Plongée "dans le ventre" d'un hôpital au bord de la rupture
Convaincu que "le burn-out nous concerne tous", le réalisateur belge Jérôme Le Maire s'est immergé pendant deux ans dans les entrailles d'un hôpital parisien au bord de la rupture. Il en a tiré un documentaire fort et intime, diffusé pour la première fois mardi sur Arte.
"Burning out, dans le ventre de l'hôpital", programmé mardi à 20H55, suit le quotidien des personnels de l'unité chirurgicale de Saint-Louis, l'un des plus grands établissements publics de la capitale.
Fatigue, disputes allant jusqu'aux larmes sur fond de plannings qui débordent, collègues qui ne se connaissent plus et "perdent le sens" de leur travail... L'atmosphère est pesante au bloc, où s'enchaînent les opérations à un rythme effréné (huit à dix par jour dans chacune des 14 salles).
Un audit sur l'organisation du travail est lancé par l'administration pour tenter de résoudre le problème, occasionnant débats houleux, puis déceptions...
Mais plus que le malaise - maintes fois dénoncé - des soignants, ce sont les mécanismes à l'oeuvre derrière le burn-out et "ce qui se passe après la prise de conscience" que Jérôme Le Maire a voulu exposer.
L'hôpital, bouleversé voire "déshumanisé" par les réformes et les plan d'économies successifs, reflète la gravité d'une "maladie" qui contamine jusqu'au médecin, explique-t-il.
A l'origine de son projet, l'essai du philosophe belge Pascal Chabot, "Global burn-out". "J'étais fort intéressé par sa perception" du phénomène : "une pathologie de civilisation, le miroir de notre société" confrontée à la course à la rentabilité, à la performance, et non pas le "problème de celui qui est faible ou travaille trop".
Dans le cadre de ses recherches, il accompagne le philosophe, invité à intervenir à Saint-Louis à la demande d'une anesthésiste touchée par son ouvrage (Marie-Christine Becq, très présente dans le film, et "sorte de lanceuse d'alerte"). "J'ai senti qu'il y avait une ambiance assez tendue" mais "un système prêt à se remettre en question", relate le cinéaste.
- "Partir avant de tomber" -
Son lieu de tournage était tout trouvé. "J'ai fait mes repérages pendant un an et demi avant de sortir ma caméra", le temps de nouer des relations, de trouver des "personnages". Puis "j'ai tourné pendant un an parce que je voulais voir le système évoluer".
Il parvient alors à saisir des moments émouvants, voire très durs. Comme la confidence très "troublante et courageuse" d'un chirurgien qui, décidant de s'arrêter pendant six mois, "envoie un message fort en s'octroyant cette permission de partir avant de tomber".
Ou cette altercation "terriblement triste" entre un chef de service et une infirmière-anesthésiste qui souhaitent tous deux "soigner le mieux possible leur patient" mais "ne se comprennent pas, ne s'entendent pas".
"Le burn-out, c'est la maladie du lien. C'est à nous d'en créer", explique le réalisateur qui s'inscrit progressivement comme un "personnage" à part entière du film pour illustrer son propos. "Nous sommes tous responsables".
Jérôme Le Maire, qui reçoit des messages d'hospitaliers "de partout en Europe", peut en tout cas se targuer d'avoir fait bouger les choses, à Saint-Louis comme ailleurs.
"Maintenant, les gens (du bloc) savent qui est Sabrina", jeune aide-soignante suivie dans le film. Et lors "d'un diner à Bruxelles", l'épouse d'un chirurgien qui a vu le documentaire "m'a dit que son mari pensait depuis à dire bonjour aux personnels avant chaque opération", se réjouit-il.
Le film se termine sur une note d'espoir sans dire si la situation s'est améliorée. Au grand dam de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui a critiqué dans un communiqué un "film à thèse" à ne pas confondre avec "un documentaire" ou "un reportage".
"Droit dans ses bottes", Jérôme Le Maire tient, lui, à "saluer" l'AP-HP, qui l'a autorisé à "filmer sans condition" un environnement très barricadé.
Toujours en contact avec certains personnels, il estime que "la problématique est toujours là. Pire ou moins pire ?" Ce n'est pas à lui de le dire.
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