Erreur ou chantage sordide, pourquoi Sanchez s’est-il mis à dos l’Algérie ?

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Teresita Dussart, pour FranceSoir
Publié le 12 juin 2022 - 19:40
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Pedro Sanchez, le Premier ministre espagnol, à l'Elysée le 21 mars 2022
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LUDOVIC MARIN / AFP
Pedro Sanchez, le Premier ministre espagnol, à l'Elysée le 21 mars 2022
LUDOVIC MARIN / AFP

CHRONIQUE — Cette semaine, la crise diplomatique entre l’Espagne et l’Algérie a connu son développement le plus dramatique. Une crise énergétique anthologique se profile, non seulement pour la péninsule ibérique mais, par effet de domino, pour l’ensemble de l'Europe occidentale. Ce ne serait pas la conséquence du conflit russo-ukrainien, mais la résultante de l’envenimement soudain des relations entre deux États, l’Algérie et le Maroc qui se détestent depuis des décennies et dont toute la doctrine de défense est basée d’abord sur le fait de se protéger l’un de l’autre. Deuxièmement, sur les prétentions de légitimité au regard du Sahara occidental, occupé par le Maroc depuis 1975.

Avec une brusque accélération toutefois, depuis la reconnaissance de la légitimité marocaine sur le Sahara occidental par Donald Trump, comme un de ses derniers actes en politique étrangère. Mesure ratifiée par Joe Biden. L’affaire des écoutes téléphoniques marocaines sur des membres du gouvernement algérien, au cours du « Hirak » (révolte de 2019) n’a rien arrangé. Ces écoutes sont produites par le biais de la technique israélienne Pegasus. Elles sont abondamment divulguées par la presse internationale. L’Algérie réagit en coupant le gazoduc Euromed, dont une partie transite par le territoire marocain. Pour le royaume chérifien, il s’agit d’un manque à gagner de quelque 300 millions d’euros. Les points de comparaison entre le conflit russo-ukrainien sont d’ailleurs très nombreux. Tant sur le plan de la question du rôle du gazoduc, que sur le plan des alliances géopolitiques. 

La rupture des relations diplomatiques entre les deux États maghrébins est consommée, unilatéralement, par l’Algérie le 24 août 2021. Cependant, l’Espagne, jusqu’en mars 2022, tente de conserver sa traditionnelle neutralité, malgré les pressions exercées sur l’ex-puissance coloniale du Rio d’Oro (Polisario) par le Maroc et les États-Unis. En mars 2022, quelque chose vient rompre cette neutralité qui chamboule la donne. Le 18 mars 2022, Pedro Sanchez avalise la politique annexionniste de Mohamed VI sur le Sahara occidental, usant de trois superlatifs : « la formule la plus sérieuse, réaliste et croyable ». Ce revirement est au cœur de toutes les spéculations. Il s’agit de comprendre ce qui s’est passé, pour justifier une telle mesure en solitaire, en particulier au regard des conséquences pour l’économie espagnole. 

Il aura fallu attendre un peu moins de trois mois pour savoir la forme que prendrait l’ire d’Alger. Mercredi dernier, l’Algérie décide de suspendre le Traité d’amitié bilatéral avec l’Espagne, conclu en octobre 2002, de rappeler son ambassadeur, de geler les opérations bancaires provenant de son ex associé. Mais le plus galvanisant porte sur l’embargo de livraison de gaz.

Cette crise est considérée par l’ensemble du spectre politique espagnol comme une « catastrophe diplomatique » sans précédent, pour reprendre l’expression de l’ex-Président du gouvernement, José Maria Aznar (Parti Populaire, centre droit). Les expressions de sidération tapissent la presse : « idiotie majeure », « non-sens », etc. La question qui taraude les esprits depuis est : quelle mouche a piqué Pedro Sanchez, vous mettre l’Espagne dans une situation aussi scabreuse, se fermant la porte à son principal associé énergétique, pour se rallier aux visées marocaines, à l’égard de qui l’Espagne ne doit rien, et dont les excellentes relations s’en tiennent au cadre strictement personnel des deux familles régnantes, les Bourbons et les Alaouites ?

