Ukraine : des armes à gogo pour nourrir de nouveaux conflits dans le monde

Auteur(s)
Teresita Dussart, pour FranceSoir
Publié le 22 juin 2022 - 11:15
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Stock d'armes à feu souterrain en Ukraine
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Yuri KADOBNOV / AFP
Des armes de l'armée ukrainienne sont visibles dans un abri souterrain de l'aciérie Azovstal à Marioupol, dans le cadre de l'action militaire russe en Ukraine, le 13 juin 2022.
Yuri KADOBNOV / AFP

CHRONIQUE — S’il est un conflit militaire dans le monde, ou un groupe de crime organisé, qui pourrait d'un seul coup faire trembler les institutions, chercher le trafiquant d’armes ukrainien derrière ces faits s’impose. Cette nation, qui n’a su produire aucun service, aucune industrie de pointe — autre que l’armement, justement — pour assurer sa prospérité, s’est fait une spécialité du trafic d’armes depuis le XIXe siècle.

Ces ventes sont soit le fait de l’État national, soit de groupes relevant du crime organisé. Du fait de la promiscuité organique entre oligarques et gouvernants, dans la pratique, cela ne fait guère de différence. À titre d’exemple, les armes vendues dans le cadre des conflits de la République Démocratique du Congo et de l’Angola en 2009 (États alors frappés d’embargo par l’ONU) se réalisaient au travers de la flotte « Ukrainian Cargo Airways », propriété du ministère de Défense.

Le service des exportations militaires ukrainien, Ukrspecexport, renseigne assez ouvertement sur un certain nombre de contrats violant la convention onusienne sur le double usage (dual use) de biens utilisés à des fins militaires, voire d’armes revendues à des États sous embargo. Une autre illustration de la collusion entre trafic d’armes et politique d’État, est que le maire d’une des villes les plus importantes d’Ukraine, Odessa, n’est autre que Guennadi Trukhanov, l’associé d’un des trafiquants du monde avec le plus de sang sur les mains : Leonid Minin. C'est ce dernier dont on s'est inspiré pour construire le personnage principal du film Lord of War. Aujourd'hui, grâce à la guerre avec la Russie, Trukhanov s’est refait une virginité en tant que « résistant ». Les victimes de Minim au Liberia n’ont pas eu cette chance.

Lire aussi : Ukraine : sortir de la guerre élaborée depuis 2014, ou l’opportunisme de Joe Biden

Cette confusion entre trafic illicite et gouvernement ukrainien suit la même courbe que celle des éléments de la pègre et nationalistes ukrainiens. Viktor Murenko, un des grands noms du trafic d’armes mondial, détenu en Espagne en 2020, dans le cadre de l’opération Yakir (ancre en Ukrainien), vient d’interposer un recours auprès de l’Audience Nationale espagnole pour « aller combattre en Ukraine ». Murenko disposait de douze navires de marines marchandes, au travers desquels il transportait, outre des électrodomestiques, des tanks, des armes de tous calibres, des précurseurs d’explosifs, fertilisant pour armes chimiques, mais surtout des missiles, entre autres à destination de la région transsahélienne, et du Kenya. Il a contribué à armer de nombreux groupes djihadistes, entre lesquels certains se réclament d’attentats commis sur sol européen. Si Murenko allait se battre en Ukraine, il deviendrait, en quelque sorte, l'un « des nôtres ».

Le paradoxe de l’affaire Murenko, c'est que son petit commerce s’est donné à connaître en 2011, à la suite de l’assaut du Faina, l’un de ses navires, par des pirates somaliens. Ceux-ci, habitués à se retrouver avec des embarcations de pêcheurs, se sont retrouvés avec un butin de 33 chars de combat soviétique T-72, 150 lance-grenades, 42 missiles antiaérien ZPU-4, 44 BM-21 (lanceur multiple de roquette), le tout chargé à Odessa, la ville de Murenko. Ces armes étaient destinées à Mombassa. Les armes ont finalement été rendues à Murenko, après paiement d’une rançon, et ont continué leur chemin vers un destin incertain, vraisemblablement le Soudan.

