Réforme des retraites : "Il y a eu un grand déclassement organisé dans la société française" Benoit Hazard
À la veille d’une journée d’action d’envergure contre la réforme des retraites, Benoit Hazard, anthropologue engagé au côté des Gilets jaunes depuis les débuts du mouvement, est l’invité de cet “Entretien essentiel“, dans lequel il évoque les tenants et les aboutissants de ce projet de loi.
“Alors qu’il y a des questions sociales plus urgentes“, le chercheur commence par pointer du doigt un timing malvenu de la part du gouvernement, mettant en évidence les difficultés financières des Français face à l’explosion des prix, aussi bien sur les énergies que certains produits de première nécessité. Une volonté de réforme de l’exécutif particulièrement mal perçue depuis la déclaration du président du Conseil d'orientation des retraites selon qui "les caisses de retraites ne sont pas en déséquilibre", fait valoir M. Hazard. Aussi, souligne-t-il, le signal envoyé par nos dirigeants à la population par le biais de cette réforme “totalement inutile“, c’est que “le futur se ferme“. Plus largement, derrière cette manœuvre, l’anthropologue y voit une poursuite du démantèlement des services publics dans la continuité des "politiques néolibérales" menées par les gouvernements de gauche comme de droite “depuis 30 ans“. Quoi qu’il en soit, comme “le gouvernement se retrouve dans une position minoritaire par rapport à sa population“ au regard du soutien majoritaire des Français en faveur de la mobilisation contre cette réforme, ce dernier estime que “ça devrait l’interroger a minima sur la nécessité d’un retrait et a maxima sur la nécessité du dialogue.“
Selon Benoit Hazard, la transition écologique et énergétique "imposée de manière technocratique" aux Français s’accompagne d’un "changement de régime". Puisqu’"un nouveau monde" sans la société de consommation à partir d’un processus d’industrialisation sur la base d’énergies nouvelles est en train d’être mis en place, il en découle une "incertitude sur la possibilité de poser des droits sociaux qui sont équivalents au modèle qu’on est en train d’inventer". "Le gouvernement impose une décroissance à la société française", un "changement de régime [qui] s’accompagne d’un processus de déclassement de la société française", explique le chercheur, qui cingle le manque d’anticipation du gouvernement : "Alors qu’on sait que depuis 20 ans, on doit sortir des énergies fossiles, aucun grand programme de recherche n’a été lancé". Et d’enfoncer le clou : "L’énergie, c’est le cœur qui fait fonctionner la société, [mais] le gouvernement est dans une situation d’impasse, car ces choses n’ont pas été anticipées".
Pour argumenter ce point de vue, il met en avant le revirement du gouvernement sur le nucléaire dans le contexte de la crise énergétique engendrée par la guerre en Ukraine. Initialement favorable à la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité, l’exécutif a finalement pris un virage à 180 degrés qui traduit, dénonce-t-il, ce manque de vision de la part de l’État. La cause : le fait que ce changement de régime soit “organisée par des groupes ou des coalitions d’intérêts“ : “L’État est mis sous la coupe d’intérêts privés et c’est eux qui organisent le destin politique sans penser la question de la longue durée“, soutient M. Hazard.
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