Fukushima au Japon, Zaporijia en Ukraine, munitions à uranium appauvri... : notre alimentation peut-elle être contaminée par la radioactivité ?

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Gilles Gianni, France-Soir
Publié le 21 juillet 2023 - 17:30
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Photo de Kilian Karger sur unsplash.com
Les champs de blé peuvent-ils être contaminés par des armes à uranium appauvri ?
Photo de Kilian Karger sur unsplash.com

ENVIRONNEMENT - L'industrie de l'énergie nucléaire a le vent en poupe dans les médias. Selon elle, son bilan carbone positif permettrait de lutter contre le réchauffement climatique. Outre l'évaluation de ce constat à vérifier, qui fait d'ailleurs autant débat que la climatologie contemporaine, des experts pro-nucléaires minorent les dangers de l'atome civil. Selon eux, les désastres contemporains (Tchernobyl, Fukushima) n'auraient pas ou peu fait de victimes. Deux aspects sont passés sous silence par ces habiles communicants : la durabilité temporelle de la pollution générée dans l'environnement et l'impact de celle-ci par la contamination de ressources agricoles dédiées à l'alimentation humaine ou animale. Alors qu'une guerre fait rage en Ukraine, l'un des greniers à blé du monde, l'utilisation de munitions contenant de l'uranium inquiète. Comme l'état des installations de la centrale de Zaporijia, autour desquelles plusieurs assauts ont eu lieu.  

Le 26 avril 1986, l'accident nucléaire de Tchernobyl en Ukraine entraîne la contamination radioactive de plusieurs régions en Europe. La France est concernée, principalement à l'est du pays et en Corse. À l'époque les autorités ont été rassurantes au point de proférer un grand mensonge, au moins par omission. L'opinion populaire l'a immortalisé sous une formule très imagée : "Le nuage de Tchernobyl s'est arrêté à la frontière". Évidemment, cela n'est pas le cas. Le déplacement horizontal des masses d'air se moque bien des petites lignes administratives tracées sur les cartes.  

Le précédent de Tchernobyl  

Le 6 mai 1986, le ministère de l'Agriculture dirigé par Louis Mermaz publie un communiqué : "Le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées de radionucléides consécutives à l'accident de la centrale de Tchernobyl." Mais précise plus loin qu'à "aucun moment les hausses observées de radioactivité n'ont posé le moindre problème d'hygiène publique". Bigre. Le sol aurait été "épargné par les retombées de radionucléides", mais voilà que se pose la question de la dose radioactive...  

De fait, des produits alimentaires sont contaminés et certains plus que d'autres de par leur nature, comme des salades ou le lait. Soit tous les produits en contact avec le sol, qui dépendent directement de ce qui pousse au sol (fourrage) ou exposés en plein air. Les spécialistes de la question le savent pertinemment. Encore faut-il que l'opinion publique soit mise au courant. Les autorités préfèrent ne rien dire, voire nient la possibilité d'une telle pollution pour une grande partie de la population, dans un pays qui dénombre plus de cinquante réacteurs nucléaires. C'est l'omerta.  

Diverses particules radioactives, dont le césium-137 et l'iode 131, des isotopes radioactifs produits lors de l'accident, se diffusent en France. Certaines sont ingérées par le biais de l'alimentation par des citoyens qui n'ont ainsi pas été alertés par l'État. Bruno Chareyron, ingénieur et directeur du laboratoire de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) confirme le constat: "Les autorités françaises n'ont pas dit expressément que 'le nuage s'est arrêté à la frontière', mais elles ont agi comme s'il n'y avait aucune contamination significative en France puisqu'elles n'ont mis en œuvre aucune consigne de protection, même pas pour les jeunes enfants ou les femmes enceintes."  

