Tara l'ourse polaire face au réchauffement climatique – Episode 1 : la tanière

Auteur(s)
Jean-Marc Neumann, édité par la rédaction.
Publié le 25 avril 2019 - 15:35
Mis à jour le 26 avril 2019 - 17:33
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Un ours polaire.
Crédits
©Paul J.Richards/AFP
Tara l'ourse polaire doit lutter pour sa survie et celle des ses petits.
©Paul J.Richards/AFP

L'ours polaire est en première ligne face au réchauffement de la planète et à la fonte des glaces. Afin de comprendre ce que le changement climatique implique pour cet animal, Jean-Marc Neumann, président de TELAS Conseil, consultant en stratégie, politique et règlementation de la protection animale, vous propose en collaboration avec France-Soir de découvrir l'histoire pas si fictive de Tara, une femelle qui lutte pour la survie de ses oursons, et par la même de toute son espèce.

Le réchauffement climatique constitue un défi pour l'humanité ainsi que pour toutes les espèces animales. L'ours polaire est sans conteste le symbole des conséquences déjà visibles de ce phénomène. Le plus grand carnivore terrestre doit lutter pour sa survie comme jamais au cours de sa longue existence. Il doit franchir des distances de plus en plus importantes en haute mer pour se nourrir. Son habitat se fragmente d'année en année. Son avenir est d'autant plus incertain que d'autres phénomènes liés à l'homme s'y ajoutent. Afin de comprendre les défis auxquels l'ours polaire doit désormais faire face, nous vous proposons durant plusieurs semaines de suivre une ourse, Tara, et ses deux oursons dans leur long voyage à la recherche de leur nourriture et pour assurer leur survie. 

Kongsoya (Ile du Roi)

Au-delà du 79ème degré de latitude nord, une ourse avance d’un pas déterminé sur la glace qui recompose le paysage et couvre à nouveau la mer de Barents en grande partie. C’est désormais une vaste étendue blanche qui se déroule devant elle. La mer est gelée jusqu’aux environs du soixante-quinzième degré de latitude nord qui constitue en général la limite des glaces dans cette région.

Nous sommes au mois de novembre. La nuit polaire enveloppe à nouveau l’Arctique. Il fait déjà plus de 12 degrés sous zéro. Le vent souffle fort et fouette la fourrure de l’ourse.

L’hiver est proche. Tara doit trouver un endroit pour y creuser sa tanière. Elle ne restera pas sur la glace. Même s’il arrive que les ours choisissent d’hiverner sur la banquise, cela ne constitue pas, pour Tara, le meilleur choix. La glace constitue un élément extrêmement instable; elle bouge, change d’aspect, de configuration, elle se rompt, dégèle puis regèle au gré des températures et des courants marins. Une tanière sur la glace peut se retourner, peut être détruite, d’autres plaques de glace peuvent s’échouer sur elle et écraser ses occupants.

Il est déjà désagréable d’être réveillé en pleine hivernation et de devoir quitter sa tanière. Cela est encore pire si la portée vient de naître. Les petits seraient alors condamnés car ils ne pourraient résister à un déménagement par des températures de 20 ou 30 degrés sous zéro.

Bref, une tanière sur la glace constitue un habitat très précaire.

Tara choisira un endroit sur la terre ferme à quelques dizaines de kilomètres plus au sud sur une île au fond d’une vallée qu’elle connaît.

Sa tanière elle la creusera sur une pente à l’abri du vent où se sera accumulée à l’automne une couche suffisante de neige pour pouvoir y creuser aisément un abri protégé des rigueurs du long hiver.

Tara se dirige vers l’ile de Kongsoya située dans l’archipel de Kong Karls Land  à environ cent kilomètres à l’est de Spitzberg, l’île principale du Svalbard. L’île se situe en mer de Barents, très précisément au 78°56’00"Nord et 28°35’00" Est. 

Elle y est née il y a neuf ans, dernière d’une portée de trois oursons. Sa mère lorsqu’elle a donné naissance à Tara avait déjà près de vingt-deux ans, un grand âge pour une ourse vivant en liberté. Un âge avancé certes, mais pas exceptionnel puisque, selon certains chercheurs, une femelle peut encore donner naissance à une portée jusqu’à l’âge de vingt-sept ans et peut avoir au cours de sa vie 12 à 18 oursons au total.

