Meta annonce la fin de son outil CrowdTangle avant les élections américaines
CrowdTangle, un logiciel très utilisé par les journalistes et les chercheurs et considéré comme “essentiel” pour “repérer” et “analyser la désinformation”, sera bientôt mis hors service, a annoncé son propriétaire, le groupe Meta. La firme de Palo Alto, qui prévoit de remplacer CrowdTangle par un nouvel outil, est sous le feu des critiques. Des ONG appellent à maintenir ce logiciel jusqu’à janvier 2025, c’est-à-dire après les élections américaines, tandis que d’autres accusent le géant du web de “régresser” en matière de transparence. Si Meta n’a dévoilé aucun détail sur les raisons de la prochaine mise hors service de son outil, les spéculations vont bon train et nombreux attribuent cette décision au fait que des journalistes aient utilisé CrowdTangle pour justement dévoiler des informations gênantes pour le groupe.
Facebook a fait l’acquisition de cet outil en 2016. Le logiciel, dont l’interface rappelle TweetDeck, permet de faire une veille des contenus les plus viraux sur ce réseau social ainsi que sur Instagram. Le but initial est d’effectuer “une veille sur les contenus des médias sociaux, surveiller son e-réputation et détecter facilement les sujets tendances”. L’outil est peu à peu devenu très utilisé par les journalistes, y compris des médias importants, ou des chercheurs pour repérer les fake news, notamment durant les élections Biden-Trump de 2020 ou pendant la pandémie de COVID.
Les journalistes exclus ?
En 2019, le groupe Meta avait dévoilé avoir mis CrowdTangle à la disposition de fonctionnaires à l’occasion de scrutins dans certains États américains. Pour les élections de 2024, aux États-Unis comme ailleurs, les journalistes devront s’en passer. La maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp explique que l’outil ne sera plus disponible après le 14 août et sera remplacé par un autre logiciel.
Telle est, officiellement, la raison avancée par la firme de Mark Zuckerberg, pour justifier la mise à l’arrêt de l'outil. Brandon Silverman, ancien DG de CrowdTangle, explique que le nouveau programme est toujours en cours de développement. “C'est une toute nouvelle technologie que Meta doit encore construire pour protéger l'intégrité des élections”, tente-t-il de rassurer. Le porte-parole de Meta, Andy Stone, affirme de son côté que le nouvel outil contiendra “des données plus complètes” que CrowdTangle.
Toutefois, précise-t-il, la solution ne sera pas mise à la disposition de médias, à l’opposé des universitaires et des associations électorales qui pourront continuer à utiliser ce service alternatif. Selon des chercheurs, le futur successeur de CrowdTangle n'aura pas non plus les mêmes fonctionnalités.
La nouvelle a suscité des retours mitigés. Organisations non gouvernementales et chercheurs s’opposent contre une telle décision. Néanmoins, les interprétations de cette annonce divergent. La fondation Mozilla, ONG mondiale à but non lucratif qui estime que cette annonce n’est pas une surprise compte tenu de la baisse des investissements dans CrowdTangle, a adressé à Meta une lettre ouverte pour demander la conservation de l’outil jusqu’en janvier 2025. "L'abandon de CrowdTangle alors que la bibliothèque de contenus est dépourvue d'une grande partie de ses fonctionnalités de base porte atteinte au principe fondamental de transparence", et constitue une "menace directe" pour l'intégrité des élections, estiment les signataires.
“Grave régression” pour la transparence
Pour Melanie Smith, directrice de recherche de l’Institute for Strategic Dialogue, “la suppression de l'accès à CrowdTangle limitera considérablement la surveillance indépendante des dommages” pouvant être provoqués par la désinformation. En plus, “il s'agit d'une grave régression pour la transparence sur les réseaux sociaux”.
La décision de Meta s’inscrirait, selon des observateurs, dans la tendance des géants du web à réduire leur transparence. La mise hors service de CrowdTangle serait liée à la publication, ces derniers mois, par des journalistes d’informations compromettantes sur le groupe, en se servant justement de son outil. On cite à titre d’exemple la difficulté du groupe à modérer ses contenus ou la présence de programmes piratés dans son application de jeux vidéo. CrowdTangle a ainsi permis, estime-t-on, de "tenir Meta responsable de l'application de ses propres règles".
“La décision de Meta interdira au monde extérieur, y compris aux experts en intégrité électorale, de voir ce qui se passe sur Facebook et Instagram – au cours de la plus grande année électorale jamais enregistrée. Cela signifie que presque tous les efforts extérieurs visant à identifier et prévenir la désinformation politique (..) seront réduits au silence. Il s'agit d'une menace directe à notre capacité à sauvegarder l'intégrité des élections”, poursuit la fondation Mozilla dans sa lettre.
Il n’est pas uniquement question d’élections, aux États-Unis ou ailleurs, mais également de contenus problématiques comme les incitations à la violence ou le harcèlement. En outre, rappelons que la firme de Palo Alto, déjà critiquée pour l’implication de ses plateformes dans le trafic d’êtres humains, est soupçonnée d'avoir facilité le trafic illicite de médicaments.
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