Turquie : les professeurs limogés descendent dans la rue

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Par AFP
Publié le 23 février 2017 - 09:28
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Manifestation de protestation des unisversitaires et des étudiants contre les limogeages d'après la
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Manifestation de protestation des unisversitaires et des étudiants contre les limogeages d'après la tentative de coup d'Etat, le 13 février 2017 à Ankara
© ADEM ALTAN / AFP/Archives

Malgré le froid mordant, ils sont plus de 100 à être venus assister dans un parc d'Ankara au cours magistral de Sevilay Celenk, l'une des milliers d'universitaires limogés depuis une tentative de coup d'Etat en Turquie.

Comme elle, plusieurs des quelque 5.000 professeurs emportés par les purges lancées après le putsch manqué continuent de transmettre leur savoir dans les rues et les parcs d'Ankara, une manière de protester contre l'"injustice".

"Nous sommes face à un limogeage véritablement injuste, illégal, sans aucun fondement", dit à l'AFP Mme Celenk. "C'est le signal que la liquidation effrayante de toute opposition démocratique ou de gauche va se poursuivre."

Mme Celenk affirme avoir perdu son poste pour avoir signé une pétition lancée l'année dernière pour dénoncer les actes des forces de sécurité turques lors d'opérations contre les rebelles kurdes. Cette pétition avait suscité la fureur du président Recep Tayyip Erdogan.

"Résister avec des histoires" : c'est l'intitulé de ce cours d'une quinzaine de minutes, le cinquième du genre, dispensé un dimanche après-midi de février par Mme Celenk, professeure de communication à l'Université d'Ankara jusqu'à son limogeage par décret-loi le 6 janvier.

Depuis le putsch manqué du 15 juillet, plus de 100.000 personnes ont été limogées ou suspendues. Au-delà des putschistes présumés, de nombreuses figures de la cause kurde et de la gauche ont été touchées.

Les autorités turques nient toute chasse aux sorcières et affirment que ces mesures d'exception sont nécessaires pour nettoyer les institutions des éléments factieux.

- "Atteintes à l'honneur" -

"On nous a confisqué notre droit à l'éducation", s'indigne Ilkyaz Gencdal, étudiante venue suivre le cours en plein air. "C'est comme si on versait du béton sur notre école".

A l'Université d'Ankara, on assure qu'aucun département ne sera fermé et que des mesures sont prises pour remplacer les professeurs limogés. Sollicité par l'AFP, le ministère de l'Education nationale a refusé de s'exprimer sur ce sujet.

Nuriye Gülmen, elle, manifeste chaque jour au pied d'une statue du centre d'Ankara pour protester contre son limogeage de son université à Selçuk (ouest), et envisage une grève de la faim.

"Nous pouvons nous remettre des douleurs physiques. Mais les atteintes à notre honneur, il va falloir vivre avec toute notre vie", explique-t-elle.

Ne pouvant plus payer son loyer, elle est désormais contrainte de loger chez qui veut bien l'accueillir, tout comme Acun Karadag, une enseignante de collège également limogée.

Accusée d'être membre de l'organisation de Fethullah Gülen, un prédicateur islamiste installé aux Etats-Unis à qui Ankara impute le putsch manqué de la mi-juillet, Mme Karadag a d'abord décidé de manifester en restant devant son collège.

Mais après une hospitalisation pour des problèmes de tension "causés par toute cette pression", selon son médecin, elle a décidé de se joindre à Mme Gülmen.

Lors de leurs manifestations, des cafés et restaurants leur apportent à boire et à manger, par solidarité.

- "Laïques de gauche" -

Si les deux femmes nient tout lien avec l'organisation islamiste, se définissant comme des "laïques de gauche", elles admettent avoir entendu dire que certains de leurs collègues étaient des gulénistes.

Fin janvier, le gouvernement a annoncé la création d'une commission chargée d'examiner les cas de ceux qui estiment avoir été mis en cause à tort par des décrets-lois pris sous l'état d'urgence.

Kamuran Karaca, président du puissant syndicat d'enseignants Egitim-Sen, auquel appartiennent Mmes Celenk, Gülmen et Karadag, a déjà affirmé qu'il saisirait cette commission.

Sur les 11.500 membres du syndicat suspendus dans le cadre de l'état d'urgence en 2016, tous sauf 70 ont déjà été réintégrés à leur poste, explique-t-il.

Pour Emma Sinclair-Webb, directrice Turquie de Human Rights Watch, cette commission a été mise en place pour satisfaire le Conseil de l'Europe. "Mais en réalité, ce n'est pas du tout un remède à ces problèmes."

Même circonspection du côté d'Andrew Gardner, chercheur spécialisé sur la Turquie à Amnesty International. Selon lui, "le principal objectif de cette commission semble être d'empêcher les gens de se rendre devant la Cour européenne des droits de l'Homme".

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