À l'époque, le "principe de précaution" émerge à peine à l'état de concept. Et la loi de 1995 en la matière, dans le cadre de la Charte de l'Environnement, n'existe pas encore. Les mesures de la radioactivité, en revanche, sont tout à fait réalisables techniquement. La CRIIRAD, fondée en mai 1986 après la catastrophe sous l'impulsion de Michèle Rivasi (aujourd'hui députée européenne Ecologie-Les Verts) se rend rapidement capable d'acquérir des données. Ces dernières sont le nerf de la guerre scientifique pour éclairer l'opinion de façon factuelle et incontestable.  

"La cartographie établie par la CRIIRAD à partir de carottages de sol a permis de démontrer que les dépôts de césium 137 (une substance radioactive) étaient, en de nombreux secteurs de l'est du territoire, de la Corse à l'Alsace, 1 000 fois supérieurs aux valeurs mentionnées initialement par les autorités. Et ce césium 137 était accompagné à l'époque de plus d'une dizaine d'autres substances radioactives comme l'iode 131. Les calculs effectués par la CRIIRAD à partir de résultats de mesures de la contamination en iode 131 de produits laitiers ont permis d'établir que certains groupes à risque ont pu recevoir des doses de radiation à la thyroïde largement supérieures aux limites sanitaires en vigueur à l'époque", détaille Bruno Chareyron.   

Qu'aurait-il fallu faire alors ? "Dans la mesure où la radioactivité de l'iode 131 est divisée par 2 tous les 8 jours, il aurait été relativement simple de conseiller aux citoyens des secteurs les plus touchés (en Corse notamment) de différer la consommation de produits laitiers frais par exemple", explique le directeur du laboratoire de la CRIIRAD. Cela n'est-il plus qu'un mauvais souvenir ? Non. "En ce qui concerne la contamination actuelle héritée de Tchernobyl, elle a très fortement diminué mais le césium 137 reste mesurable en France dans les sols et certaines denrées de certains secteurs (champignons, gibier, etc..). Les phénomènes les plus marquants sont les points chauds enregistrés en altitude dans les Alpes", dit-il. Une vidéo réalisée par la CRIIRAD en 2015 dans le Mercantour permet de révéler des taux tellement élevés par endroits que certaines parties du sol peuvent être qualifiées de "déchet radioactif". Une démonstration impressionnante.  

Si un événement similaire devait entraîner des retombées sur le territoire français, la CRIIRAD, dans sa mission d'informer le grand public sur les risques radioactifs a mis au point une série de fiches didactiques afin de comprendre les mécanismes de contamination après des retombées radioactives. Cette situation s'est-elle déjà répétée ailleurs ou peut-elle se reproduire ?  

Fukushima : une agriculture et toute une chaîne alimentaire marquées par la contamination nucléaire  

Le 11 mars 2011, au Japon, au large de Fukushima se produit un tremblement de terre d'une rare intensité : 9.0 sur l'échelle de Richter. Un tsunami est provoqué. La vague consécutive à ce dernier provoque l'inondation des installations de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. Le cœur de trois des réacteurs de la centrale entre en fusion. C'est l'explosion. Un corium se forme et traverse les cuves métalliques pour s'enfoncer petit à petit dans le béton du radier. Un panache de pollution aux matières radioactives apparaît dans toute la région, au sol, à la façon des tâches sur un léopard.   

La pollution d'exploitations agricoles est immédiate et, dans certains cas, irréversible à l'échelle d'une vie humaine. Pourtant, de nombreux médias continuent aujourd'hui d'indiquer qu’il n’y a aucun impact sanitaire. Un tel constat est-il raisonnable ? "La catastrophe de Fukushima a conduit à des rejets massifs de substances radioactives dans l'atmosphère et dans le Pacifique. Des centaines de milliers de personnes ont été exposées à des doses significatives parfois largement supérieures aux limites fixées en temps normal pour maintenir les niveaux de cancer à un niveau 'socialement acceptable'. Ces doses ont été induites par l'inhalation d'air contaminé , par l'irradiation à long terme induite par les sols contaminés et par l'ingestion d'aliments contaminés", oppose Bruno Chareyron.   

