Il y a comme un défaut... Les consignes de vote sont-elles inconstitutionnelles ?

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Xavier Azalbert, France-Soir
Publié le 02 avril 2023 - 10:58
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Vote
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Ya comme un défaut
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ÉDITO/ANALYSE - Je n'ai pas pour souvenir que Fernand Raynaud ait été juriste, et encore moins un constitutionnaliste de renom. Cependant, il aurait probablement taillé un costume à tous ceux qui font une application « à la hussarde » de l'article 27 de la Constitution.

En l’occurrence, quand députés ou sénateurs appliquent les consignes de vote qu'ils reçoivent du groupe parlementaire ou parti politique auquel ils appartiennent ou sont affiliés. Et pareil pour les personnes qui les leur soumettent, ou délivrent, ces consignes de vote.

« Le mandat impératif est nul. Le droit de vote des parlementaires est personnel », article 27 de la Constitution (1).

Il est donc bien fait interdiction à quiconque de donner une consigne de vote. Il est donc tout autant interdit à un député ou à un sénateur d'accepter de suivre, d'appliquer une consigne de vote.

C’est dans l’esprit de la Vème République des débuts, qui voulait en finir avec le « régime des partis » dénoncé par le général De Gaulle, que les auteurs de la Constitution de 1958 ont introduit cette précision dans la lettre du texte. Lettre apparemment tombée en désuétude dans la pratique parlementaire de la Vème finissante...

Pire ! On pourrait même considérer ces manœuvres politiciennes comme un délit. Après tout, on a bien consacré en finance le délit d’initié et la manipulation du cours de bourse comme une infraction.

Je m'explique.

Aux termes de l'article 432-1 du code pénal, si « une personne dépositaire de l'autorité publique » prend « dans l'exercice de ses fonctions, une mesure destinée à faire échec à l'exécution de la loi », ce fait matérialise le délit que cet article punit « de 3 ans de prison et de 45 000 euros d'amende ».

Et « ces peines sont portées à 10 ans de prison et de 150 000 euros d'amende » si « cette mesure est suivie d'effet ».

Or, la position de la Cour de cassation est claire : dans l'exercice de leurs fonctions, les parlementaires ont tous la qualité de personne dépositaire de l'autorité publique. Tel est le cas du vote d'un texte de loi ou d'une motion de censure ou autre.

Dès lors, ce qui suit, semble établi de manière incontestable.

Premièrement, en appliquant une consigne de vote, un parlementaire se rend coupable, en tant qu'auteur, du délit que l'article 432-2 du code pénal punit de 10 ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. 

À savoir, le délit de mesure « suivie d'effet » prise par personne dépositaire de l'autorité publique agissant dans l'exercice de ses fonctions.

Deuxièmement, toute personne qui donne une consigne de vote est coupable de ce délit en tant que complice, si le parlementaire applique cette consigne. C'est-à-dire par application de l'article 121-7 du code pénal, le texte législatif qui incrimine la complicité par « instructions données » ou par « consigne », justement, pour commettre un crime ou un délit. Et à ce titre cette personne encourt les peines prévues par l'article 432-2 du code pénal.

Troisièmement, si la personne qui donne une consigne de vote à un parlementaire est elle-même un parlementaire, ou dépositaire de l'autorité publique qui agit à cette occasion dans l'exercice de ses fonctions (comme par exemple un membre du gouvernement ou un maire), mais que le parlementaire n'applique pas cette consigne de vote, cette personne se rend coupable en tant qu'auteur cette fois.

L'article 432-1 du code pénal prévoit pour ce délit, 3 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. En effet, le fait de donner cette consigne est suffisant en soi à matérialiser la « mesure » qui met en échec l'article 27 de la Constitution, texte de loi suprême.

Cependant, l'avant-dernier alinéa de l'article 27 de la Constitution dit que « la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote ». On devrait donc pouvoir valablement considérer que lorsqu'un parlementaire, donnant mandat de vote à un autre avec une consigne de vote, il ne se rend pas coupable du délit susdit. Tel n'est probablement pas le cas.

