Écologie : des étudiants d'AgroParisTech soulèvent des questions en servant un discours radical
"À nos yeux, ces jobs sont destructeurs et les choisir, c'est nuire en servant les intérêts de quelques-uns." Voilà en substance le message qu'a voulu faire passer un groupe d'étudiants d'AgroParisTech lors de la cérémonie de remise des diplômes, le 30 avril 2022. Militants d'ultra-gauche pour les uns, espoirs pour les autres, ces huit ingénieurs nouveaux ne vont probablement pas le rester bien longtemps : ils décident de "bifurquer" et appellent "ceux qui doutent" à en faire autant.
"Déserter" un avenir tout tracé
Si AgroParisTech se vante de former des "ingénieurs du vivant", ces huit diplômés ne sont pas du même avis. Leur discours met clairement en cause la bonne foi de l'école : "Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d'être fiers et méritants d'obtenir ce diplôme, à l'issue d'une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours."
Après avoir critiqué les méthodes et débouchés de l'école parisienne, les jeunes orateurs ont tenté de peindre un autre tableau : "Des personnes qui comprennent leur territoire pour vivre avec lui sans l'épuiser, qui luttent activement contre des projets nuisibles, qui pratiquent au quotidien une écologie populaire, décoloniale et féministe, qui retrouvent le temps de vivre bien et de prendre soin les uns des autres. Toutes ces rencontres nous ont inspirés pour imaginer nos propres voies." Au fil de leur discours, la science et la technologie que l'on prête par habitude à l'ingénierie, semblent s'évaporer. Elles laissent place à l'apiculture, à l'agriculture collective et vivrière au sein des ZADs, au dessin, ou encore aux boulots saisonniers. Si certains d'entre eux vont se servir de leurs acquis pour innover autrement, d'autres vont passer du tout au tout. D'aucuns ironisent même... du tout au rien.
Un discours clivant, salué ou vilipendé
Une chose est sûre : cette intervention a fait jaser. Publiée le 10 mai au soir, la vidéo a franchi la barre des 450 000 vues et a rapidement animé les réseaux sociaux, pour le meilleur et pour le pire.
Sans surprise, Jean-Luc Mélenchon a salué le courage de ces étudiants, à l'instar du chercheur et contributeur au GIEC François Gemenne (université de Liège) et du médecin réanimateur Louis Fouché :
Appel à déserter - Remise des diplômes AgroParisTech 2022 https://t.co/uRYrMVb5eF
— Louis Fouché (@louisfouch3) May 10, 2022
Merci à ces "agros" qui bifurquent ! Puissent ils ouvrir des possibles pour un monde meilleur.#permaculture #unenotrehistoire
D'autres en revanche, politiquement plus à droite, se sont ouvertement moqués. L'économiste Philippe Herlin, par exemple, n'y est pas allé avec le dos de la cuillère : "Des abrutis de gauchistes anti-science et anticapitalistes. Remboursez vos études et allez vivre dans des cavernes." Toujours prompte à défendre "la science", la journaliste du Point Géraldine Woessner s'est elle aussi indignée : "L'idéologie triomphante. Quand des militants d'ultra-gauche, étudiants d'@AgroParisTech, appellent à politiser sciences et techniques, et à jeter aux horties tout modèle qui ne serait ni décroissant, ni collectiviste, on peut s'inquiéter pour la démocratie."
De son côté, AgroParisTech réalise une jolie pirouette et écrit sur son site : "L’intervention de ces huit diplômés, comme celles – plus nombreuses – de leurs camarades qui ont choisi d’autres voies, confirme que l’enseignement d’AgroParisTech s’inscrit au cœur des enjeux et débats qui traversent notre société."
De quel monde voulons-nous ?
S'ils sont vivement critiqués, ces appels écologistes se font de plus en plus nombreux. Comme le rappelle fièrement Le Monde, le 11 mai dernier, des étudiants des Écoles normales supérieures ont eux aussi signé une tribune pour répondre "aux enjeux impérieux de ce siècle" grâce à la science. En 2018, c'étaient des étudiants de Polytechnique et HEC qui donnaient le la.
Tous ne prévoient pas d'emprunter le même chemin, mais ils s'accordent pour dire qu'un changement de paradigme est nécessaire. Les fonceurs se tourneront vers des personnalités telles que Christophe Doré ou Bertrand Alliot, défenseurs de ce qui pourrait s'appeler une "écologie de droite et de solutions".
Voir aussi : Écologie: "Nous avons les solutions et nous avons tous un rôle à jouer" Christophe Doré
D'autres, plus philosophes et peut-être plus radicaux, pencheront davantage vers l'astrophysicien Aurélien Barrau, auteur de "Il faut une révolution politique, poétique et philosophique" (éditions Zulma) et défenseur d'une plus riche biodiversité. Au micro de France Inter le lundi 9 mai, il expliquait que le choix des mots est primordial pour éviter d'opposer les choses entre elles : l'homme et l'environnement, par exemple. Il s'amusait à dire que "ce qui tue aujourd’hui, c’est notre manque d’imagination", et conseillait aux jeunes ingénieurs de militer pour faire fermer leurs écoles. Selon son analyse, qui rejoint dans la forme celle de Mehdi Belhaj Kacem, il est inutile de chercher à résoudre le problème sans savoir ce que l'on veut, in fine. "Quand le postulat de départ est faux, tout le reste l'est aussi", nous confiait le philosophe autodidacte de Turenne. Aussi faudrait-il, avant d'entreprendre quoi que ce soit — du bétonnage des terres à l'invention d'un avion à moteur hydraulique — et de choisir un camp plutôt qu'un autre, prendre du temps pour répondre à une question fondamentale : de quel monde voulons-nous ?
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.