Histoires pour longues soirées d'hiver : Louis Mandrin, "capitaine général des contrebandiers"
Histoires pour les longues soirées d’hiver - Affaires criminelles hors-normes - N°1 : Mandrin.
Après les “Chroniques estivales” pour distraire vos vacances d’été, France-Soir vous propose de vous divertir au coin du feu, durant cette période hivernale, en découvrant ou redécouvrant quelques affaires criminelles hors-normes, dont les acteurs sont souvent rentrés dans l’histoire pour leur audace, leur ingéniosité, leur impertinence ou… leur popularité ! Mandrin, auto-proclamé "capitaine général des contrebandiers", rassemble toutes ces qualités, ou défauts si on se place du point de vue des victimes.
Les principales victimes de Mandrin étaient le Trésor du Roi et les collecteurs d’impôts ou leurs familles. Et, durant ce XVIIIe siècle qui s’achèvera avec la Révolution française, le petit peuple est accablé d’impôts et taxes divers, dont la noblesse et le Clergé sont largement exonérés. Ainsi, la taille, principal impôt sur le revenu de l’Ancien Régime, n’est dû que par les roturiers. Mais surtout, les taxes, ces impôts indirects qui frappent le contribuable quel que soit son revenu, fleurissent. La gabelle relève de cette fiscalité et elle est particulièrement impopulaire car elle renchérit un produit de première nécessité : le sel. Taxer les produits essentiels, et récupérer ainsi des revenus fiscaux même auprès des plus démunis, ne date pas d’aujourd’hui. En effet, sous Louis XV, le sel est essentiel pour conserver les aliments.
Le recouvrement de ces impôts indirects est confié à la Ferme. Comment fonctionne-t-elle ? Des individus, appelés fermiers généraux, acquièrent un bail qui leur permet de collecter une taxe durant une période donnée. Le plus souvent, ces derniers concèdent ensuite ce droit de collecte, moyennant un montant bien supérieur à celui qu’ils ont payé, à des sous-fermiers qui, pour s’enrichir, se montrent sans pitié quant à l’application des tarifs quand ils ne les surévaluent pas. De nombreux fermiers accumulent ainsi des fortunes indécentes et sont cordialement détestés par le peuple écrasé d’impôts. Or, c’est justement aux fermiers et aux taxes que Mandrin va s’attaquer.
Une condamnation injuste
Ce sont des concours de circonstances malheureux qui vont entraîner Louis Mandrin sur le chemin de la criminalité. Ce fils de paysan prospère, né en Savoie en 1725, se serait probablement contenté d’exploiter l’affaire familiale après le décès de son père, si un lot de chevaux qu’on lui avait confié pour être vendu en Italie n’avait été décimé par une épidémie. Sur la petite centaine d’animaux, n’en survivent que 17 et Mandrin est condamné de façon complètement disproportionnée au regard de sa responsabilité dans le drame. Il se retrouve ruiné et habité par un fort sentiment d’injustice.
Cinq ans plus tard, nouveau coup du sort. Il prend le parti d’un ami paysan qu’on veut enrôler de force dans la milice bourgeoise française. S’ensuit une bagarre au cours de laquelle il tue un soldat. Il fuit, est condamné à mort par contumace et contraint de partir en cavale. C’est alors qu’il commence à réunir son “armée de contrebandiers” qui va rapidement prendre de l’ampleur.
À l’époque, une large partie des Etats de Savoie sont terres du roi de Sardaigne, et Rochefort-en-Novalaise, où Mandrin établit son quartier général, n’appartient donc pas au royaume de France. Avec ses deux à trois cents hommes, le fugitif organise de véritables campagnes à travers les provinces françaises, où il vend à bas prix des produits de contrebande ramenés de Savoie : sel, tabac ou poudre à fusil. Le peuple l’adore, d’autant que le “capitaine général des contrebandiers”, travaille sa popularité avec des mises en scène soignées. Il pille les maisons des riches et distribue le butin aux pauvres. Il libère les contrebandiers et les déserteurs des prisons, tout en veillant à laisser les autres criminels, dont il veut se différencier, enfermés. Évidemment, sa troupe et lui dévalisent la recette de l’impôt. En 1754, les contrebandiers tuent des employés de la Ferme et contraignent la fille de l’entreposeur des tabacs à leur verser une “taxe” de 8000 livres ! Mandrin fait aussi prisonnier des responsables de la Ferme ou des intendants du roi, et organise des tribunaux populaires pour les juger et les condamner. À la fin de l’année 1754, peu avant Noël, il prend la ville de Beaune d’assaut et contraint le receveur de la gabelle à lui verser 20 000 livres.