La vallée de Bogen, à l’ouest de ce rocher en forme de croissant perdu en pleine mer, d’une superficie de moins de deux cents kilomètres carrés, se trouve dans une zone montagneuse située pratiquement à mi -distance entre Kapp Koburg au nord et Kapp Altmann à la pointe sud de l’île.

Elle y abrite plus d’une douzaine de tanières au kilomètre carré, la plus forte densité que l’on ait pu observer au monde.

Les tanières y sont parfois si proches les unes des autres que les ourses peuvent, depuis le seuil de leur abri, observer leurs congénères quelques fois distantes de trente à cinquante mètres seulement.

En outre et cela constitue un atout majeur pour une ourse à la recherche d’un havre de paix, l’île de Kongsoya est une zone naturelle protégée dans laquelle aucun être humain ne peut se rendre sauf autorisation spéciale du gouverneur de l’archipel du Svalbard, ni même approcher à moins de 500 mètres.

L’Homme, comme l’ours polaire, a reconnu le caractère tout à fait unique de cette zone. Il y a interdit dès 1939 la chasse à l’ours et ainsi, l’île est devenue un véritable sanctuaire.

Tara y sera tranquille. Elle pourra y donner naissance en toute quiétude à sa deuxième portée.

Tara fait partie des quelques 2.650 ours qui constituent la sous-population de la mer de Barents, l’une des 19 sous-populations d’ours polaires que compte l’Arctique. Elle représente plus de 10% des ours polaires que compte la planète.

La sous-population de la mer de Barents occupe un territoire, en grande partie situé en mer, qui s’étend à l’ouest depuis l’archipel du Svalbard jusqu’à l’archipel François-Joseph à l’est, entre les 72ème et 82ème degrés de latitude nord et entre les 10ème et 60ème degrés de longitude est.

Peu d’ours polaires ont été observés au-delà du 82ème degré nord. C’est là que commence l’océan arctique c'est-à-dire les eaux polaires qui sont moins riches sur le plan nutritif. Elles attirent moins les phoques et par voie de conséquence également ce prédateur dont ils représentent la nourriture quasi-exclusive.

Tara donnera naissance dans quelques semaines à l’abri des regards, des températures glaciales, des rafales et tempêtes de vents. Pendant qu’elle sera bien au chaud dans sa tanière, les autres ours resteront tout l’hiver à l’extérieur.

Ils n’auront pas eu à constituer tout au long de l’été des réserves suffisantes pour pouvoir hiverner, contrairement aux femelles qui s’apprêtent à donner naissance à une portée et qui, elles, ne se nourriront pas durant de longs mois.

Eux continueront à parcourir l’île et ses environs et à chasser les phoques annelés.

L’ourse a parcouru des centaines de kilomètres depuis le printemps. Depuis que la première portée qu’elle a eue à l’âge de six ans, composée d’un mâle et d’une femelle âgés désormais de près de deux ans et demi, l’a quittée en mai dernier pour mener sa propre existence.

Elle a eu de la chance. Ses deux oursons ont réussi à affronter tous les dangers et à survivre. Pour la plupart des mères la perte d’un ourson au cours de la première année est, en quelque sorte, devenue une norme naturelle à laquelle seules quelques exceptions échappent.

Pour mesurer la chance de Tara, il est utile de préciser que le taux de mortalité des oursons est de plus de 50% au cours des douze premiers mois de leur vie. En général, une ourse perd l’un de ses petits entre le printemps et l’automne.

Tara était à nouveau, après le départ de ses deux oursons, prête à s’accoupler pour perpétuer l’espèce. C’est un enjeu majeur pour tous ses congénères. Les ourses ne donnent naissance, en général, qu’à une portée tous les trois ans (une fois que le sevrage de la portée précédente aura pris fin) composée de un à trois oursons au plus. L’on comprend donc aisément à quel point le maintien de la population est difficile et précaire.