Les autorités japonaises ont-elles été plus promptes que les françaises au temps de Tchernobyl à protéger la population ? "Nous avons été choqués à la CRIIRAD de voir qu'il a fallu attendre plusieurs jours après le début des rejets radioactifs pour qu'il y ait des restrictions sur certains groupes d'aliments. Nous avons rencontré un maraîcher Japonais en mai 2011 qui nous a dit que lui et sa famille avaient consommé une partie de sa production contaminée puisqu'il n'avait pas le droit de la vendre. Compte tenu des doses subies par un nombre considérable de citoyens Japonais, l'application des coefficients de risque officiels conduit à déduire qu'il y aura un nombre important de cancers en excès et d'autres pathologies, à commencer par les cancers de la thyroïde", déplore-t-il.  

Mais alors, devant ce constat, pourquoi certains journalistes de la presse mainstream, n'ayant pas peur de prendre pour argent comptant et source des informations relayées par des lobbies liés à l'industrie chimique, pharmaceutique des OGM et du nucléaire, peuvent-ils contester avec autant de véhémence les preuves d'un impact nocif sur la population ?  

Ce dernier est statistiquement inévitable aux yeux de l'ingénieur membre de la CRIIRAD : "(Au Japon), beaucoup d'efforts sont faits pour empêcher une évaluation quantitative correcte afin de tourner la page au plus vite. Alors qu'il y a une forte augmentation des pathologies thyroïdiennes pour la population la plus exposée aux retombées de Fukushima, certains continuent à nier qu'il puisse y avoir un lien avec l'exposition aux radiations. Ce négationnisme est dénoncé par exemple par le docteur Sakiyama".  

Empêcher l'évaluation quantitative correcte... Autrement dit, casser le thermomètre. Ne pas chercher de malades potentiels pour... ne jamais en trouver. Douze ans après la catastrophe de Fukushima, l’industriel est toujours face au casse-tête de la gestion des déchets radioactifs solides et liquides. Les autorités japonaises ont annoncé le 27 mai dernier devoir rejeter dans l'Océan Pacifique de l'eau contaminée dont le rôle est de refroidir un corium toujours en surchauffe. Une fois ce liquide devenu déchet rejeté dans l'océan, la chaîne alimentaire, des algues aux gros poissons, est potentiellement en situation d'être contaminée. Que sait-on de la contamination marine ? Bruno Chareyron : "Compte tenu de l'intensité des rejets radioactifs dans le Pacifique suite à la catastrophe de Fukushima en 2011, il y a évidemment eu une contamination de la faune et de la flore marine par tout un cocktail de substances radioactives. Des niveaux de contamination en césium radioactif de plusieurs dizaines de milliers de Becquerels par kilogramme ont été mesurés en 2012 dans la chair de poissons pêchés en face de la centrale. En 2016 , la contamination de certains poissons dépassait encore le millier de Becquerels par kilogramme".   

Géographiquement, jusqu'où la pollution peut-elle aller ? "Quelques années après la catastrophe, des substances radioactives liées à Fukushima (césium 137 et 134) ont été détectées dans des poissons pêchés sur la côte est du Pacifique aux USA et au Canada mais à des niveaux très inférieurs aux normes sanitaires", poursuit-il en décrivant une pollution qui est toujours d'actualité : "Le transfert de substances radioactives rejetées lors de la catastrophe de 2011 se poursuit toujours dans l'océan Pacifique par divers mécanismes dont le lessivage des sols contaminés et le transfert des substances radioactives via les cours d'eau (principalement du césium 137)."  

Et "s'y ajouteront les prochains déversements (étalés sur une trentaine d'années) de 1,3 million de tonnes d'eaux  contaminées qui s'accumulent dans plus d'un millier de réservoirs géants à Fukushima. Ils vont apporter encore des substances radioactives dans l'océan (principalement du tritium qui est de l'hydrogène radioactif)".  

