Syrie : silence de mort dans les ruines de la Vieille ville d'Alep et sa citadelle
Durant des siècles, et jusqu'au début du conflit en 2011, la métropole septentrionale était la capitale économique du pays. Un important centre culturel attirant les touristes du monde entier pour admirer les sites historiques, vestiges des nombreuses civilisations qui s'y succédèrent dans une des plus anciennes villes au monde. Mais aujourd'hui, seuls des chats errants sont visibles dans les ruelles jonchées de gravats de la Vieille ville inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco.
La célèbre place al-Hatab, l'une des plus anciennes de la ville, est envahie par les barricades de sable et les carcasses calcinées de bus renversés. L'avocat et historien alépin, Alaa al-Sayyed, n'en croit pas ses yeux. "Je ne pouvais même pas la reconnaître, elle est tellement endommagée. Je me suis dis +ça peut pas être la place al-Hatab+", confie l'historien.
Quatre années durant, la Vieille ville a été l'une des lignes de front. Ses vestiges antiques portent les traces des combats incessants ayant opposé rebelles des quartiers Est aux soldats du régime contrôlant les secteurs Ouest. Le 7 septembre, les insurgés ont été contraints de s'en retirer, débordés par l'offensive foudroyante lancée par le régime à la mi-novembre. Les pertes provoquées par les violences de ces dernières années sont inestimables.
Le minaret seldjoukide de la mosquée des Omeyyades, datant du XIème siècle, s'est effondré. La citadelle, joyau de l'architecture militaire islamique du Moyen-Âge, dont la construction avait débuté au Xe siècle, a perdu une section de ses imposants remparts. Et le souk, avec ses échoppes parfois centenaires, a été partiellement détruit par les flammes.
Ce marché couvert était le plus grand au monde avec ses 4.000 échoppes et ses 40 caravansérails, qui attiraient depuis des siècles des artisans et des marchands venus des quatre coins du monde. Aujourd'hui, ses murs sont couverts d'impacts de balles et des traces des tirs de mortier et de roquettes.
Le souk était "le coeur économique d'Alep, il fait partie d'un héritage irremplaçable", déplore M. Sayyed. S'y attaquer "c'est porter un coup décisif à l'économie d'Alep, puisque des milliers de familles, riches ou pauvres, dépendaient du souk pour leur gagne-pain". Abou Ahmad, 50 ans, est là pour en témoigner.
Ce commerçant possédait plusieurs échoppes dans la Vieille ville, où il vendait les étoffes aux couleurs vives qu'il fabriquait. Contraint par les combats d'abandonner son commerce florissant, il tient aujourd'hui un modeste kiosque dans le quartier central de Fourkane, préparant du café et autres boissons chaudes pour les passants.
"J'ai dû vendre les bijoux de ma femme pour acheter ce kiosque", se lamente Abou Ahmad, les larmes aux yeux. Il rêve de revenir à l'ancien souk, espérant voir une de ses boutiques encore debout. Sinon, il devra vendre sa voiture pour payer les réparations. "Je suis un commerçant et je ne veux pas abandonner mon commerce. Je veux le transmettre à mon fils", lance-t-il.
La guerre a ravagé le secteur touristique près de la citadelle, n'épargnant ni la mosquée Al-Sultaniya ni le Grand-Sérail, un élégant bâtiment administratif en pierre blanche datant du mandat français. Le Carlton Hotel, un palace, a été réduit en poussière en février 2014 lorsque des rebelles ont fait exploser des mines dans des tunnels.
Et dans le quartier voisin d'Aqyul, les immeubles résidentiels détruits par les combats s'alignent à perte de vue. Aux fenêtres, dont les vitres ont été soufflées par les explosions, des lambeaux de rideaux bleus battent au vent.
Un chat errant déambule parmi les décombres, s'arrêtant pour renifler un corps décomposé au milieu de la route. Même le cimetière local n'a pas échappé aux combats. Les pierres des sépultures brisées gisent dans l'herbe sèche.
Dans le quartier de Bab al-Hadid, où se trouve l'une des portes de l'Alep médiéval, le silence règne. Près de la place éponyme, datant de 1509, le drapeau de l'opposition, doté de trois étoiles rouges, est peint sur les devantures des boutiques. Sur un mur du quartier désert, un graffiti: "de l'Houran (région du sud) à Alep, la révolution continue".
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