C’était en juin dernier quelque part sur la glace à environ 80 kilomètres au nord-est de l’île de Kongsoya. Cela faisait déjà près de quinze jours que Tara était suivie par cinq mâles dont deux jeunes adultes d’environ 4 à 5 ans.

Après plusieurs combats opposant les rivaux, c’est le plus fort d’entre eux, un mâle d’une quinzaine d’années pesant près de sept cents kilogrammes qui s’est imposé et a obtenu les faveurs de Tara.

C’était lui qui était le mieux à même de transmettre les meilleurs gènes et donc les meilleures chances de survie à la future portée de l’ourse. Tara et lui restèrent ensemble durant près d’une semaine. Ils partirent se réfugier durant cette période quelque part au nord-est de l’île de Kvitoya où ils s’installèrent sur un petit promontoire à l’abri de la vue de leurs congénères.

Puis, Tara et le gros mâle se séparèrent .Elle prit le chemin qui devait la  mener à une zone de chasse prometteuse.

Sa seule obsession durant tout l’été fut de s’alimenter en abondance pour accumuler de la graisse afin de pouvoir affronter de longs mois sans pouvoir ni boire ni manger, donner naissance à une nouvelle portée et parvenir à la nourrir d’un lait riche en matière grasse.

Elle aura ainsi parcouru plus de cinq cent kilomètres en restant constamment entre les 80ème et 81ème degrés de latitude nord, là où la glace subsiste encore en été. Sans glace, pas de phoque et donc pas de nourriture. Il était hors de question pour Tara de chasser en pleine mer car le phoque est trop rapide et agile sous l’eau pour qu’elle ait la moindre chance de réussite.

Les ours polaires, en raison de l’épaisseur de leur couche de graisse et de leur fourrure, s’échauffent très vite et peuvent mourir d’un arrêt cardiaque. Il leur faut donc en permanence économiser leurs forces et conserver leur énergie.

Tara a bien géré cette période délicate et essentielle pour elle et sa future portée; elle a pris près de deux cents kilogrammes pour en peser désormais un peu plus de quatre cents. 

Il lui faut maintenant choisir le refuge pour abriter sa maternité.

L’ourse aborde désormais l’ouest de l’île de Kongsoya et se dirige vers la vallée de Bogen. Cette vallée en forme de U se trouve au sud du plateau montagneux de Retziusfjellet culminant à 320 mètres d’altitude.

Entre septembre et juin, l’île est entourée de la banquise qui ne la libère de son emprise que très brièvement en été.

Tara peut aborder au mois d’octobre la terre ferme sans aucune difficulté .Elle n’aura pas à nager des heures comme lors de la débâcle au cours du mois de juillet dernier.

A environ deux kilomètres à l’intérieur de l’île, l’ourse s’engage sur une pente abritée du vent. La pente est raide, près de 40 degrés. La couche de neige d’environ un mètre vingt qui s’y est accumulée offre des conditions optimales pour une tanière.

Après avoir parcouru quelque dizaines de mètres, elle s’arrête en humant l’air et en scrutant les alentours.

Elle a enfin repéré l’endroit précis où elle passera l’hiver et donnera naissance à sa portée. Une pellicule de glace recouvre déjà la neige. Tara en appui sur ses pattes arrières martèle le sol à plusieurs reprises avec ses pattes antérieures pour briser la glace et pourvoir commencer à creuser la neige qui est déjà bien dure.

Après avoir réussi à ouvrir un étroit tunnel d’environ un mètre cinquante de longueur , elle s’y engage et attaque ensuite la construction d’ une chambre de forme ovale de deux mètres de longueur sur un mètre cinquante de largeur et d’une hauteur de près d’un mètre.

Moins de quarante centimètres séparent le plafond de la chambre de la surface. L’oxygène, les bruits et la lumière pourront ainsi filtrer et parvenir jusqu’à l’intérieur de la tanière.

Tara aura mis un peu plus de 30 minutes pour creuser sa tanière. Tout est désormais prêt pour elle et la portée qui va naître; ils seront bien au chaud durant l’hiver.

L’ourse s’installe maintenant dans son abri et entre dans une semi- léthargie dont elle ne sortira que temporairement à la naissance de sa portée d’ici quelques semaines.

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