Giorgia Meloni : un peuple averti en vaut deux
ÉDITO - "Un homme averti en vaut deux", dit l'adage. Ce qui devrait fonctionner aussi pour les peuples. Dès lors, il me faut revenir un instant sur Giorgia Meloni, la Première ministre italienne nommée le 22 octobre 2022, à propos de qui il y a beaucoup à dire. Cette femme d'État italienne de 45 ans, ancienne ministre pour la Jeunesse dans l’un des gouvernements dirigés par Berlusconi, est abonnée aux partis d’extrême droite. Passée du Mouvement social italien à l’Alliance nationale, elle préside désormais le parti national-conservateur "Frère d’Italie". Considéré par certains comme "post-fasciste", voilà qui peut nourrir la polémique au sein de l'opinion publique.
En 2020, soudainement, les médias mainstream montrent pourtant à son encontre un étonnant engouement unanime. Voilà que Giorgia Meloni se retrouve à la Une de tous les journaux et magazines, présentée comme la femme providentielle, une sorte de Jeanne d’Arc italienne. Une femme forte et sans reproches qui, vous allez voir ce que vous allez voir, une fois parvenue aux plus hautes fonctions de l'État, va redonner toute leur gloire aux Italiens. Entendu pour une frange de l’électorat friand de ce genre d’idées : redonner l’Italie aux Italiens, la préférence aux Transalpins.
Autre objectif affiché, partagé par une plus grande partie des électeurs à notre époque : virer en sus les "globalistes", à coup de botte (italienne) dans l’arrière-train de la mondialisation. Même tarif, tout de même, pour les migrants, que Giorgia Meloni aurait pu présenter au plus fort de ses véhémentes invectives à leur encontre comme ces "féroces soldats qui viennent jusque dans nos draps engrosser nos filles et nos compagnes". Bref, une femme à droite de la droite et droite dans ses bottes, ancrée dans son idéologie partisane.
Une idéologie qui s’est aussi - ce qui est aussi présenté par les médias mainstream depuis quelques années comme allant de soi - teintée dans ses discours et diverses communications d’un étonnant pigment social. À en croire son programme pour les législatives de 2022 qui l’ont amenée au pouvoir, Meloni proposait de revaloriser les petites pensions retraites et les minima sociaux d'invalidité, de favoriser fiscalement les familles, d’agir sur le chômage des jeunes en favorisant les contrats aidés et même de réguler le méchant modèle économique issu de la mondialisation. Mélenchon, sors de ce corps !
Quant à l’Union Européenne (UE), gare à elle, des années que Meloni dézinguait Bruxelles et sa Commission... Ce qui paraît d’ailleurs logique : à l’heure actuelle, pour un dirigeant ou la dirigeante d’un État européen, comment appliquer un programme politique qui se vante d’être "souverain", "indépendant" et "social", en faisant partie d'un grand machin qui empêche toute initiative autonome ? Que l’on soit favorable ou non aux idées précitées, comment adopter par exemple un programme anti-migratoire en faisant partie de l’espace Schengen et/ou de l'UE ? Autre illustration, de l’autre côté de l’échiquier politique : comment décider d’une politique sociale de gauche lorsque jamais les États-membres ne seront unanimes pour la mettre en place, ce qui est la règle des Traités européens ?
Voilà qui rend a fortiori étonnant le soutien des médias mainstream, dont les lignes éditoriales sont en quasi totalité européistes, à une méchante extrême-droitiste qui allait, tremblez dans les chaumières, provoquer l’Italexit.
À moins que....
Allons droit au but. Giorgia Meloni est un cheval de Troie. Volontairement ou involontairement, peu importe, elle permet la continuité d’une politique par d'autres moyens que la conviction et le respect de la parole électorale donnée. Subrepticement, dissimulée sous des atours appréciés par l'opinion publique prête à la soutenir dans les urnes, elle prend les rênes de la Cité pour y jouer la stessa canzone (1).
Présentée comme une féroce adversaire à l'Union européenne, présentée à tort ou à raison comme responsable de tous les maux de l'Italie, la voilà désormais dans ses déclarations pro-UE, pro-Euro et pro-Otan. Un virage à 180°, à la vitesse d'une Maserati, qui a déjà été pris lors de plusieurs déplacements et rencontres internationales.