Quid dans les assiettes des consommateurs amateurs des produits de la mer ? "Ces dernières années, les niveaux de contamination en césium 137 des poissons pêchés sur les côtes japonaises, dépassent très rarement la norme de 100 Bq/kg en vigueur au Japon (moins de 0,02 % des cas en 2021). De l'autre côté du Pacifique, il ne peut s'agir que d'une contamination radiologique diffuse. Sur les côtes françaises, on peut retrouver en revanche, par exemple, les substances radioactives rejetées par certaines installations nucléaires de l'Hexagone, dont l'usine de retraitement qu'exploite ORANO à la Hague." 

Pas de risque en provenance directe du Japon donc, bien que des relevés pratiqués en Suisse à l'époque de la catastrophe ont bien mis en évidence la présence de Césium-137 dans du cabillaud. Pas de risque qui saute aux yeux, capable d'alerter l'opinion publique de façon violente et immédiate. Pas sans danger pour autant : ici apparaît la difficulté de renseigner suffisamment les citoyens afin de comprendre les enjeux de l'utilisation du nucléaire et ses risques, après accident, de contaminer d'importantes zones productrices de nourriture ou vivier de ressources alimentaires diverses.  

Armes à l'uranium appauvri, le cas Zaporijia  

Des zones que l'on retrouve sur de vastes surfaces en Ukraine. Le 14 juin dernier, un média russe, Sputnik, titrait l'un de ses articles : "Obus à l'uranium pour Kiev, les céréales seront aussi contaminées". Selon sa source principale, Maria Zakharova, la porte-parole et directrice du département de l'information et de la presse du ministère des affaires étrangères russe, "le blé et les produits alimentaires produits en Ukraine deviendront radioactifs suite à la décision de Washington de fournir à l'Ukraine des obus à l'uranium appauvri." Communication de guerre ? Ou préoccupation sanitaire réelle par crainte d'une "épidémie de cancers" ? Des radionucléides peuvent-ils prochainement se retrouver dans le pain, les préparations à base de blé ?   

Bruno Chareyron explique : "L'uranium appauvri est une substance radioactive et un toxique chimique. Pendant longtemps, de nombreux experts et personnes d'influence ont minimisé sa radioactivité. Et cela comme le montrent les déclarations récentes d'un amiral français (Jean-Louis Vichot, minorant l'importance des radiations émises par l'uranium appauvri, ndlr). Pourtant, son utilisation sur les champs de bataille entraîne une contamination de l'air puis des retombées sur les sols et les cultures. Il y a donc une contamination durable de l'environnement (en particulier des sols). Il faut attendre 4,5 milliards d'années pour que la radioactivité de l'uranium 238 soit divisée par 2. Même si les obus ne contiennent pas de tête à l'uranium appauvri, les combats entraînent toujours une contamination durable de l'environnement par des substances dangereuses (explosifs, métaux lourds, etc..), et l'utilisation d'uranium appauvri rajoute un risque supplémentaire pour l'environnement et les hommes."  

En résumé, la communication russe, certes utilisée en période de guerre et accusant frontalement le camp occidental, soulève un vrai problème. Si l'ensemble des déclarations russes et ukrainiennes à propos du nucléaire pouvaient être aussi transparentes que ce constat, la qualité de l'information au public dans ce domaine ferait un certain bon en avant... Même chose en Occident. Rappelons d'ailleurs que toute guerre entraîne des rejets de métaux lourds et autres polluants, radioactifs ou non, qui polluent des zones civiles.   

Dans le cas de la guerre en Ukraine, les regards se portent aussi sur la centrale de Zaporijia, désormais aux mains des autorités russes. Là-encore, de chaque côté, la propagande fait rage et estimer les risques d'une explosion est aussi complexe que de concevoir l'ampleur d'une pollution qui se retrouverait dans des champs de blé dont la production alimente une bonne partie du monde, notamment en Europe et en Afrique. 

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