Pourquoi ? Parce que lorsqu'un parlementaire donne mandat à un autre de voter en son nom, de fait il lui transfère l'obligation que lui-même a de voter en son âme et conscience, à savoir l'interdiction qu'il a d'accepter une consigne de vote. Et cela de qui que ce soit.

En outre, s'ajoute à cela un dernier élément, et non des moindres. Quand la Constitution détermine que pour légiférer sur tel sujet qu'elle désigne, une loi est exigée, seule une loi peut le faire, à savoir soit une loi adoptée par référendum (article 3 de la Constitution), soit une loi adoptée par le Parlement (article 34 de la Constitution).

C'est-à-dire par l'Assemblée nationale et le Sénat, puis promulguée par le président de la République et publiée au Journal Officiel, et après validation par le Conseil constitutionnel s'il se trouve qu'à cette occasion ce texte de loi y est déféré pour le contrôle de constitutionnalité de son contenu.

Ainsi, légiférer autrement que par une loi sur un sujet pour lequel la Constitution exige une loi, cela opérerait une violation du principe constitutionnel le plus important de tout notre système juridique : le principe constitutionnel de l'habilitation expresse.

Ce principe est posé par l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen su 26 août 1789: « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. »

Or, dès lors que l'article 27 de la Constitution détermine noir sur blanc que « Une loi organique peut « autoriser exceptionnellement la délégation de vote », principe constitutionnel de l'habilitation expresse oblige, c'est uniquement une loi votée par le parlement qui peut autoriser cela. Le faire par une décision du Bureau de l'Assemblée nationale emporte que les députés qui s'y livrent se rendent donc coupables du délit de mise en échec de l'exécution de la loi !

Enfin, séparation des pouvoirs oblige, si l'Assemblée nationale ou le Sénat adopte un article de leur règlement intérieur respectif déterminant que telle personne, physique ou morale, peut donner une consigne de vote à un parlementaire, en l'état cet article, dépouillerait de la pertinence l'incrimination pénale rapportée ici.

Toutefois, l'inconstitutionnalité d'un article de cet acabit étant incontestable, cette incrimination retrouverait toute sa pertinence si, saisi en ce sens à l'occasion d'un litige invoquant l'interdiction constitutionnelle de donner une consigne de vote à un parlementaire, un tribunal transmet au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité soulevant cette inconstitutionnalité.

Et c'est d'ailleurs pourquoi il serait éminemment intéressant, voire vital pour la démocratie, qu'un parlementaire pose, en séance à l'Assemblée nationale ou au Sénat, la question publique de l'inconstitutionnalité des consignes de vote.

Ou mieux ! Ce qu'il faudrait, c'est qu'un parlementaire à qui telle personne a donné une consigne de vote, poursuive cette personne devant le Tribunal correctionnel, du chef du délit prévu et puni par l'article 432-1 du code pénal, par la voie d'une citation directe ou par celle d'une plainte simple ou avec constitution de partie civile. Ça ferait du bruit et ça ne serait que justice.

Justice parce que, l'article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale déterminant que toute personne dépositaire de l'autorité qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, a l'obligation d'en informer sans délai le procureur de la République.

À l'exception peut-être des « non-inscrits », nos parlementaires n’ont-ils pas reçu au moins une fois, durant l'exercice leurs fonctions, une consigne de vote ?

Donc en attendant la question prioritaire de constitutionnalité qu'il y aura sans doute lieu de poser ensuite au Conseil constitutionnel (c'est-à-dire visant l'article du règlement intérieur de l'Assemblée nationale ou du Sénat qui autoriserait les consignes de vote), moi je pose ici la question suivante aux 915 élus de la République qui siègent au Parlement :

« Y en a-t-il un parmi vous qui a le courage, ou simplement l'honnêteté, de rendre publique l'inconstitutionnalité manifeste des consignes de vote, et du coup de leur caractère délictuel ? »

Le cas échéant, ce sera un honneur de l'avoir pour invité chez France-Soir dans le prochain numéro « Le défi de la vérité. »