"Bras, cuisses, jambes et reins rompus vifs”
Mandrin est considéré comme l’ennemi public numéro 1 par la monarchie française et comme un véritable héros par le peuple. Les chanteurs ambulants le célèbrent, les imagiers racontent ses exploits. Le roi et ses ministres n’en peuvent plus. Quand on apprend qu’il a contraint des fermiers généraux à lui acheter des produits de contrebande, l’État français décide qu’il faut arrêter l’insolent délinquant, quoi qu’il en coûte et quitte à violer le droit international. Les troupes royales prennent Mandrin par surprise dans son quartier général savoyard, sur les terres du roi de Sardaigne, et l’enlèvent lors d‘une opération commando dirigée par le colonel de la Morlière. Le contrebandier est promptement ramené en France. Les véhémentes protestations des représentants de la Sardaigne n’y font rien : Mandrin est condamné par le tribunal de Valence à avoir “les bras, cuisses, jambes et reins rompus vifs”, autrement dit à mourir sur la roue. L’émotion et le mécontentement populaires, suscités par l’arrestation illégale de celui qui fait figure de héros auprès des petites gens et sa condamnation, sont immenses. Tant et si bien que Mandrin est précipitamment exécuté pour éviter que la foule ne se soulève et ne le libère.
Son exécution ne résout que partiellement le problème qu’a posé Mandrin à la monarchie. Le peuple a trouvé dans la figure du contrebandier un martyr qu’il célèbre et sa légende demeure. Les attaques contre la Ferme sont virulentes et le pouvoir s’inquiète. Dès 1787, avant même la révolution, les notables condamnent la gabelle qui est définitivement supprimée en 1790.
La notoriété de Mandrin a survécu au temps et sa complainte, le plus célèbre des chants narrant ses exploits, est entrée dans le folklore populaire, et a d’ailleurs été repris par des stars françaises de la chanson comme Yves Montand ou Renaud.
La complainte de Mandrin – Version populaire.
Nous étions vingt ou trente
Brigands dans une bande,
Tous habillés de blanc
A la mode des, vous m'entendez,
Tous habillés de blanc
A la mode des marchands.
La première volerie
Que je fis dans ma vie,
C'est d'avoir goupillé
La bourse d'un, vous m'entendez,
C'est d'avoir goupillé
La bourse d'un curé.
J'entrai dedans sa chambre,
Mon Dieu, qu'elle était grande,
J'y trouvai mille écus,
Je mis la main, vous m'entendez,
J'y trouvai mille écus,
Je mis la main dessus.
J'entrai dedans une autre
Mon Dieu, qu'elle était haute,
De robes et de manteaux
J'en chargeai trois, vous m'entendez,
De robes et de manteaux
J'en chargeai trois chariots.
Je les portai pour vendre
A la foire de Hollande
J'les vendis bon marché
Ils m'avaient rien, vous m'entendez,
J'les vendis bon marché
Ils m'avaient rien coûté.
Ces messieurs de Grenoble
Avec leurs longues robes
Et leurs bonnets carrés
M'eurent bientôt, vous m'entendez,
Et leurs bonnets carrés
M'eurent bientôt jugé.
Ils m'ont jugé à pendre,
Que c'est dur à entendre
A pendre et étrangler
Sur la place du, vous m'entendez,
à pendre et étrangler
Sur la place du marché.
Monté sur la potence
Je regardai la France
Je vis mes compagnons
A l'ombre d'un, vous m'entendez,
Je vis mes compagnons
A l'ombre d'un buisson.
Compagnons de misère
Allez dire à ma mère
Qu'elle ne m'reverra plus
J'suis un enfant, vous m'entendez,
Qu'elle ne m'reverra plus
J'suis un enfant perdu.
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