Comment les technologies accélèrent et globalisent les mouvements de protestation
Manifestations des soignants, des policiers, des militants anti-racistes… Après des mois difficiles de crise sanitaire, le moment est venu de faire valoir dans la rue les préoccupations de la société. Ces manifestations de l'année 2020 sont-elles différentes de celles des années précédentes? Une des particularités notables est la rapidité avec laquelle s'est organisée et globalisée la lutte contre le racisme. Au niveau technologique, une série d'applications permettent aux manifestants de se coordonner, de protéger leur vie privée, et de numériser leurs causes et leurs luttes. Plus les technologies évoluent, plus elles sont non seulement à disposition des forces de l'ordre, mais aussi de la société civile.
Les messageries facilitent la mobilisation rapide et globale
Une des spécificités des mouvements de protestation actuels est la rapidité et l'ampleur de la mobilisation, permise par l'utilisation des services de messagerie instantanée, sécurisés ou non.
Facebook, Twitter, et Instagram sont toujours utilisés, mais c'est surtout maintenant sur WhatsApp, Signal, et Telegram, qui permettent de crypter les messages, que les manifestants se tournent pour organiser et documenter les manifestations de masse. C'est particulièrement le cas aux Etats Unis, où Signal a été téléchargé 37 000 fois au cours du premier weekend de juin.
Filmer "en direct" et avoir accès aux vidéos grâce à la 4G permet aux manifestants de se coordonner, et ceux qui sont à l'arrière peuvent savoir ce qui se passe au front. Selon un article du New York Times, la viralité des enregistrements est très importante aujourd'hui car “la simplicité de la réalisation et du partage de vidéos a rendu possible des enregistrements de violence et de dérapages. C'est une vidéo faite sur smartphone de la mort de Georges Floyd qui a contribué à déclencher l'indignation générale qui a conduit aux manifestations.”
Protéger l'identité des manifestants et contourner les mécanismes de géolocalisation
Les manifestants, conscients que la police utilise aussi des outils numériques pour les surveiller, sont de plus en plus soucieux de désactiver les services de localisation et de flouter leurs visages sur les photos.
Les images partagées peuvent contenir des données précieuses (métadonnées, date, heure, coordonnées GPS, et connexion de l'auteur de l'image) qui peuvent être utilisées pour suivre les manifestants et déterminer leur identité. Des applications sont utilisées pour se débarrasser des métadonnées: Metadata Remover, Metasniffer ou Xeefer, sont quelques exemples gratuits et faciles à utiliser en déplacement.
Il est également possible d'empêcher qu'un téléphone ne stocke des métadonnées de localisation dans un fichier photo.
Des outils permettant de flouter les visages sur les photos et les vidéos, et donc de préserver l'identité des participants à manifestation. Image Scrubber, par exemple, permet non seulement de flouter les visages mais supprime aussi les métadonnées. Signal veut s'affirmer comme l’outil des manifestants et intègre depuis début juin, une fonctionnalité de floutage.
Siri peut enregistrer automatiquement une injustice
Siri, l'outil de reconnaissance vocale d'Apple, est capable, en prononçant la phrase, « Hey Siri, je me fais arrêter », de lancer un enregistrement vidéo. l'iPhone prévient automatiquement un contact prédéfini en donnant l'endroit de l'interpellation. Une copie de la vidéo peut être téléchargé immédiatement dans le cloud, ce qui évitera de perdre le document en cas de suppression dans l’appareil.
Des applications pour surveiller la police
Aux Etats Unis, l'ingéniosité des manifestations va très loin. Des applications comme Police Scanner et 5-0 Police Scanner, permettent à quiconque d'écouter les conversations de la police en direct, ce qui est illégal dans certains États.
Citizen, a été l'application star du mouvement Black Lives Matter. Elle permet d'analyser les communications du 911 (numéro d'appel d'urgence aux États-Unis) pour cartographier les incidents. Les utilisateurs peuvent partager les vidéos des incidents en direct et les commenter ou réagir avec des emojis. Citizen n'est pas une application de “surveillance de la police”, mais a été critiquée, entre autres, accusée de semer la peur, mais son utilisation a continué à croître
Les autorités utilisent elles aussi des outils numériques
Si vous pensez que le floutage des visages change la donne pour la préservation de l'identité des manifestants, sachez que la technologie se trouve dans les deux camps. Des outils d’intelligence artificielle par exemple, permettent de recomposer un visage flouté:
À l’utilisation des drones s’ajoute celle des caméras de surveillance qui, grâce aux technologies de reconnaissance faciale peuvent identifier de façon automatique ce que les policiers n’auront pas le temps de percevoir (comme la detection automatique du port des masques à Nice.
Les technologies révolutionnent ainsi que les manifestations dans un contexte où la protection des données personnelles est clé. La CNIL vient d'appeler à la vigilance sur l'utilisation des caméras dites « intelligentes » . Les dispositifs de vidéoprotection, comme d'autres dispositifs de captation d'images dans l'espace public, font l'objet d'un encadrement législatif spécifique dans le Code de la sécurité intérieure. Or, le recours à des caméras « intelligentes » n'est aujourd'hui prévu par aucun texte particulier, cette technologie, généralisée dans le cadre de la crise sanitaire, ne devrait pas, selon la CNIL, être pérennisée. Elle préconise que “ ces dispositifs fassent alors faire l'objet d'un encadrement normatif spécifique, lequel nécessitera en amont de s’interroger sur la proportionnalité du recours à de tels dispositifs et sur les garanties nécessaires”
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