Evasion fiscale : la lutte a gagné en efficacité en France
Des progrès notables, malgré des failles persistantes: trois ans après l'affaire Cahuzac, la lutte contre l'évasion fiscale a gagné en efficacité en France, même s'il reste du chemin à parcourir pour en finir avec la fraude et les scandales.
"L'affaire a servi d'électrochoc, même si la fraude était déjà un sujet de préoccupation", estime Daniel Lebègue, président de l'ONG Transparency International France. "Qu'un ministre du Budget en personne puisse frauder... On s'est dit que quelque chose n'allait pas".
Suite au scandale, deux trains de mesures ont été votés afin de renforcer la traque des fraudeurs: la loi sur la transparence de la vie publique, en octobre 2013, et la loi sur la lutte contre la fraude fiscale, en décembre 2013.
La première a interdit aux députés et sénateurs de cumuler leur mandat avec certains métiers, et instauré l'obligation pour 9.000 décideurs publics - dont les élus - de déclarer leur patrimoine à une commission indépendante: la Haute autorité de la transparence de la vie publique (HATVP).
La seconde a permis la création d'un parquet national financier, désormais en charge des affaires les plus complexes, et alloué de nouveaux moyens aux enquêteurs. Mais aussi renforcé les sanctions pénales pour les fraudes fiscales les plus lourdes, avec 10 ans d'inéligibilité encourue pour les élus condamnés.
"Ces mesures ont permis à la France de rattraper son retard", estime Daniel Lebègue. Au classement de Transparency, le pays occupait ainsi la 27ème place sur les 28 pays européens en 2010. "Aujourd'hui, il se trouve au niveau des pays scandinaves", souligne-t-il.
La HATVP, de fait, n'a pas hésité depuis sa création à rendre publics les manquements des élus. Deux ministres, Yamina Benguigui (Francophonie) et Thomas Thévenoud (Commerce extérieur) ont ainsi dû quitter le gouvernement, à cause de démêlés avec le fisc.
Concernant les parlementaires, 13 dossiers ont été transmis à la justice pour des déclarations incomplètes ou mensongères. Parmi eux: ceux de Serge Dassault (LR), Patrick Balkany (LR), ou plus récemment Jean-Marie et Marine Le Pen, accusés d'avoir sous-évalué de deux tiers la valeur de leurs propriétés.
Au-delà de la vie publique, des mesures ont été prises pour convaincre les fraudeurs de revenir dans le droit chemin, avec le Service de traitement des déclarations rectificatives, créé en 2013 pour permettre aux détenteurs d'un compte non déclaré de régulariser leur situation.
Selon Bercy, près de 45.000 demandes ont été enregistrées par la cellule, qui a récolté 1,9 milliards d'euros en 2014 et 2,65 milliards en 2015. Un montant non négligeable au regard des sommes récupérées grâce à la lutte contre la fraude fiscale, passées de 10,1 milliards en 2013 à 10,4 milliards en 2014.
"Il y a eu des progrès, mais qui ne sont pas directement liés aux mesures prises après l'affaire Cahuzac", constate Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP). Un avis partagé par Alain Trannoy, directeur de recherche à l'EHESS, pour qui "ce qui a fondamentalement changé la donne, c'est le contexte international".
Sous la houlette et du G20 et de l'OCDE, de nombreux pays ont en effet décidé de renforcer leur coopération contre l'évasion fiscale. A compter de 2017, plus de 50 États, dont tous ceux de l'UE, s'échangeront ainsi des informations relatives aux comptes bancaires. En 2018, ils seront plus de 90.
L'ampleur du problème est considérable. Selon les estimations, la fraude fiscale toutes catégories confondues coûterait entre 40 et 80 milliards d'euros par an à la France. Laquelle reste impuissante face à certains montages d'évasion, réalisés via des sociétés offshore.
"Les fraudeurs s'adaptent", souligne Antoine Bozio, pour qui "la lutte contre la fraude fiscale se joue notamment sur les techniques financières". "On n'est pas au bout de la route", acquiesce Daniel Lebègue, qui espère des "avancées" avec la prochaine loi sur la transparence de la vie économique.
Cette loi, dite Sapin II, prévoit la création d'une agence anti-corruption, chargée de contrôler les pratiques des entreprises, d'un registre des lobbies et d'un statut pour mieux contrôler les lanceurs d'alerte. Elle sera débattue en avril à l'Assemblée.
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