Les grands trafiquants d’armes ukrainiens, ceux qui atteignent une telle importance que non seulement ils profitent des conflits belliqueux, mais encore ils les créent, ont un faible pour l’Espagne. À Marbella (province de Malaga) ou à Valence (province d’Almeria), on les y retrouve dans des villas de luxe extrême. Une richesse que l'on observe aussi au travers de leurs investissements dans des clubs de golf ou des ressorts de tourisme. Il est actuellement possible de réserver sur Booking, une chambre dans un de ces hôtels appartenant à la mouvance de ces quelques spécimens qui continuent de voler sous les radars de la police et ont parachevé leur cycle de blanchiment, grâce à la compromission avec la corruption locale. Ils ne sont pas tous ukrainiens. Quand il s’agit d’argent, les relations avec la Russie ne posent pas de conflits majeurs. Se trouvent aussi des Ouzbeks, Géorgiens et autres nationalités de l’ex-Communauté des États indépendants (CEI), bien que le vrai business soit dans les mains d’Ukrainiens, souvent originaires d’Odessa. Des Russes en tant que tel, il y en a moins, car la Fédération est beaucoup moins laxiste et centralise ce qui a trait à la politique étrangère, donc les armes. De ce fait, le crime organisé russe se reporte sur d’autres activités.  

Un autre grand trafiquant d’armes ukrainiens, arrêté en Espagne en 2019, est Vadym Alperin, né à Odessa, lui aussi. Il jouit de la double nationalité israélienne. Il ne plaisait pas à Volodymyr Zelensky, lequel l’avait baptisé comme le « parrain des contrebandiers » à un moment où le président avait commencé à centraliser et moderniser la contrebande, sous l’effet de la massivité du stock reçu d’Occident. Si l’Occident voulait fomenter de nouveaux conflits dans le monde, il a trouvé la manière.  

Alperin est tombé par ricochets, des suites du dossier Yacir, celui-là même qui avait fait tomber Murenko et le letton Aleksandr Dircenko. Bien que letton, toute la tripulation du Mekong Spirit était ukrainienne. En 2018, le Mekong Spirit a levé l’ancre une dernière fois du port de Santander (Pays basque espagnol), pour être ensuite intercepté en Grèce. La police y a découvert 33 chars de combats modèle T-32 et T’34, entre autres armes offensives. Toute la cargaison était destinée au Soudan. L’entreprise avait toutefois des ramifications avec l’armateur Tomex Team, une entité appartenant à Vadim Alperin. Conrad Dadak, autre Ukrainien et grand seigneur de la guerre, a également été arrêté à Ibiza en 2016. Laissé en liberté conditionnelle, après un an et demi de prison, il a disparu. Dadak s’était spécialisé dans la vente d'AK-47 à des pays africains.

Entre 2016 et 2020, l’Ukraine est devenu un fournisseur substantiel d’Arabie Saoudite, dans sa guerre génocidaire contre le Yémen. Comment un État se disant menacé par la Russie a-t-il pu considérer qu’il disposait d’un excédent d’armes pour pouvoir en fournir à une puissance militaire ? De fait, durant cette période, l’Ukraine exporte aussi ses armes vers la Russie (20 % de ses exportations officielles). Certes, ces ventes se produisent dans le cadre d’un accord entériné avant 2014, mais qu’aucune doléance, telle que l’annexion de la Crimée par exemple, n’aura fait tomber en caducité. Lorsqu’il s’agit de vendre des armes, rien n’arrête l’Ukraine. Actuellement, des informations difficiles de corroborer circulent sur les réseaux sociaux, montrant des ventes d’armes atomisées de bataillons ukrainiens à des régiments russes. Ils vendraient des armes même à leurs ennemis.

