"Charlie Hebdo" : Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Honoré, cinq dessinateurs de talent
Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Honoré… Autant de grands noms qui ont perdu la vie, avec sept autres personnes, lors de l’attaque de la rédaction de Charlie Hebdo mercredi 7 janvier. Retour sur les parcours de ces cinq dessinateurs d’exception qui ont marqué leur époque, au-delà de leurs lecteurs réguliers.
Cabu
Né le 13 janvier 1938, Jean Cabut se passionne très vite pour le dessin. En 1954, il publie ses premières illustrations dans le quotidien régional L’Union de Reims sous le nom de Cabu. Plus tard, contraint de mettre entre parenthèses sa carrière lors de la guerre d’Algérie, il continue à publier des dessins dans le journal des armées, Le Bled. C’est au cour de cette période qu’il développe son style désormais reconnaissable entre mille: acide, désabusé et antimilitariste.
Au cours des années 60, il intègre l'équipe du mensuel satirique Hara-Kiri. Evoluant auprès de confrères prestigieux qui partagent ses idées, il crée son personnage fetiche, Le Grand Duduche, "un lycéen qui était du bon côté", et son négatif, le Beauf: "c’est le Français moyen, râleur qui a tous les défauts, qui n’a pas vraiment une réflexion personnelle, qui répète ce qu’il entend à la télé ou au bistrot", expliquera plus tard l'artiste dans un entretien accordé au Petit journal de Canal+.
Suite à l’interdiction d’Hara-Kiri Hebdo, Cabu rejoint son successeur, Charlie Hebdo, en 1970. Il se spécialise dans la caricature politique engagée à gauche et c'est le début du succès. A partir de 1992, il collabore également avec Le Canard Enchaîné, pour lequel il ressuscite son Grand Duduche. Il collabore également à de nombreux autre journaux: ses contributions vont du Nouvel Obs à La Grosse Bertha en passant par Rock and Folk, Le Monde ou encore Le Figaro.
Son plus emblématique coup d'éclat restera son numéro spécial de Charlie Hebdo reproduisait douze caricatures de Mahomet en 2011, à l'origine du courroux des intégristes contre le journal et ses dessinateurs.
(Voir ci-dessous l'interview de Cabu à "France Soir" en 2008):
Charb
Stéphane Charbonnier, dit Charb, est né le 21 août 1967 à Conflans-Sainte-Honorine, en Ile-de-France. Lui aussi s’intéresse très tôt au dessin. Il fait ses premières armes dans le journal de son collège et dans Les Nouvelles du Val d’Oise avant d’entamer une carrière de caricaturiste. En 1991, il commence à travailler pour l’hebdomadaire satirique La Grosse Bertha. L'année suivante, il se lance dans l’aventure Charlie Hebdo où il tient alors une rurbique au titre évocateur de Charb n’aime pas les gens.
Ses dessins sont publiés par de nombreux journaux et magazines, dont Télérama et L'Humanité. Tous les mois il signe la rurbique La fatwa de l'Ayatollah Charb, dans la gazette de Fluide glacial. En 2009, il remplace Philippe Val à la tête de Charlie Hebdo. Trois ans plus tard, après la seconde affaire des caricatures de Mahomet qui lui ont valu des menaces de mort, le dessinateur, désormais sous protection policière permanente, déclare au magazine Tel Quel : "Ça fait sûrement un peu pompeux, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux". Et c’est sans doute également debout qu’il est mort, selon son ami Patrick Pelloux. "Je pense que Charb a dû se lever pour leur faire un bras d'honneur avant d'être abattu", a déclaré le chroniqueur, très ému, sur France Inter.
(Ecouter ci-dessous le témoignage de Valérie Expert, présentatrice de "Choisissez votre camp" sur LCI sur la mort de son ami Charb):
Wolinski
Georges Wolinski nait en 1934 à Tunis d’une mère juive franco-italienne et d’un père juif polonais. Il commence à travailler dans l’entreprise de tricot de son beau-père à Fontenay-sous-Bois avant de publier ses premiers dessins dans Rustica en 1958. Deux ans plus tard, il intègre l’équipe de Hara-Kiri avant de travailler pour Action et ensuite France-Soir, où il tient une page de "contestation". Dans cette derrnière, il a pour habitude de ne "pas seulement y contester la société, comme tout le monde, mais aussi le directeur du journal (Pierre Lazareff, NDLR)", comme il aime tant à le dire lui-même.