En janvier 2023, la nouvelle présidente du Conseil italien rencontre Ursula von der Leyen, la chère, très chère, présidente de la Commission européenne. Bras dessus, bras dessous, elles semblent même avoir accordé leurs tenues vestimentaires. Après avoir dénoncé Bruxelles comme une dictature insoutenable, c’est une vraie idylle pour Giorgia, qui allait selon Ursula "continuer à soutenir l’Ukraine, garantir la sécurité et un prix raisonnable de l’énergie, promouvoir la compétitivité de l’industrie européenne, de faire avancer le pacte migratoire."
Alors que plus de 55% des Italiens sont contre le fait de livrer des armes à l’Ukraine et que plus de 60% rejettent l'idée que l'OTAN entre en guerre contre la Russie, Giorgia Meloni a assuré, dès 2022, Kiev de son soutien... après avoir été une fervente admiratrice de Vladimir Poutine. Début 2023, elle a intensifié les livraisons d’armes dites "défensives", contre les missiles russes. La voilà outre-Atlantique aux côtés de Joe Bien, le président étasunien et Volodymyr Zelinsky, le président ukrainien, afin que l'on soit bien sûr de ses positions.
Quant aux mesures dites de gauche, les électeurs qui l'ont amenée au pouvoir commençaient sérieusement à tiquer : ses promesses s'évaporant, Meloni "s'est sentie affaiblie par les accusations de ne pas se soucier des familles les plus faibles (2)". Alors, afin de remettre une couche de vernis social, la Première ministre et son vice-Premier ministre Matteo Salvini ont annoncé à grand bruit une taxation des superprofits de groupes bancaires italiens.
Censée rassurer sur leurs intentions, cette annonce a été très mal accueillie... Patatras ! Un jour plus tard, Giancarlo Giorgetti, le ministre de l'Économie et des Finances annonce que la mesure de taxation est finalement limitée à 0,1% des actifs bancaires. Autant dire que, lorsqu'il faudra composer avec la mise au point du prochain budget du pays, tout en lorgnant sur quelques dizaines de milliards d'euros qui doivent être octroyés par l'UE, cette mesure n'existera probablement plus.
Bref, de façon très attendue depuis les années 80 au sein de ses diverses formations politiques, Giorgia Meloni mène une politique libérale attendue comme un tiramisu au café. Hé oui ! Cela se vérifie à chaque fois : l’engouement unanime des médias mainstream pour un ou une candidat(e) qui semble sortir des clous ou être le garant d'un renouveau se révèle systématiquement être le Cheval de Troie d'une politique pro-européenne et atlantiste. Les promesses n'engagent évidemment que ceux qui y croient mais, diable ! Jusqu'à quand ?
Voilà bien longtemps que je ne suis plus convaincu par ces nouveaux entrants de la politique. Autour de moi, j'avais pronostiqué sans trop de risque sur telle évolution. Mais quid aujourd'hui des millions d'Italiens qui, eux, n'ont pas vu venir l'affaire et n'ont pas su reconnaître un authentique produit du système ? Que vont devenir leurs espoirs déçus devant tant d'hypocrisie ? Certains d'entre eux se consoleront en repensant à cette citation d'Albert Einstein :
"Si vous avez un problème et que vous comptez sur les politiciens pour le résoudre, vous avez deux problèmes."
Rappelons enfin que Giorgia Meloni nous a été vendue comme étant la Marine Le Pen Italienne. Et en tant qu'électeur français pacifiste et humaniste, et qui aspire à ce que la France retrouve, dans le monde, sa place de puissance diplomatique et traite au passage les Russes à leur juste valeur (en amis plutôt qu'en ennemis), je me dis alors qu'il faut se méfier de certaines postures, apparences, discours.
Institutionnellement, certaines choses ne changent pas. Les hommes et femmes politiques, c'est une autre ritournelle. Un peuple averti en vaut deux... Comme le dit ce proverbe africain :
"Bien que le serpent change de peau, il ne change pas sa nature."
Notes :
(1) La même chanson
(2) Selon Francesco Galietti, fondateur d'un cabinet de conseil en risques politiques basé à Rome
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.