Les noms de médicaments, casse-tête des laboratoires
Trouver un nom pour un nouveau médicament? L'exercice peut sembler anodin, comparé à la découverte et au long développement d'une molécule. Pourtant, cocher toutes les cases réglementaires en la matière peut causer aux laboratoires de sérieux maux de tête.
"Tussilix", "Céliprane" ou "Voxipur" étaient des noms de médicaments parfaitement acceptables juridiquement, respectant le droit de la propriété intellectuelle. Mais ils sont passés à la trappe.
Aucun de ces exemples, piochés sur les deux dernières années, n'a pu franchir la deuxième étape redoutée des laboratoires, celle de l'autorisation réglementaire par l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM).
Motifs invoqués: les deux premiers étaient trop proches de noms de médicaments déjà commercialisés en France, risquant de créer une confusion, et le troisième avait une connotation trop commerciale, en sous-entendant la notion peu tangible de pureté.
De tels refus par l'ANSM deviennent fréquents: sur 400 nouvelles dénominations qui lui ont été soumises en 2016, 269 ont été rejetées. La proportion est similaire depuis le début de cette année, selon des statistiques de l'agence consultés par l'AFP. Les discussions pour trouver un nom de compromis peuvent prendre jusqu'à 6 mois.
"Le médicament, c'est ce qu'il y a de plus difficile quand on cherche des noms de marque", confirme à l'AFP Cyril Gaillard, directeur de Bénéfik, agence spécialisée dans la création de noms de marque, y compris pour des groupes pharmaceutiques.
Car à l'inverse de biens de consommation ordinaires, "un nom d'un médicament ne peut pas communiquer sur le fait qu'il soit positif, sous-entendu qu'il va soigner", explique M. Gaillard.
Exit donc les préfixes et suffixes valorisants, ("ultra", "super", etc.), les anglicismes, jugés eux aussi promotionnels, ou encore les références à la naturalité ("bio").
Et comme beaucoup de laboratoires prévoient souvent des lancements internationaux, "ça oblige à trouver un nom qui ne veut rien dire un peu partout, un peu tarabiscoté", ajoute M. Gaillard.
"Si on met toutes les variables l'une à côté de l'autre pour trouver le bon nom, c'est un casse-tête", résume Daphné Lecomte-Somaggio, déléguée générale de l'Afipa, l'association française des fabricants de médicaments vendus sans ordonnance.
C'est sur ce marché de l'automédication que le marketing des laboratoires est le plus agressif, les marques s'adressant directement aux patients et la concurrence entre elles étant exacerbée par la tendance au déremboursement de médicaments.
"On nous a même proposé un nom de médicament pédiatrique s'inspirant d'un personnage de l'univers de Mario", le célèbre héros de jeux vidéo, s'indigne Carole Le Saulnier, directrice des affaires réglementaires et juridiques de l'ANSM, interrogée par l'AFP.
- Serrage de vis en perspective -
Soucieuse d'éviter une banalisation du médicament, l'ANSM prévoit de relever ses recommandations d'ici cet automne, après avoir mené une consultation publique l'an dernier.
Dans son collimateur notamment figurent les marques ombrelles, des marques célèbres et souvent anciennes des laboratoires, qui les déclinent en des gammes de produits parfois très variés.
Ces noms "peuvent entraîner de la confusion" chez les patients car elles ont tendance à être utilisés à la fois pour des médicaments et pour d'autres produits comme des compléments alimentaires, des cosmétiques ou des dispositifs médicaux", explique Mme Le Saulnier.
"On a aussi des médicaments qui ont le même nom, mais pas les mêmes substances actives, ce n'est pas acceptable", estime-t-elle.
L'ANSM compte aussi davantage encadrer les mentions des arômes des médicaments, après avoir constaté des dérives ces dernières années.
Début 2016 les laboratoires Upsa avaient ainsi dû modifier les emballages de leur produit phare, l'antalgique Efferalgan, après avoir affiché de manière disproportionnée aux yeux de l'ANSM ses nouveaux goûts "Capuccino" et "vanille-fraise".
"Nous ne sommes pas contre les arômes dans les médicaments, mais on ne veut pas que cela devienne un argument purement commercial, en gros caractères, comme pour un bonbon. Tout est une question de proportionnalité. Il faut que les laboratoires prennent leurs responsabilités", affirme Mme Le Saulnier.
Pour l'Afipa, les arômes ne sont "pas un problème de santé publique" et permettent au contraire une meilleure observance des traitements, notamment chez les enfants. "Si l'ANSM va un peu trop loin en complexifiant inutilement les règles, nous ne nous laisserons pas faire", prévient Mme Lecomte-Somaggio.
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