Chronique n°33 - "Combien de morts sur ordonnances en EHPADs ou à domicile avec le Rivotril, à cause du covid et des refus d’hospitaliser ?"

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François Pesty pour FranceSoir
Publié le 22 octobre 2020 - 17:44
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Chronique 33
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Chronique Covid
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Tribune : Je ne pourrai hélas pas répondre complètement à cette question, mais je vous dirai combien d’ampoules ont été délivrées. Cela fait froid dans le dos…

 

Pour se replacer au mieux dans le contexte, je vous propose un court extrait (emprunté à ma chronique N°23 consacrée aux EHPAD : ici) du témoignage laissé sur France Culture par « Virginie », salariée d’un groupement public d’EHPADs du Val-de-Marne, habituellement en charge de la « gestion administrative » et qui s’était mise à la disposition de son établissement comme agent de bionettoyage pendant la crise sanitaire en mars dernier.

 

« Puis, elle (Virginie) apporte un témoignage sur les refus d’hospitalisation de résidents, les traitements légalisés d’accompagnement à la fin de vie :

 

« Donc aujourd’hui vous avez une crise de covid, vous croyez qu’une personne de 94 ans qui vie en EHPAD, on va vous la prendre ? eh bien, je ne sais pas, je n’ai pas vu encore. On trie, il n’y a pas un hôpital qui ne trie pas les patients. Ça s’appelle la perte de chance. On a 1 lit, on a 4 malades qui viennent, on va hospitaliser celui qui a le plus de chance de survivre et de s’en tirer. On va évaluer ses chances. Et l’hôpital public c’est ça aujourd’hui. Le gouvernement, il nous a sorti un décret le 28 mars qui nous dit, en EHPAD vous avez le droit d’utiliser le Rivotril® (clonazépam, une benzodiazépine qui en a remplacé une autre, l’Hypnovel®, midazolam, qui ne se fait plus). On a le droit de sédater les résidents. Ce décret il dit, ben écoutez comme de toute façon on n’a pas les moyens de les prendre à l’hôpital, quand ils sont vraiment au bout de leur vie en fin de vie, n’hésitez pas à les sédater, pour éviter qu’ils ne souffrent. C’est-à-dire que là, le gouvernement légitime le fait qu’on ne pourrait rien faire pour nos résidents, par l’utilisation du Rivotril® ». Grosso modo, c’est, on ne sauvera pas tout le monde, mais il ne faut pas qu’ils souffrent… C’est-à-dire qu’en fonction de l’âge que vous avez, vous avez ou pas votre place dans la société. Quand vous êtes vieux, très vieux, et malade et que vous êtes en EHPAD, on ne vous prend pas en compte. Donc, il y a un vrai problème d’âgisme (discrimination ou ségrégation à l’encontre des personnes âgées, selon le Larousse Illustré 2020). Et il y a un problème aussi sur l’accompagnement de fin de vie, bien sûr. Si on prenait en compte réellement la fin de vie dans notre pays, les EHPADs ne souffriraient pas d’un manque de moyens depuis tant d’années ».

 

(Intégralité de l’extrait ici)

 

Alors voici le décret en question, téléchargeable ici :

 

 

 

 

 

En sachant que cette disposition a été reconduite depuis de multiples fois (ici), dernière en date le 16 octobre (ici, au « II » de l’article 53), et qu’elle est donc encore en vigueur…

Il est également nécessaire de se remémorer, courbes à l’appui, que « nos aînés, les plus de 75 ans, ont été massivement exclus des réanimations » (Ma chronique N°7 : ici)

Le protocole de prise en charge palliative de la « détresse respiratoire asphyxique » est effectivement en ligne sur le site web de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), dans sa version 3, du 17 avril 2020 (ici).

A qui s’adresse-t-il ?

« Aux patients présentant une forme grave de cette maladie (Covid-19) qui n’auront pas pu bénéficier d’une hospitalisation en service de réanimation ou pour lesquels une décision de limitation de traitements actifs a été prise. Ces propositions visent à être appliquées, en fonction des contraintes et des possibles de chacun, dans l’ensemble des établissements de santé et médico-sociaux mais aussi à domicile ».

A noter que pour ce qui concerne les établissements sanitaires (hôpitaux, cliniques), et tous les EHPADs qui sont reliés à une pharmacie hospitalière, les données de consommation des médicaments sont inaccessibles. Elles sont bien protégées dans un coffre-fort dans les locaux et serveurs de l’ANSM (l’agence nationale du médicament » qui n’a pas fait d’open-data, au contraire de l’assurance maladie, et qui refuse de partager ses chiffres en opposant le « secret des affaires ».

