Taxes sur les carburants : l'Etat peut-il réellement les baisser ?

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François Ecalle, édité par la rédaction
Publié le 27 novembre 2018 - 17:00
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La hausse des carburants devrait se poursuivre avec des hausses de 6 centimes pour le diesel et 3 centimes pour l'essence
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© PHILIPPE HUGUEN / AFP/Archives
Les taxes sur les carburants peuvent certes être baissées, mais la manœuvre n'est pas forcément souhaitable.
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Les gilets jaunes exigent, pour la plupart, une baisse du niveau des taxes sur les carburants, qui représentent toutefois une part non négligeable du budget de l'Etat. Leur baisse n'est pas impossible en théorie, mais n'est pas souhaitable dans les faits. L'analyse pour France-Soir de François Ecalle, ancien rapporteur général de la Cour des comptes, spécialiste des finances publiques et président de l'association "Finances publiques et économie" (Fipeco).

Pour beaucoup de nos compatriotes, les taxes sur les carburants servent surtout à remplir les caisses d’un Etat surendetté qui est devenu dépendant à la fiscalité énergétique. Il est donc nécessaire de faire le point sur cette supposée dépendance.

> Les taxes sur les carburants ne représenteront que 3,4 % des recettes publiques en 2022

Le produit de la "taxe intérieure de consommation des produits énergétiques" (TICPE), qui s’applique principalement à l’essence et au gazole, s’est élevé à 29,6 milliards d'euros en 2017. La TVA pèse également sur le prix des carburants mais au taux de droit commun et elle ne peut donc pas être considérée comme une taxe spécifique aux produits énergétiques. Il convient donc de s’en tenir à la TICPE, dont le produit représente 10% des recettes fiscales de l’Etat en 2017.

Les objectifs de finances publiques de la France, comme de tous les autres pays, ne concernent cependant pas le seul Etat mais l’ensemble des administrations publiques, à savoir l’Etat, les collectivités locales, la sécurité sociale et les établissements publics administratifs qu’ils contrôlent. Le déficit et la dette publics sont ceux de l’ensemble de ces administrations publiques.

Elles ont perçu 1.038 milliards d'euros de prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) en 2017 et, en ajoutant les recettes autres que ces prélèvements obligatoires (loyers tirés des immeubles et terrains publics, redevances pour services rendus, tickets d’entrée dans les musées, frais d’inscription…), on trouve un total de recettes publiques de 1.233 milliards d'euros. La TICPE en représente donc seulement 2,4 %, soit un très faible pourcentage.

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La part des cotisations sociales est de 37% (dont les deux tiers sont payés par les entreprises), celle de la TVA est de 15%, celle de la CSG est de 10%, celle des impôts sur le patrimoine des ménages (taxes foncières, droits de succession…) est de 8 %, celle de l’impôt sur le revenu est de 7% et celle des impôts sur la production des entreprises (comme la contribution sur leur valeur ajoutée) est de 7%.

Il est certes prévu une hausse des taux de la TICPE sur la période 2018-2022 dont le rendement budgétaire devrait être de 12,5 milliards d'euros en 2022. En tenant compte de cette hausse, le produit de la TICPE ne représentera que 3,4% des recettes publiques en 2022. Il n’y a donc pas de dépendance des finances publiques aux taxes sur les carburants.

> Une baisse de la fiscalité énergétique devrait néanmoins être compensée par la hausse d’autres impôts pour ne pas aggraver le déficit public

Il reste que le déficit et la dette publics de la France sont encore très élevés et que nous risquons de ne plus avoir de marges suffisantes pour relancer l’activité économique en cas de nouvelle crise. Une éventuelle baisse de la fiscalité des carburants devrait donc être compensée pour ne pas aggraver la situation des finances publiques, soit en réduisant les dépenses, soit en augmentant d’autres prélèvements obligatoires.

Les dépenses publiques s’élevaient à 1.294 milliards d'euros en 2017 et il ne devrait pas être difficile d’économiser, par exemple, 12,5 milliards d'euros, soit 1% de leur total, pour compenser l’annulation de la hausse programmée de la TICPE sur le quinquennat.

Le gouvernement prévoit cependant déjà plusieurs dizaines de milliards d’euros d’économies sur cette période, ce qui devrait limiter la croissance des dépenses publiques à un taux particulièrement faible et jamais encore enregistré en France sur une période de cinq ans. Ces économies sont nécessaires mais elles seront très difficiles à réaliser car elles dégraderont inévitablement le pouvoir d’achat des ménages ou la situation financière des entreprises, tout au moins dans un premier temps car on peut espérer que la suppression de dépenses injustifiées permettra de consolider la croissance à plus long terme.