Puis, à la fin des années 60, Wolinski intègre les équipes du Journal du Dimanche où il rencontre sa seconde et dernière femme, Maryse. Mais ce passage au JDD ne dure pas longtemps et en 1970, le dessinateur revient à ses premières amours, devenant redacteur en chef de Charlie Hebdo. Il y dessine quotidiennement une bande d’abord intulée L'Evolution de la situation dans laquelle un gros personnage sûr de lui et dominateur tient des propos de café de commerce avec un autre maigre et d’allure timide. En 1981, tout en continuant à collaborer avec Charlie Hebdo, il rejoint L’Humanité et travaille ensuite aussi avec Paris Match. Son style se fait moins militant, plus "bon enfant".
Interrogée sur RTL sur les risques que Georges Wolinski encourait dans son travail de caricaturiste, sa femme Maryse explique: "Non, il n'(en) était pas conscient, parce que mon mari n'était pas conscient de ce genre de chose, il allait de l'avant, il fallait se battre, il se battait avec ses dessins, avec son crayon, penché sur sa table à dessin".
(Ecouter ci-dessous le poignant témoignage d'Elsa Wolinski, sa fille, à Europe-1):
Tignous
"Il avait des allures de nounours, mais il n'a jamais eu peur d'ouvrir sa gueule", déclare aujourd’hui le carricaturiste Aurel dans Le Monde pour évoquer Tignous. Bernard Verlhac, de son vrai nom, est né en 1957 à Paris. Après plusieurs années de formation dans une école de dessin, celui que sa grand-mère surnommait "petite teigne" (d'où le surnom de "Tignous") se tourne vers la presse. Il publie ses illustrations dans Antirouille, puis dans L'Idiot international de Jean Edern Hallier. Tout comme ses maîtres Cabu et Charb avant lui, il se lance ensuite dans l’aventure de La Grosse Bertha. Dans le même temps il publie chaque semaine dans L'Evénement du jeudi, l'hebdomadaire lancé en 1984 par Jean-François Kahn, des dessins virulents se moquant de la bêtise télévisiuelle, des mensonges des hommes politiques et des gens d’Eglise.
Ce travail d’actualité fait de Tignous non seulement un illustrateur mais aussi un journaliste. "Un dessin de presse, c'est super dur à réussir parce qu'il faut tout mettre dans une seule image. C'est tout le contraire de la BD", disait-il souvent. Quand, en 1992, Philippe Val décide de relancer Charlie Hebdo, Tignous le suit immédiatement.
Éclectique, celui qui n’hésite pas à déclarer: "Il y a deux choses que je sais bien faire: l’amitié et le dessin", travaille également pour Fluide glacial, Télérama, VSD, L'Humanité et L'Express. Ses dessins apparaissaient également à la télévision dans les émissions de Laurent Ruquier sur France-2, de Marc-Olivier Fogiel sur M6, de Bruno Masure sur Public Sénat.
En 2011, Tignous publie Cinq ans sous Sarkozy (Ed. 12 Bis), ouvrage cinglant qui compile ses dessins de presse illustrant les hauts faits et affaires du quinquennat de Nicolas Sarkozy.
(Voir ci-dessous le travail de Tignous lors du Festival du Vent 2013):
Honoré
Moins que connu que ses quatre confrères, Philippe Honoré, né en 1941 à Vichy, était un autodidacte. Il publie son premier dessin de presse à 16 ans dans Sud-Ouest et développe ensuite un style très particulier. Ses ambiances sont sombres, façon gravure sur bois, et en font "un immense dessinateur" pour Plantu qui se souvient d’un "enragé mais d’un enragé très poli et doux" .
Ces dernières années, Honoré travaille surtout pour Charlie Hebdo, Lire et Les Inrockuptibles. Il est l’auteur du prémonitoire dessin tweeté par le journal satirique quelques minutes avant l’attaque. Sur l’image, le chef de l'organisation de l'Etat islamique (EI) Abou Bakr al-Baghdadi y présente ses vœux: "Et surtout la santé!"…
(Voir ci-dessous une séance de décicaces au Tri Postal en 2011 des dessinateurs Honoré et Riss, blessé lors de l'attaque de la rédaction):
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