 

Il propose de soulager la douleur avec de la morphine et de lui associer une benzodiazépine, le midazolam en première intention, dose de charge 3 mg, puis en perfusion 3 mg/h, si inefficace, d’augmenter la posologie à 5 mg/h en dose de charge, puis 6 mg/h

 

Le problème c’est que seuls les hôpitaux peuvent se fournir en midazolam

 

A défaut de midazolam, la SFAP propose :

1. le clonazépam (RIVOTRIL®), 0,5 à 1 mg en induction (IV, IM, SC), puis 2 mg/24h

2. le diazépam (VALIUM®), 5 mg (IV) à 10 mg (IM) toutes les 4 à 6 h

3. le clorazépate (TRANXENE®), 60 mg en induction, 120 mg / 24h en relais

 

En tout petit, il est écrit que chez les personnes âgées fragiles il faut diminuer de 50% les doses initiales… Dans l’urgence, les personnes en charge d’administrer ces puissants sédatifs auront-elles lu cette mise en garde importante ?

La base de données MEDIC’AM mensuelles est proposée en open-data (ici). Elle permet à la date où j’écrits cette chronique, le 21 octobre 2020, de restituer les données de remboursements par l’assurance maladie (nombres de boites, base de remboursement et montants remboursés) pour 19.292 présentations pharmaceutiques délivrées par les officines de ville sur la période allant de janvier 2015 à août 2020.

 

Par conséquent, les données suivantes concernent les patients à domicile et les résidents d’EHPADs qui s’approvisionnent dans les officines de ville.

Si l’on analyse les délivrances en ville du RIVOTRIL®, clonazépam, solution injectable à 1 mg / ml, boite de 6 ampoules, avant le début de la pandémie en France (jusqu’en février 2020 inclus), la tendance était à une hausse très modérée, le nombre de boites mensuellement délivrées étant passé de 559 en janvier 2015 à 625, en février 2020, soient 66 boites de plus étalées sur 61 mois. A peine plus d’une boite supplémentaire chaque mois.

Ainsi, en prenant une moyenne de 640 boites mensuelles délivrées, attendues si la tendance s’était poursuivie, il est possible de calculer un excès de boites de Rivotril® injectable délivrées sur la période de mars à août 2020, de 3.307 boites de 6 ampoules, soient 19.842 ampoules

 

Une augmentation très nette, indiscutable, même spectaculaire après la parution du décret du 28 mars.

Le maire de Mougins, là où il y a eu 39 morts dans un EHPAD privé de 80 places, lui-même médecin coordonnateur d’EHPAD, mais pas dans cette ville, selon le député Éric Ciotti, rapporteur de la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale, aurait déclaré « le protocole, c’est deux jours de Doliprane®, et après deux jours de Rivotril®, et pas d’hospitalisation »

Il n’est pas inintéressant d’élargir l’analyse aux 2 autres benzodiazépines proposées en alternative par la SFAP, Valium®, diazépam et Tranxène®, clorazépate, dans leurs formes injectables.

Il est manifeste que le total des délivrances mensuelles avant le début de l’épidémie de covid pour ces 3 benzodiazépines était remarquablement stable, autour de 45.000 ampoules

 

Juste après la parution du décret, les délivrances ont été catapultés vers des sommets jamais atteints depuis 2015 :

Il est vrai que ce ne sont que des délivrances en pharmacies de ville, et que nous ne disposons pas des chiffres de ce qui a été administré réellement. Mais, 70.000 ampoules c’est quand même énorme.

 

Il serait certainement intéressant que l’IGAS, inspection générale des affaires sociales, se voit confier la mission d’expertiser les dossiers médicaux, une revue de « morbi-mortalité » en quelque sorte, de tous les résidents d’EHPAD et de toutes les personnes vivant à leur domicile qui ont fait l’objet de ces prescriptions « hors-AMM pour covid-19 ». L’Assurance maladie doit pouvoir les identifier aisément

 

Notez bien que nous ne savons toujours pas officiellement combien de personnes sont mortes du covid-19 à leur domicile. Une estimation à plus 9.000 cas avait été faite fin avril par le syndicat de médecins généralistes, MG France. Mais aucun chiffre officiel ne circule. Un alourdissement de quelques 10.000 décès supplémentaires est à craindre. Il repousserait encore plus loin le classement déjà peu brillant de la France parmi les bilans les plus désastreux et remettrait en cause sérieusement les comparaisons faites avec d’autres pays plus transparents sans-doute, comme par exemple la Suède…

 

A noter, que bizarrement le Rivotril®, et finalement ces 3 benzodiazépines recommandées par la SFAP, n’ont pas fait l’objet d’une analyse par EPI-PHARE le Groupement d’intérêt scientifique associant l’ANSM et la CNAMTS, dans leur étude épidémiologique des produits de santé publiée le 5 octobre (ici)

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