Perpétuité réelle : Salah Abdeslam peut-il être condamné "à vie" en France ?

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Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 23 avril 2018 - 12:37
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Un croquis d'audience montre Salah Abdeslam, pendant son procès au Palais de Justice de Bruxelles, le 7 février 2018
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© Benoit PEYRUCQ / AFP/Archives
Salah Abdeslam ne peut pas être condamné "à vie", mais sa libération pourrait être refusée.
© Benoit PEYRUCQ / AFP/Archives
La justice belge a condamné ce lundi Salah Abdeslam a 20 ans de prison pour sa participation à la fusillade survenue peu avant son arrestation. En France, de nombreuses voix se sont élevées pour qu'une peine exemplaire soit prononcée contre le seul rescapé des terroriste du 13 novembre à l'issue de son futur procès. Il encourt la perpétuité mais aussi exceptionnels et graves que soient les faits, la condamnation à la "prison à vie" n'existe pas en France, rappelle en partenariat avec "France-Soir", Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon.

Salah Abdeslam, le seul rescapé des auteurs des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, a été jugé à Bruxelles pour la fusillade intervenue dans la capitale belge le 15 mars 2016, quelques jours avant son arrestation, et condamné ce lundi à 20 ans de prison.

A Paris, l’instruction est toujours en cours sur les attentats du 13 novembre. Salah Abdeslam est mis en examen pour assassinat en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste.

A ce stade de la procédure, il est en détention provisoire et présumé innocent jusqu’au prononcé d’une décision de justice définitive.

Voir: Fusillade à Bruxelles en 2016 - Abdeslam fixé sur son sort lundi

En l'état actuel du droit, les auteurs d'actes terroristes encourent la prison à perpétuité.

Cette peine peut être assortie d'une période de sûreté de 22 ans. La peine de sûreté signifie qu’aucun aménagement de la peine n’est possible pendant ce délai. Le condamné ne peut donc demander ni permission de sortie, ni libération conditionnelle, ni suspension ou fractionnement de peine, ni placement à l'extérieur ou en semi-liberté.

Cela ne signifie pas non plus qu'à l'issue de ce délai le condamné sortira de prison.

A la fin de cette période, un détenu a toutefois la possibilité de saisir le juge d'application des peines afin de demander un aménagement de peine, comme la libération conditionnelle, par exemple, qui peut lui être refusé. Le tribunal de l'application des peines examine souverainement la demande au regard de la situation du condamné, de ses efforts de réinsertion sociale (perspective d'embauche, d'hébergement) et de son comportement en détention.

La peine maximale prévue dans le droit français, appelée "perpétuité réelle", comporte une période de sûreté de 30 ans, mais elle ne concerne a priori pas Salah Abdeslam. Cette sanction prévue par l‘article 221-3 du Code pénal n'est applicable qu'aux personnes condamnées pour le meurtre ou l'assassinat d'un mineur de quinze ans, précédé ou accompagné de viol ou de tortures et d'actes de barbarie, ainsi qu'au meurtre en bande organisée ou assassinat d'une personne dépositaire de l'autorité publique, à l'occasion ou en raison de ses fonctions.

Lire aussi: Salah Abdeslam, petit caïd devenu suspect clé des attentats du 13-Novembre

Alors pourrait-on durcir la loi pénale et l’appliquer immédiatement aux auteurs des effroyables attentats du 13 novembre 2015?

Non car selon un grand principe du droit français inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en son article 8: "nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée".

Ce principe de non rétroactivité de la loi pénale applicable, empêche d’appliquer aux auteurs présumés des attentats du 13 novembre les lois pénales postérieures, dans l’hypothèse ou l’on souhaiterait une perpétuité réelle ou avec une période de sûreté plus importante, voire même, comme certains le demandaient, de supprimer la période de sûreté pour empêcher le condamné de demander un aménagement de sa peine. Concrètement, dans ce cas de figure, dès sa condamnation une personne saurait qu'elle n'a aucune chance de sortir de prison.

La prison à vie n'existe pas en France. Le droit européen et notamment l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme interdit en effet les "traitements inhumains ou dégradants". La Cour européenne des droits de l'homme exige que tous les détenus aient le droit d'avoir la perspective de sortir un jour de prison, ce que permet la loi française. "Le droit français offre une possibilité de réexamen de la réclusion à perpétuité, qui est suffisante", a estimé le 13 novembre 2014 la Cour européenne des droits de l'homme, saisie par le criminel multirécidiviste Pierre Bodein. En effet l’article 720-4 du code pénal laisse toujours la porte ouverte à un aménagement de peine. En prévoyant cette hypothèse dans le cas où "le condamné manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale".

Toutefois, un dispositif peut permettre de garder un détenu au-delà de sa peine: la rétention de sûreté, introduite par la loi en 2008 mais qui reste exceptionnelle.

L’article 706-53-13 du code de procédure pénale prévoit: "A titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l'issue d'un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l'objet à l'issue de cette peine d'une rétention de sûreté", "à la condition qu'elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes, commis sur une victime mineure, d'assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration. Il en est de même pour les crimes, commis sur une victime majeure, d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d'enlèvement ou de séquestration aggravé". Des conditions dont certaines pourraient être retenues à l'issue du procès de Salah Abdeslam.

Le texte prévoit toutefois que la rétention de sûreté ne peut être prononcée que si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l'objet à la fin de sa peine d'une éventuelle rétention de sûreté. Cette rétention est prévue pour une durée limitée mais peut être renouvelée.

La perpétuité réelle absolue serait en contradiction avec le droit européen, et contredirait les fondements philosophiques de notre droit pénal.

La peine au XXIe siècle, si elle doit être exemplaire face à des crimes abominables, doit permettre également l'amendement de l'individu. Elle n'a plus pour unique objectif, comme au Moyen Age d'expier les souffrances de la société et des victimes par la punition de l'individu. C’est le sens de la possibilité d'envisager un aménagement, au terme de vingt-deux ans d'emprisonnement. Enfin, l'anéantissement de tout espoir de réinsertion, de toute possibilité de sortie d’un condamné mettrait l'univers carcéral, les autres détenus et le personnel pénitentiaire, dans une grande insécurité.

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