochaine décennie. Sans surprise, il fixe la Russie comme principale menace, mais la Chine est également nommée. Selon Stoltenberg, "notre nouveau concept nous guidera en une ère de compétence stratégique. Il sera dit clairement que les alliés considèrent la Russie comme la menace la plus importante et directe pour notre sécurité et il sera mentionné la Chine et les défis que soulève Pékin à notre sécurité, intérêts et valeurs pour première fois. Elle couvrira aussi nos plans pour d’autres menaces et défis, comme le terrorisme, les cyberattaques, et les attaques hybrides".
Par attaque hybride, en théorie, il serait question de djihadisme, immigration irrégulière, chantage énergétique. Par chantage énergétique, comprendre que celui qui fixe l’embargo ou rend impossible le paiement des biens importés trouve normal d’attribuer la responsabilité de la carence, ainsi générée, à celui qui se trouve dans l’impossibilité de livrer. Ça vise la Russie et peut-être l’Algérie.
Le contexte communicationnel étant miné par l’adhésion en bloc à la narrative officielle d’une part, et aux postures anti-atlantistes caricaturales des années 80 de l’autre, il est difficile de savoir ce que les départements de défense des États membres viendront à considérer comme "guerre hybride" et l’extension à laquelle ce concept très novlangue se prêtera.
Dans le cadre de la doctrine de la prévention, tous azimuts, qui s’est imposé dans les pays de l’hémisphère nord, dès la fin des années 90, se traduisant par l’action des forces de l’ordre n’attendant pas la commission du délit pour intervenir sur des citoyens non seulement présumés innocents, mais innocents tout court, la notion de liberté a perdu du terrain au profit de celle de contrôle. Ce sommet de l’Otan intervient après trente ans de successives limitations des libertés individuelles, sans jamais un retour au statut ante. Parfois au nom d’une politique de sécurité fondée sur une menace réelle, comme la lutte contre le terrorisme, parfois sur un sujet aussi dystopique que celui de la crise sanitaire, dans le cadre duquel la notion de cet ennemi intérieur que serait le présumé malade s’est instauré. Désormais, l’ensemble de la doctrine de sécurité se focalise sur le fantasme d’une Russie qui aurait l’intention d’avaler l’Europe tout entière.
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Un autre sujet important, dont il sera question au cours de ce sommet, est le cas de la sécurité du flanc sud de l’Otan et des menaces provenant de la zone sahélienne. En particulier au regard des révoltes de la faim dues à la situation créée par les boycotts et embargos sur la Russie, ainsi que du renchérissement des coûts de l’énergie. Ces jeux de la faim ne manqueront pas de faire pression sur la dynamique migratoire. Ce week-end a d’ailleurs été marqué par la bestiale action répressive de gendarmes marocains sur des migrants subsahéliens, faisant près de 40 morts. Ces migrants essayaient d’entrer dans une des enclaves africaines de l’Espagne, la ville de Melilla. Le socialiste Pedro Sanchez n’en a pas moins félicité, sans lésiner sur le dithyrambe, "l’extraordinaire travail des forces de l’ordre marocaines", alors que les images des cadavres empilés circulaient déjà sur toutes les chaînes.
Toujours est-il que cette porte d’entrée à l’Europe représente un défi sécuritaire et humanitaire majeur. L’Otan a créé les conditions d’afflux massifs de migrants, en faisant de l’Ukraine sa guerre sainte, au détriment de tout autre paramètre stratégique. Comme d'habitude, l’Europe va trinquer. Spécialement l’Espagne, qui demande depuis longtemps que le parapluie de l’Otan couvre les villes de Ceuta et Melilla. Si un État se bat seul pour défendre les frontières de l’Europe, ce n’est pas l’Ukraine, mais l’Espagne.
Or, sur ces enclaves pèse une ambiguïté. Le Traité de Washington sur lequel repose l’Alliance apporte sa protection aux territoires d’Amérique du Nord et d’Europe. Or, ces deux villes se trouvent en Afrique, bien qu’espagnoles. Il est certes fait mention des îles au-dessus du Tropique du Cancer, dont les Canaries, mais pas des enclaves africaines. Or, le régime chérifien a des vues sur ces deux villes, espagnoles des siècles avant même que le Maroc n’existe. Le Maroc est l’allié par excellence des États-Unis dans la région. La relation entre les États-Unis et le Maroc, depuis l’avènement de Joe Biden, est de loin supérieure à celle qu’il maintient avec l’Espagne. Ce, malgré le fait que les États-Unis possèdent en Espagne leur plus vieille base militaire d’Europe, dans la ville de Rota.
Dans ce contexte, juguler la question de la sécurité du flanc sud, qui a tout à voir avec le Maroc, est presque impossible. Ce serait pour cette Otan de 2022, avec ce type de personnel politique, se tirer une balle dans le pied. Certes, Stoltenberg a déclaré que si l’Espagne était attaquée en aucun de ses points, la défense serait automatique. Mais il est possible que cette décision ne passe pas par lui, mais par Washington, et que par menace du sud, les États-Unis entendent Algérie et non pas Maroc. Si les États-Unis devaient choisir entre le Maroc et l'Espagne, ils choisiraient le premier.
C’est le deuxième sommet de l’Otan en Espagne. Le premier s’est déroulé en 1997. À l'époque, le Secrétaire général était Javier Solana. L’Otan se préparait à intégrer dans son alliance des pays de l’ex-Pacte de Varsovie, mais Solana et Yevgueni Primakov avaient signé, dès le 27 mai de cette même année, l’Acte Fondateur de Coopération Mutuelle entre l’Otan et la Russie, de sorte que ces intégrations (à partir de 1999) ne soient pas perçues comme des facteurs déstabilisant pour la nouvelle Russie. C’était le chant du cygne de la diplomatie.
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Entre 1997 et 2022, l’Otan a perdu toutes les guerres dans lesquelles elle s’est engagée. Les États-Unis ont créé une menace hybride, justement, au travers de leurs "missions d’interposition de la paix", par tapis de bombe interposé en Irak ; en Syrie, en armant des dizaines de groupes djihadistes ; en jetant des millions de réfugiés de guerre sur les routes de l’exil et, si ce n’était l’intervention de la Russie, ils auraient transféré l’arsenal chimique de Damas dans les mains de groupes terroristes. Le leadership russe, au cours de cette phase intermédiaire, est une humiliation pour l’Occident, qui se paye aujourd’hui par cette nouvelle doctrine, qui n’est autre que le retour à une guerre, plus chaude que froide, mais dans lequel pas un soldat occidental ne se met en danger.
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