Il faut que le gouvernement fasse ces économies, mais ce n’est pas encore acquis, car tout euro de dépense publique va sur le compte bancaire d’un ménage ou d’une entreprise, et il n’est pas réaliste d’en demander plus. Il ne faut pas oublier que la plus importante des dépenses publiques, ce sont les pensions de retraite (345 milliards d'euros). Dans ces conditions, il faudrait se résigner à compenser une éventuelle baisse des taxes sur les carburants par l’augmentation d’autres prélèvements obligatoires.

> Les taxes sur les carburants sont pourtant préférables aux autres prélèvements obligatoires

Il faut donc choisir les prélèvements obligatoires qui seraient augmentés. D’un point de vue économique, ces prélèvements peuvent porter sur les facteurs de production que sont le travail et le capital, ou sur la consommation. Les prélèvements sur le travail sont constitués des cotisations sociales, de l’impôts sur le revenu, de la CSG et de multiples taxes sur les salaires. Les prélèvements sur le capital sont les impôts sur sa détention (comme les taxes foncières), sa transmission (comme les droits de succession) ou ses revenus (l’impôt sur le revenu et la CSG notamment). Les prélèvements sur la consommation peuvent être ventilés entre un impôt général (la TVA) et des taxes spécifiques sur certains produits (carburants, tabacs…).

Les prélèvements sur les facteurs de production réduisent l’offre de travail et de capital en dissuadant de travailler plus ou d’épargner et d’investir plus. Elles peuvent inciter les entreprises à délocaliser leur production et les ménages à s’expatrier. Or la France figure parmi les pays de l’OCDE où ces prélèvements sont les plus élevés, plus particulièrement ceux qui touchent le capital.

Il est donc préférable d’augmenter les prélèvements sur la consommation, qui n’ont pas ces effets négatifs sur l’activité économique et qui ne pénalisent pas la production française par rapport aux importations. Ils diminuent certes à court terme le pouvoir d’achat des ménages, ce qui peut affecter la demande adressée aux entreprises, mais les gains de pouvoir d’achat résultent à plus long terme de la croissance de la production et des gains de productivité des entreprises. Il est donc préférable de taxer la consommation plutôt que les facteurs de production, d’autant plus que la part des impôts sur la consommation dans les prélèvements obligatoires en France (25 %) est inférieure à la moyenne européenne (29 %).

Ces impôts ont cependant pour inconvénient de peser plus lourdement, en pourcentage des revenus, sur les ménages les plus modestes. Il faut donc redistribuer plus fortement les revenus en leur faveur et le moyen le plus simple et le plus efficace est d’augmenter l’impôt sur le revenu dans ses tranches supérieures, pour prélever plus sur les ménages les plus riches, et de relever les prestations sociales sous condition de ressource, pour redistribuer cet argent aux plus modestes.

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Parmi les impôts sur la consommation, ceux qui pèsent sur des produits nocifs (tabac, alcool…) ou polluants (carburants…) ont pour inconvénient, comme la TVA, de contribuer à accroître les inégalités et de réduire le pouvoir d’achat à court terme, mais ils ont aussi le grand avantage d’inciter les ménages à moins consommer ces produits. Les comportements ne changent certes pas instantanément lorsque les taxes sur ces produits augmentent, mais les analyses statistiques montrent que, dans la durée, la consommation baisse si d’autres facteurs ne viennent pas contrecarrer cet effet (les économistes raisonnent toujours "toutes choses égales par ailleurs").

Or il est impératif de réduire les émissions de gaz carbonique pour limiter le réchauffement climatique dans des proportions supportables. En outre, la combustion de certains carburants a d’autres effets nocifs (émission de particules fines dangereuses pour la santé s’agissant du gazole).

Il est donc nettement préférable d’augmenter les taxes sur les carburants plutôt que tout autre forme de prélèvements obligatoires. Il serait donc regrettable de les réduire ou de renoncer à leur augmentation puisque, à défaut de pouvoir réduire plus les dépenses publiques, il faudrait augmenter d’autres prélèvements, même si les taxes sur les carburants ne représentent qu’une faible part des recettes publiques.

Il n’y a pas de dépendance de l’Etat à la fiscalité énergétique mais une dépendance de la France à la dépense publique. Elle nous oblige à lever beaucoup trop de prélèvements obligatoires entre lesquels il faut bien choisir les moins mauvais... dont font partie les taxes sur les carburants.

Retrouvez les analyses de François Ecalle sur le site de l'association "Finances publiques et économie" (FIPECO)

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