Voir aussi : Zelensky poursuit sa plaidoirie en faveur de l'internationalisation du conflit

Pour le reste du monde, entre 2014 et 2021, des armes continuent régulièrement d’être exportées, notamment au travers de la frontière polonaise, sous les yeux de l’OSCE et alors que ce pays est colonisé par les agences d’intelligence militaire et sous la loupe satellitaire permanente de l’Otan. Cela ne semble poser aucun prurit moral à personne. Surtout pas à la France, qui aurait été le premier fournisseur en armes de l’Ukraine de 2014 à 2020, selon les propres déclarations de Gabriel Attal survenues le 13 avril 2022. La France pourrait d’ailleurs être accusée d’avoir violé plusieurs conventions de droit public international sur le double usage en matière d’armement offensif.

L’Ukraine ne cesse de réclamer et mendier de l’armement. Mais ce pays est une puissance militaire. C'est même une des rares choses qu’il produit. Ce pays dispose d’une capacité de production qui lui garantit le niveau d’autarcie nécessaire pour inspirer une certaine respectabilité en matière de défense, au travers de son industrie Ukroboronprom, laquelle occupe le poste 77 entre les 100 industries les plus importantes du monde. Ukroboronprom a vendu pour 1 320 milliards de dollars en 2020. Elle produit des chars, des blindés, des munitions et explosifs et dispose de 34 filiales. En fait, sa capacité industrielle de défense est supérieure à celle de certains États qui figurent entre les donateurs en capacité militaires, tels que l’Espagne. Ce qui est souvent qualifié d’armes soviétiques, sort en réalité de l’arsenal moderne de Ukroboronprom.

La menace pour le monde est le saut en qualité qu’est en train d'offrir l’Ukraine grâce à l’arsenal occidental. Une partie de ces missiles de courtes portées, tels que les stringers et les javelines, est revendue au travers du dark net. Mais le plus grave reste le commerce vers d’autres États faillis, tel que l’Ukraine elle-même. De cette absence de traçabilité, le Secrétaire Général d’Interpol, Jurgen Stock, s’est ouvert dans le cadre d’une conférence de presse, le 1er juin, auprès de l’Association de la presse anglo-américaine :

« Je n’ai pas de doute sur le fait que la vente d’armes illégales va augmenter […] Non seulement dans la région voisine de la zone de conflit mais, nous le savons par expérience, ces armes peuvent être trafiquées vers d’autres continents. Nous avons vu cela dans la région des Balkans. Nous avons vu cela sur de nombreux théâtres en Afrique, et bien sûr de nombreuses organisations criminelles essayent d’exploiter la situation chaotique, la disponibilité d’armes, y compris d’armement militaires ».

L’allemand a raison d’opérer cette précision. L’accès de trafiquants d’armes ukrainiens, tels que Viktor Melnyk dans la zone de la Triple Frontière (Paraguay, Argentine, Brésil), a permis à des groupes mafieux brésiliens de s’équiper en armement militaire pour opérer des coups de plus en plus violents, dépassant de très loin l’usage d’armes automatiques, propre au crime organisé. Leur arsenal se militarise. La même chose s’observe dans les cartels mexicains. Toute cette évolution a commencé à se faire sentir dès 2015-2016.

La tradition du trafic d’armes ukrainien remonte au XIXe siècle, avec Basil Zaharoff, lequel a inspiré le personnage de Basil Bazaroff, dans l’opus « l’Oreille Cassée » de Tintin. Bazaroff est le portrait craché de Zaharoff. Les armes de ce dernier ont tué des millions de personnes. Elles ont, entre autres, rendu possible le génocide connu comme la Guerre du Chaco entre le Paraguay et l’Argentine. Zaharoff aura parsemé son siècle de conflits pour rendre possible son négoce, ce qui ne l’empêchera pas de mourir dans son lit, multimillionnaire et détenteur de la Légion d’honneur.

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