Le calvaire des victimes d'esclavage moderne au Brésil
Ismauir de Sousa a passé trente ans dans des fermes du nord du Brésil, sous-alimenté, soumis à des journées de travail harassantes, dormant sous des bâches en plastique et buvant la même eau que les animaux.
Son cauchemar a pris fin en 2003, mais ses souvenirs sont à fleur de peau, en pleine polémique autour d'une ordonnance du gouvernement qui assouplit les normes régissant la lutte contre l'esclavage moderne.
"Les conditions de travail étaient si mauvaises que la souffrance commençait dès que je sortais de chez moi", confie Ismauir, 58 ans, lors d'entretien à l'AFP par téléphone.
L'ordonnance, publiée le 16 octobre, redéfinit le concept d'esclavage moderne, le limitant presque exclusivement aux situations de privation de la liberté.
Mais le texte ne prend plus en compte les notions de conditions dégradantes, ce qui placerait les fermiers chez qui travaillait Ismauir hors d'atteinte des sanctions.
Son application a été suspendue par une juge de la Cour suprême la semaine dernière, après une avalanche de critiques aussi bien au Brésil que de la part de institutions internationales, comme l'ONU et l'OIT.
Le Brésil est le dernier pays d'Amérique à avoir aboli l'esclavage, en 1888. De nombreuses plaintes liées à l'esclavage moderne continuent cependant de viser certains groupes industriels et surtout de grands propriétaires terriens.
- Grève des inspecteurs -
Comme Ismauir, Gildasio Silva a été victime de cette forme d'exploitation. Il y a dix ans, il est parti avec ses trois enfants travailler dans une ferme du Maranhão (nord-est).
"J'ai passé six mois dans les champs et je n'ai jamais reçu le moindre centime. Je devais toujours de l'argent, parce qu'il fallait payer les outils et la nourriture, que les propriétaires vendaient à des prix prohibitifs", raconte-t-il.
Âgé de 27 ans à l'époque, il est parvenu à s'enfuir et est revenu trois mois plus tard avec une équipe d'inspecteurs du travail qui a permis de libérer vingt autres personnes.
"Ces inspections sauvent la vie de gens qui se sentent perdus", explique Gildasio.
En 1995, le Brésil a renforcé son dispositif de lutte contre l'esclavage moderne, avec des avancées saluées par les organisations internationales. Depuis, plus de 50.000 personnes ont été libérées du joug d'employeurs peu scrupuleux.
Considérée par de nombreux critiques comme un retour en arrière, l'ordonnance du gouvernement constitue une "erreur monumentale", dénonce Xavier Plassat, de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), association catholique qui lutte depuis trente ans en défense des travailleurs ruraux.
Ce frère dominicain français accuse le président conservateur Michel Temer d'avoir pris cette mesure pour "acheter des voix" au Parlement, en satisfaisant "de vieilles revendications du lobby de l'agro-business", représenté par plus de 200 députés.
L'ordonnance a été publiée quelques jours avant un vote de la chambre des députés ayant permis au chef de l'État de sauver son mandat en bloquant l'ouverture d'un procès à son encontre pour de graves accusations de corruption.
- "Réduire les inégalités" -
"Depuis le début, ce gouvernement donnait des signes qu'il favoriserait des secteurs spécifiques de l'économie mécontents de la définition en vigueur de l'esclavage moderne", affirme Renato Bignami, inspecteur du Ministère du travail.
Après la publication de l'ordonnance, des inspecteurs du travail chargés du lutter contre l'esclavage moderne ont fait grève, considérant que les nouvelles règles enfreignaient la Constitution brésilienne, ainsi que de nombreuses conventions internationales.
Selon Xavier Plassat, "75% à 90% des cas qui relèvent actuellement de l'esclavage moderne sont dus à des conditions dégradantes", un critère absent dans le nouveau texte.
"Je ne pensais pas que c'était possible d'être un esclave de nos jours, mais quand j'ai vu que ma famille avait faim, je n'ai pas eu le choix, j'ai été forcé à travailler", se souvient Gildasio Silva.
Au milieu de cette avalanche de critiques, l'ordonnance a été défendue par le ministre de l'agriculture Blairo Maggi.
Dans un entretien au journal O Globo, ce riche propriétaire terrien s'est dit farouchement opposé à l'esclavage moderne, mais a affirmé que le secteur agricole "vivait dans l'incertitude" et que le gouvernement a su "résoudre" le problème avec les nouvelles règles.
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