Génocide rwandais : aux assises de Paris, le dernier cri des victimes
Représentant des victimes ou d'associations, ils se sont attachés à marteler aux jurés quelques points cardinaux: la spécificité du crime des crimes, la souffrance des victimes, le besoin de justice pour se reconstruire, leur conviction que les deux anciens bourgmestres de Kabarondo, Octavien Ngenzi et Tito Barahira, avaient "bien participé au génocide" dans leur village de l'est du Rwanda en avril 1994.
Le massacre le plus effroyable eut lieu à l'église, le 13 avril, dans cette commune rurale où des milliers de paysans tutsi des environs étaient venus trouver refuge, espérant gagner un sanctuaire, comme l'avaient été les églises lors des pogroms précédents depuis les années 1960.
Au gré des plaidoiries sont apparus à nouveau le visage balafré de Christine Muteteri, la voix claire de l'abbé Oreste Incimatata, qui organisa une résistance désespérée dans l'église et évalue à "au moins 2.000" le nombre de morts, le calvaire de Marie Mukamanana, qui perdit ses sept enfants, la plupart découpés à la machette sous ses yeux. La peine d'Osée Karekezi, qui considérait Ngenzi "comme son fils" et a vu "l'humanité le quitter". La "peur" inspirée par Barahira, "un homme brutal" haranguant les tueurs selon plusieurs survivants. Face à deux accusés qui nient toute participation aux massacres, les avocats ont rappelé la longue liste de témoins venus les impliquer, à des degrés divers, dans le génocide.
Michel Laval, avocat de quinze parties civiles, a raillé le Kabarondo idyllique décrit par ses anciens maires, un îlot semblant avoir échappé à la montée de la haine: "Dans cette préfecture à feu et à sang, alors que se déroulent les pires massacres, Barahira taille sa haie de cyprès et n'oublie pas de relever ses loyers." Quant à Ngenzi, dit-il, "il faut le faire: il vient devant nous en se faisant passer pour un Juste, en prétendant avoir sauvé des Tutsi".
Gilles Paruelle, conseil de l'association de rescapés Ibuka et de la communauté rwandaise en France, a rappelé aux jurés le caractère exceptionnel de ce procès, qui doit juger des crimes de génocide. "Pour tuer un seul homme, il suffit d'avoir de la haine, pour en tuer un millier, il faut une organisation. A Kabarondo, nous savons que des listes avaient été établies, avant 1994", a-t-il dit, rappelant que pendant le génocide, "l'ordre régnait à Kigali", la capitale, "les banques étaient toujours ouvertes" et "les représentants de l'Etat se déplaçaient sans problème".
Les représentants d'associations de défense des droits de l'Homme, Sabrina Goldman pour la Licra ou Loïc Padonou pour la FIDH, ont souligné la nature particulière de ce crime: celui d'être né tutsi. Le message était "tuez-les tous pour ce qu'ils sont, pas pour ce qu'ils ont fait", rappelle Me Goldman. "Barahira ne voit pas les corps. Mais bien-sûr, il ne les voit pas parce que ce sont des +cafards+."
"Le racisme est une plaie de l'humanité. C'est pour cette raison que ces infractions qui atteignent l'humanité toute entière peuvent être jugées en France, en Belgique ou ailleurs", a relevé Me Padonou, rappelant la compétence universelle des tribunaux français concernant le génocide rwandais.
Après huit semaines d'audience, Me Sophie Dechaumet a demandé aux jurés de "ne pas se tromper de procès": "Ce qui hante aujourd'hui cette salle, ce ne sont pas les crimes du FPR (ex-rébellion tutsi actuellement au pouvoir à Kigali) au Rwanda ou dans les forêts congolaises, mais le génocide des Tutsi au Rwanda."
Les survivants, qui se sont constitués partie civiles "pour que justice soit faite", "ne toucheront pas d'argent", a souligné Serge Arzalier. Il défend Oscar Kajanage, un Tutsi, ami d'enfance de Ngenzi: un "homme qui a tout perdu" et "n'accuse pas de gaîté de coeur". Le réquisitoire devait débuter dans l'après-midi pour s'achever lundi. Le verdict est attendu mercredi.
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