Une immersion "En corps" et âme dans le milieu de la danse, par Cédric Klapisch

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FranceSoir
Publié le 26 mars 2022 - 12:45
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En Corps, de Cédric Klapisch
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© Emmanuelle Jacobson-Roques
Marion Barbeau (Élise), première danseuse de l'Opéra de Paris.
© Emmanuelle Jacobson-Roques

CRITIQUE — Avec son quatorzième long-métrage En corps, Cédric Klapisch prouve qu’il a encore des choses à dire et qu’il sait comment les dire, surtout comment les filmer. L’univers dans lequel il nous plonge est celui de la danse. Un thème qui le fascine et dont il est particulièrement familier : en 2005 dans Les Poupées Russes, il filmait une ballerine du Bolchoï au théâtre Mariinsky, puis en 2010 il réalisait le documentaire sur la danseuse étoile Aurélie Dupont, qui lui a valu un Fipa d’Or. Avec En corps, il se consacre amplement à ce milieu qui le fascine, et parvient à le rendre fascinant.

Dans une première scène intense d’une quinzaine de minutes, Cédric Klapisch nous immerge au sein des coulisses d’un spectacle à l’Opéra de Paris. Presque sans dialogue, nous nous concentrons déjà sur ce que le corps transmet en émotion et en énergie.
 
Alors qu’elle s’apprête à rentrer sur scène, la première danseuse du spectacle, Élise Gautier, incarnée par Manon Barbeau, aperçoit son copain embrasser une autre danseuse dans les coulisses. Désorientée, elle n’a pourtant pas d'autre choix que d’assurer son rôle. Elle entre sur scène et exécute à la perfection des mouvements qu’elle a répétés maintes fois. Seul son regard trahit ses pensées, mais le public n’y prête pas attention, emporté dans le tourbillon de son tutu et la grâce de ses ouvertures. Rien ne peut trahir le bouillonnement qui se trame à l’intérieur de son corps. Rien, sauf une chute en plein milieu du spectacle qui oblige les rideaux à se baisser subitement.
 
 
Blessée à la cheville, Élise apprend qu’elle a peu de chances de retrouver la souplesse originelle de sa cheville, et donc de danser à nouveau. Entre Paris et la Bretagne, au gré des rencontres et des expériences, elle se rapproche d’une compagnie de danse contemporaine. Cette nouvelle façon de danser lui permet de retrouver un nouvel élan, et une nouvelle façon de vivre.
 
Le corps est au centre de l’attention. Cédric Klapisch le filme sous tous ses angles, dans ses mouvements, d’une façon presque expérimentale par moments. En tout cas dans un style que l'on ne lui connaissait pas auparavant… De l’aérien propre à la danse classique, il parvient très justement à réaliser une transition vers la danse contemporaine. Petit à petit, les corps s’ancrent dans le sol. Les déplacements sont plus francs, moins légers, plus énergiques. 
 
 
Cédric Klapisch filme le corps, mais livre aussi une réflexion sur ses mystères. Dans le chemin vers la guérison de sa cheville, Élise se rend compte qu’elle doit aussi soulager les maux de son âme. Peut-être est-ce même le dysfonctionnement de celle-ci qui est à l’origine de sa blessure ; déstabilisée par le monde qui s’est écroulé devant ses yeux dans les coulisses, Élise s’est écroulée à son tour sur scène en perdant la stabilité dans ses appuis. Pour guérir, elle doit retrouver l’équilibre.
 
C'est là que l'on peut voir le génie de Cédric Klapisch : tout laisse à penser, lors de la scène d’ouverture, à un énième mélodrame à propos d’une femme qui se fait tromper par son compagnon. Mais l’enjeu du film est ailleurs, dans la déconstruction du corps, son articulation, celle des chevilles — mais aussi l’articulation entre le corps et le mental, l’articulation entre la fragilité et la force, l’articulation entre deux corps qui se rencontrent et s’entremêlent aussi, pour se reconstruire.
 
En mélangeant acteurs professionnels et danseurs professionnels, Cédric Klapisch ne s’est pas trompé. C’est même ce qui donne au film toute sa justesse. Pour Manon Barbeau (Élise), première danseuse à l’Opéra de Paris, c’est son premier rôle sur le grand écran. Si dans les premières scènes, on a du mal à la rejoindre dans ses émotions, on s’attache à elle au fil du récit. La dureté de ses expressions devient finalement une force dans son jeu. Les personnages qui l’entourent dans son cheminement ont tous leur rôle à jouer et sont parfaitement incarnés par des acteurs dont le jeu s’harmonise telle une chorégraphie. François Civil (Yan) incarne un kinésithérapeute attachant dans sa maladresse, Denis Podalydès incarne un père avocat doué en plaidoirie, qui ne sait paradoxalement pas comment parler à ses filles, Muriel Robin, dans le rôle de propriétaire d’une résidence pour artiste, incarne une mère de substitution pendant un temps pour Élise est étonnante de bienveillance, Pio Marmaï (Loïc), dans un rôle farouche et sauvage, forme un couple de cantinier à l’écran avec Souheila Yacoub (Sabrina), rafraîchissante de spontanéité. Le chorégraphe Hofesh Shechter joue son propre rôle et a également réalisé les musiques du film avec Thomas Bangalter. Les danseurs Germain Louvet, Alexia Giordano, Damien Chapelle, Mehdi Baki, prennent aussi totalement leur place en tant qu’acteur, en plus d’être captivant en tant que danseur.
 
 
En corps est une réelle ode à la danse, au mouvement et au corps. Le pitch du film, pourtant simple, est finalement rempli de complexité, car associé à des réflexions qui dépassent le simple cadre intellectuel des relations pour réfléchir à ce que le corps a à dire, à cacher, à révéler. Cédric Klapisch créé une histoire passionnante, exploitant à la perfection les possibilités cinématographiques apportées par les mouvements du corps, les variations de rythme, les synchronicités… tout en conservant ce qui a fait son identité en tant que réalisateur depuis L’auberge espagnole : créer une ambiance récréative dans laquelle on se sent bien, capable de guérir toutes les blessures.
 
En corps, 1h58min, un film de Cédric Klapisch, en salle le 30 mars 2022.
 

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