Tony, surveillant depuis 28 ans : "Jamais je ne referais ce métier, jamais"
"Jamais je ne referais ce métier, jamais": "maton" depuis 28 ans, Tony Bard, surveillant-brigadier à Arles (Bouches-du-Rhône), ne replongerait pas pour une profession qu'il a pourtant "appris à aimer", "avec le sourire et la tchatche comme seules armes".
"Maton", le terme ne dérange pas cet homme de 49 ans: "Si un jeune me demande ce que je fais, je dis +maton+, pas surveillant, il croirait que je suis pion" dans un établissement scolaire, sourit-il.
Mais pas question de conseiller à l'un de ses cinq enfants de suivre sa voie: "2.200 euros nets plus les nuits et les dimanches, après 28 ans, c'est peu pour risquer sa vie", estime ce surveillant, délégué FO dans son établissement.
Villefranche-sur-Saône (Rhône) pour première affectation, avant des escales à Valence, dans la Drôme, puis aux Baumettes à Marseille ou à la maison-d'arrêt de Luynes (Bouches-du-Rhône): Tony Bard a bourlingué avant de se poser à Arles, en 2009.
"Trois suicides de détenus, deux évasions, des émeutes --plein--, des bagarres générales --plein--, des incendies de cellules, une tentative d'immolation par le feu": des rebondissements multiples, et deux épisodes gravés dans sa mémoire, raconte-t-il à l'AFP au cours d'un entretien téléphonique.
"Cette bagarre générale sur le stade à la centrale d'Arles, Corses et Marseillais contre Maghrébins, les gars armés de poinçons et d'Opinel, et nous, deux surveillants et un gradé, au milieu, pour ramener le calme... On ne réfléchit pas, on y va. Je me souviens de ce type, un ex de la French Connection, défoncé à coups de barre de muscu", égrène-t-il.
"Et ce détenu, encore à Arles, qui voulait que j'ouvre une cellule pour tuer un gars. Il avait un poinçon et un stylo Bic équipé de lames de rasoir. +J'ai envie de sang+, il n'arrêtait pas de répéter. Je n'oublierai jamais son regard, un regard vide, de fou, il n'y avait plus rien", poursuit Tony Bard.
- 'Pas des super-héros' -
Mais pas question d'être armé: "On risquerait de se les faire prendre! Nos armes, ce sont le sourire, la tchatche, et nos mains. On n'est pas des super-héros. Et parfois des détenus nous aident, pour calmer d'autres gars. Des +facilitateurs+ on les appelle".
A Arles, établissement dédié aux longues peines, des liens se créent: "Il y en a, je les connais depuis 24, 25 ans... Ils sont mariés, ils ont eu des +bébés-parloirs+. (...) Certains, aujourd'hui j'ai leurs fils (en détention, ndlr), le banditisme, c'est parfois une histoire de famille".
Parrains du milieu, "VIP comme Alain Carignon, un ancien politique, ou Samy Naceri, l'acteur de Taxi", ou détenus lambda, "des gens comme vous et moi", le surveillant en a vus passer. Des radicalisés aussi: "La radicalisation, ça fait 25 ans que ça existe", lâche-t-il, plaidant pour des quartiers étanches pour les détenus qui tentent d'embrigader religieusement leurs camarades "isolés ou fragiles".
"Mais il ne faut pas confondre radicaux et simples pratiquants. Mais nous avons du mal avec ça, nous ne sommes pas formés...", explique-t-il: "Il faudrait des éducateurs".
A la retraite dans sept ans, "avec 42 annuités pour 35 ans de travail", Tony Bard a "appris à aimer son métier", "malgré les vacances d'été imposées en juin ou en septembre" et "six week-ends sur sept rognés par le travail".
"Mais si j'avais à nouveau 21 ans, pas question de recommencer... 17 euros la prime de nuit, 25 euros le dimanche, pas de 13e mois mais une prime de 1.000 euros en fin d'année... L'argent, c'est le nerf de la guerre, avec la reconnaissance", ajoute-t-il. En attendant, il s'y colle: "Quand on ouvre la porte d'une cellule le matin, avec le sourire, qu'on dit bonjour, et que l'autre répond +bonjour+, avec le sourire, c'est une journée de gagnée".
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