Une explication politique aurait pu être celle de l’ambition personnelle de Pedro Sanchez qui sait que son avenir politique en Espagne est plus que compromis et pour lequel le coup de volant ultra-atlantiste, donc marocain, serait une garantie de se « recaser », probablement à la présidence du Conseil de l’Europe. Ce serait cohérent avec son choix de limoger son ex-ministre des Affaires étrangères Arancha Gonzalez Laya, et de choisir Jose Manuel Albares, un chancelier clairement plus atlantiste. Gonzalez porte le chapeau pour l’affaire de l’asile temporaire accordé à Brahim Ghali, président de l’autoproclamée, quoique soutenue par l’Algérie, « République arrabe sahraouie démocratique » (RSAD). Ghali était venu se faire soigner en Espagne, en 2021.

Mais une autre explication émerge. Celle des écoutes téléphoniques, tout comme pour l’Algérie. Pedro Sanchez a déclaré, au plus fort de la crise hispano-marocaine, que son téléphone et celui de certains de ses ministres avaient été hackés par le système Pegasus. Or, entre les conversations téléphoniques se trouverait des informations très compromettantes sur la corruption et le népotisme de son gouvernement. Certaines d’entre elles impliquant sa femme. Cette écoute aurait pu faire infléchir Sanchez vers un revirement à 180 degrés en faveur du Maroc. Les journaux La Razon et El Mundo se trouvent entre les titres évoquant la responsabilité directe des services marocains dans l’exécution de ces écoutes illégales. Le PP a demandé la création d’une commission ad hoc sur les écoutes Pegasus et leur possible impact dans la décision de Pedro Sanchez. Si un tel scénario venait à se confirmer, il s’agirait de l’opération de chantage géopolitique la plus retentissante depuis très longtemps.

L’Algérie était, jusqu’en 2021, le principal fournisseur de gaz de l’Espagne. Fin 2021, après la fermeture de son gazoduc qui passe par le Maroc, l’Algérie avait pris l’initiative de garantir à l’Espagne, l’augmentation de ses exportations au travers du pipe Medgaz, arrivant directement sur les côtes de la province d’Almeria. En sus, Alger s’engageait à fournir par bateau, sans coût additionnel, le rémanent ne pouvant transiter par le gazoduc. D’où le fait que l’Algérie soit objectivement médusée.

En 2021, l’Espagne dépendait à 42,7% du gaz algérien (source Enargas). À partir du revirement de Pedro Sanchez, les États-unis ont, en moins de trois mois, remplacé l’Algérie, passant à 43% de gaz US (de fraking) contre 30% algérien. Mais le gaz américain, coûte en moyenne 40% plus cher que le gaz algérien.

Face à la menace de rupture unilatérale des accords commerciaux entre l’Algérie et l’Espagne, le gouvernement de Pedro Sanchez s’est efforcé de donner une tournure européenne à la crise. Avec un certain succès. La rupture avec l’Espagne serait interprétée selon Ursula von der Leyen comme une rupture de confiance avec toute l’UE. Vendredi, Albares rencontrait le responsable de la politique commerciale de l’Union européenne, Valdis Dombrovskis. Pour la partie espagnole, une rupture unilatérale devrait être dénoncée devant un tribunal d’arbitrage international.

Le soutien européen semble avoir eu quelque effet sur le gouvernement algérien, dont le représentant pour traiter cette crise, l’ex-ambassadeur en Espagne, architecte de l’accord euro-méditerranéen de 2005, Mohamed Haneche, ne rate pas une occasion de railler le gouvernent espagnol et de moquer les autorités de l’UE, dont Josep Borell. Haneche déclarait toutefois vendredi qu’il n’est pas question de suspendre les livraisons, signifiant un répit relatif.

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