À défaut, l'avis de Monsieur Bartolone serait d’un grand intérêt. Il a été député de 1981 à 2017 et surtout Président de l'Assemblée nationale de 2012 à 2017 et surtout de son Bureau. Il avait alors annoncé en ces mots vouloir revenir au « vote personnel », lors de ses vœux à la presse de sa dernière année de mandat : « Nous sommes élus au nom des citoyens et chacun doit savoir quelle est la position de ses représentants sur chacun des votes qu'il émet. »

Il serait donc plus qu'opportun, qu'il nous explique pourquoi, durant tout le temps où il a exercé ses fonctions au Parlement, il n'a jamais relevé l'inconstitutionnalité et en cela le caractère délictuel des consignes de vote.

Serait-ce parce qu'il sait s'être rendu coupable de ce délit à maintes et maintes reprises ? Ou plus grave, serait-ce parce que, plus haut responsable de l'élaboration de la loi et de son contenu, il ne connaît pas bien la Constitution, le texte de loi suprême de notre pays ?

On aurait tendance à avancer que c'est la première de ces deux options qu'il faut considérer comme étant la bonne réponse.

Pourquoi ? Parce que selon la décision que Bureau de l'Assemblée nationale a pris le 5 février 2014 sous sa présidence : les députés doivent être présents en séance pour pouvoir voter.

Cette décision est tout autant 100% contraire à l'article 27 de la Constitution que le fait de donner une consigne de vote à un parlementaire, et ceci pour le même motif irréfutable, à savoir la violation du principe constitutionnel de l'habilitation expresse.

En effet, l'article 27, avant-dernier alinéa, de la Constitution détermine noir sur blanc « la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote. »

Or, c'est donc par une décision du Bureau de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire un texte normatif qui n'a nullement la valeur de la loi qui est exigée par l'article 27 de la Constitution que ces députés ont adopté, le 5 février 2014, sous la présidence de Monsieur Bartolone, un texte qui détermine que (pour certains scrutins) seuls les députés qui seront présents physiquement dans l'hémicycle pourront voter.

Dès lors, le Bureau de l’Assemblée nationale a beau avoir justifié sa position en indiquant, je cite, que cette décision intervient « dans une optique de transparence après des contestations de votes » (2) il n'en demeure pas moins qu'aux termes des dispositions combinées des articles 432-1 et 432-2 du code pénal, cette décision fait échec à l'exécution de l'article 27 de la Constitution, ainsi qu'à l'exécution de l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et qu'à ce titre les députés qui ont pris cette décision se seraient rendus coupables, chacun en tant que coauteur, du délit que l'article 432-2 du code pénal punit de 10 ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

Il serait hautement souhaitable que cette comédie cessât au plus vite. Car étant donné qu'on touche là au fondement même de notre démocratie (le respect de la Constitution), finalement, oui, excusez-moi : ce n'est pas drôle. Cela amène de l’eau au moulin du célèbre journal britannique The Economist qui en 2021 a classé la France pour la seconde année au rang de démocratie défaillante. Vraiment pas drôle du tout.

Notes :

(1) Voici quelle est la justification de l'interdiction du mandat impératif. 

Malgré le fait que les députés et sénateurs soient élus dans leurs circonscriptions respectives, chacun des parlementaires pris séparément est un représentant du peuple français, un peuple français qui lui est pris dans son entièreté.

Ou si vous préférez, les députés ont beau être 577 et les sénateurs 348, et ils ont beau être élus lors d'élections distinctes territorialement (les circonscriptions), chaque parlementaire est censé être, comme tous les autres, le représentant de tous les français.

Et à eux tous ils forment ensemble le Parlement, la représentation nationale qui comporte deux chambres : l'Assemblée nationale et le Sénat.

(2) En novembre, lors d'un vote en séance de nuit sur un article de la réforme des retraites, le groupe du PS avait émis « soupçon de triche » envers l'UDI. D'après le PS deux représentants de l'UDI étaient dans l'hémicycle et avaient pu produire neuf votes, ce qu'avaient contesté les centristes.

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