"Jodorowsky's Dune" : l'histoire d'un mythique film fantôme (VIDEO)
C'est, disent ses fans, l'histoire du "plus grand film de science-fiction jamais réalisé". Au sens propre: il n'a jamais été réalisé. Le documentaire Jodorowsky's Dune, qui sort ce mercredi 16 sur les écrans, raconte l'épopée du projet avorté, en 1975, de Dune, un film fantôme devenu culte que devait réaliser un cinéaste qui ne l'est pas moins, Alejandro Jodorowsky.
Celui-ci, fils d'émigrants russes exilés au Chili dans les années 20, a quitté son pays natal en 1953 pour s'installer en France où il a fait du mime et du théâtre, avant de se lancer dans le cinéma au Mexique au début des années 70. Ses deux films les plus célèbres, El Topo (1970) et La montagne sacrée (1973), eurent un certain succès en France dans les milieux cinéphiles amateurs d'avant-gardisme et de contre-culture, dans la foulée de mai 68.
De retour en France, Alejandro Jodorowski se lia d'amitié avec le producteur Michel Seydoux (l'actuel président du club de foot de Lille, frère du PDG de Pathé Jérôme Seydoux et du PDG de Gaumont Nicolas Seydoux), qui lui donna carte blanche pour faire un film. "Je n'avais pas lu Dune (le livre). Mais un ami m'avait dit que c'était fantastique. Je ne sais pas pourquoi j'ai dit Dune. J'aurais pu dire Don Quichotte ou Hamlet, je ne sais pas, n'importe quoi. Mais j'ai dit Dune", explique dans le documentaire le cinéaste, aujourd'hui âgé de 87 ans et en pleine forme.
Dune, écrit par l'auteur américain Frank Herbert en 1965, est le roman de science-fiction le plus vendu au monde. Alejandro Jodorowski voulait en faire une adaptation monumentale, mégalo, "pas un film mais un prophète, un dieu", procurant aux spectateurs "les hallucinations du LSD" mais sans LSD. Un film à côté duquel Star Wars et Alien, sortis deux et quatre ans plus tard, auraient eu des airs de pâles copies du chef d'oeuvre annoncé…
A l'époque Jodorowski obtint l'accord, dit-il, de Salvador Dali, Mick Jagger, Orson Welles, David Carradine et Amanda Lear pour jouer dans son film, des Pink Floyd pour la musique, des dessinateurs Hans Ruedi Giger (futur créateur de la créature d'Alien) et Chris Foss pour les décors, du scénariste hollywoodien Dan O'Bannon. Le dessinateur Jean Giraud, alias Moebius pour ses BD de science-fiction, lui fabriqua un story-board détaillé de 3.000 croquis. Mais le film ne se fera pas, faute de financement pour un projet aussi grandiose. Une autre adaptation de Dune, produite par la Fox et Universal et réalisée par David Lynch, sortira neuf ans plus tard, en 1984, mais sera un échec.
"Moi, j’ai aimé me battre pour Dune. Nous avons gagné presque toutes les batailles, mais nous avons perdu la guerre", dit aujourd'hui Jodorowsky, qui verse un peu dans la victimisation et le complot hollywoodien. "Le projet fut saboté à Hollywood. Il était français et non américain. Son message n’était +pas assez Hollywood+. Il y a eu des intrigues, du pillage. Le story-board a circulé parmi tous les grands studios. Plus tard, l’aspect visuel de Star Wars ressemblait étrangement à notre style. Pour faire Alien, on a appelé Moebius, Foss, Giger, O’Bannon, etc…"
Bref, Star Wars c'est lui, Alien c'est lui –mais, manque de chance, 2001: L'odyssée de l'espace ce n'est pas lui puisque le film est sorti en 1968… Malgré son côté mégalo-mythomane, Alejandro Jodorowsky attire la sympathie, par son enthousiasme et son énergie, sa jeunesse d'esprit, son envie constante de création. Après l'échec de Dune, il s’est reconverti avec succès dans la bande dessinée comme scénariste (notamment avec Moebius pour L’Incal), puis a mis en scène quelques pièces de théâtre et est devenu un spécialiste du tarot divinatoire. Et, après une absence de plus de 20 ans, est revenu au cinéma grâce à Michel Seydoux, qui a financé son dernier film La Danse de la réalité, une autobiographie farfelue et fantasque (comme l'ensemble de son oeuvre) tournée dans son pays natal le Chili et présentée à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2013.
Le documentaire qui lui est consacré, réalisé par Frank Pavich, date également de 2013 mais ne sort dans les salles que maintenant. Il est composé d'extraits de films et d'interviews d'Alejandro Jodorowski, de Michel Seydoux, de professionnels du cinéma et de plusieurs membres de l'équipe ayant participé à ce projet hors du commun.
"Ce n'est pas l'histoire d'un échec", dit Frank Pavich. "Bien au contraire, c'est l'histoire d'un artiste qui transforme une déconvenue en grand succès, qui va de l'avant en suivant un flot ininterrompu d'idées et de pulsions créatrices, bien après l'âge de 80 ans. C'est un film sur une ambition unique: celle de changer le monde avec l'art".
(Voir ci-dessous la bande-annonce du film):
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